L’ancien CEO de Stellantis, l’un des premiers constructeurs mondiaux d’automobiles, cherche à corriger, dans un livre, une image ternie par un départ inopiné fin 2024… et par les problèmes du groupe qu’il avait contribué à créer.
Il a longtemps été le CEO miracle du monde automobile, redressant PSA Peugeot Citroën, rachetant et rentabilisant Opel, en perte depuis plus de 10 ans. Rien ne semblait résister à Carlos Tavares. Il semblait avoir réussi, en 2021, une fusion audacieuse entre PSA Peugeot et Fiat Chrysler Automobile, baptisée Stellantis, numéro 4 mondial du secteur avec 15 marques, dont Peugeot, Jeep, Fiat, Citroen, Chrysler, DS, Alfa Romeo ou encore Maserati.
Avec deux premières années incroyablement rentables pour le secteur : 10% de marge, à coups de réductions de coûts. Tout a basculé fin 2024, lorsque les effets secondaires d’un cost cutting acharné ont commencé à se faire sentir. Les ventes aux États-Unis ont reculé, tandis que des soucis de qualité sur certains modèles (crise Puretech) commençaient à miner la réputation en Europe. Un profit warning ramenait la marge prévue à une fourchette de 5,5% à 7%. Le 1er décembre 2024, Carlos Tavares démissionnait.
1. Un départ non forcé
Carlos Tavares insiste : il a démissionné et n’a pas été licencié. Il explique avoir pris la décision de partir quand le président du CA, John Elkann, lui a laissé entendre qu’il y avait “comme une perte de confiance du conseil d’administration”.
Il a négocié les conditions de son départ au téléphone, depuis le Portugal. “Je ne suis jamais retourné dans mon bureau. Mon fonctionnement ‘zéro papier’ a trouvé son utilité ultime.” (*) John Elkann a assuré l’intérim avant de nommer Antonio Filosa en mai 2025.
2. La polémique de la rémunération
“J’ai découvert qu’être le patron le mieux payé de France n’est pas un sort enviable”, écrit l’ancien CEO de Stellantis. À son départ, il a reçu une indemnité de 12 millions d’euros qui a fait l’objet de nombreux échos dans la presse, de même que ses rémunérations. Il estime ne pas devoir s’excuser de ces revenus qui le récompensent des résultats de l’entreprise.
“C’est vrai, en quelques années j’ai gagné 80 millions d’euros”, reconnaît-il. Ajoutant que les actionnaires ont perçu bien plus. “En 2023, ils ont reçu de l’ordre de 7 milliards d’euros parce que les résultats étaient exceptionnels. Les salariés, avec près de 2 milliards, n’avaient pas été oubliés non plus. (…) En Europe, on confond allègrement les millionnaires et les milliardaires”, ajoute-t-il. Carlos Tavares n’a rien à voir avec Jeff Bezos.
“J’ai découvert qu’être le patron le mieux payé de France n’est pas un sort enviable.”
3. Toujours Portugais, plus que jamais

Carlos Tavares rappelle qu’il est né au Portugal, fils unique dans une famille de la classe moyenne, avec une mère enseignante et un père expert-comptable. Il a eu la chance d’aller au lycée français de Lisbonne. “C’est parce que ma mère y enseignait que j’ai pu y entrer.”
Excellent étudiant, il part en France et est reçu à Centrale Paris, d’où il sort ingénieur. Sa grand-mère maternelle habitait une maison “au sol en terre, sans salle de bain ni eau chaude, sans eau courante en fait”. La famille a ensuite progressé dans l’échelle sociale. Pour le récompenser de son entrée à Centrale Paris, ses parents lui offrent une Alfa Romeo Sprint bleu nuit.
De nos jours, Carlos Tavares est retourné au pays. “J’investis au Portugal. J’ai acheté cinq fermes et autant de petits hôtels. J’y ai une petite entreprise de restauration d’automobiles anciennes, et j’envisage d’investir dans des hôpitaux, une usine de haute technologie de chaussures de sport, un circuit automobile, une compagnie aérienne, tout en prenant des parts dans des sociétés d’intelligence artificielle.”
4. Une carrière purement automobile
Carlos Tavares n’imaginait pas faire autre chose que de l’automobile. Très jeune, il s’est passionné pour la compétition, a longtemps participé à des rallyes. Après son diplôme d’ingénieur, il entre chez Renault. La voie était tracée. “J’y ai fait mon stage ouvrier en deuxième ou troisième année. J’y ai été embauché, commençant ma carrière d’ingénieur en octobre 1981.”
Il grimpe les échelons jusqu’à devenir numéro 2 du groupe, au temps où Carlos Ghosn dirigeait Renault et Nissan. Il ira au Japon et aux États-Unis. La fonction qui l’a le plus marqué ? La responsabilité du programme Megane 2, vers 2000, dont le design était très particulier, “l’épreuve de vérité pour le jeune coq que j’étais. Il fallait sortir sept versions en seulement 18 mois.” Le programme Megane, à l’époque, “engageait la moitié des profits de l’entreprise”.
Il y œuvrait sous la responsabilité du Belge Pierre-Alain De Smedt, ex-VW, alors numéro 2 de Renault. “Pierre-Alain De Smedt m’a appris, entre autres, la qualité et la robustesse perçue à l’allemande. Il donnait des coups de pied dans les pare-chocs pour vérifier s’ils étaient bien fixés et si les clients les verraient comme robustes (…) Des réflexes Volkswagen qui nous ont fait du bien.”
5. Un “psychopathe de la performance” assumé
Carlos Tavares s’est décrit, à ses débuts à la tête de PSA Peugeot Citroën, comme un “psychopathe de la performance”. Sa méthode pour redresser le groupe français a été de mettre fin à la course à la part de marché pour vendre moins de voitures, mais des modèles plus chers, donc plus rentables. Il a aussi augmenté le nombre de pièces communes aux véhicules des différentes marques, en chassant les coûts, réduisant les effectifs.
Il a appliqué la même recette à Opel/Vauxhall, acheté à General Motors en 2016, qui “perdait 1 milliard d’euros par an en Europe”. Avec succès, puisqu’il a rentabilisé Opel en 18 mois. Malgré une forte opposition avec le syndicat IG Metall, dont un représentant l’a traité de “junkie du benchmarking”. Les nouvelles Opel ont été développées sur les plateformes de PSA : “La nouvelle Corsa (dérivée de la 208), la Mokka (dérivée de la 2008), l’Astra (dérivée de la 308)”.
6. L’auto électrique : oui, mais…

Sur la voiture électrique, Carlos Tavares s’est mis en marge du secteur. En refusant de participer au lobbying intense toujours mené par les constructeurs pour modifier l’échéance de 2035 imposée par l’UE pour interdire les voitures à carburant. Pourtant, il critique cette transition vers l’auto électrique à marche forcée, qu’il estime irréaliste. “Les gens ne pourront pas se la payer. Sauf si l’on utilise l’argent du contribuable pour la subventionner, ou si les entreprises écrasent les profits ou font des pertes.”
Il aurait préféré une approche technologiquement neutre, en fixant une norme d’émission sous les 100 g de CO2 par km. “(Elle) nous aurait amené à des voitures plus petites”. Et à un renouvellement plus rapide du parc.
Une fois la réglementation européenne décidée, il n’a pas voulu lutter contre sa mise en œuvre. “Je suis légaliste. Et je prends les règles telles qu’on les impose et je les transforme en opportunités. Je fais la course, et je veux la gagner.” Stellantis a multiplié les modèles électriques.
7. Quels constructeurs survivront ?
Le secteur est fort secoué, “le chaos est devenu un état permanent”, estime Carlos Tavares. Qui survivra ? L’ancien CEO de Stellantis parie sur Toyota, “le champion toutes catégories”, et sur les constructeurs premium comme Mercedes. Il est moins sûr pour Telsa. “L’esprit de rupture permanent de son patron visionnaire, Elon Musk, est un risque majeur”, estime-t-il. Il en veut pour preuve le Cybertruck, un véhicule qui, selon lui, “présente des défauts inadmissibles pour tout acheteur de pick-up. Musk finira par évoluer vers un autre secteur.”
Il a aussi des doutes sur le groupe Volkswagen, “une entreprise dont la structure est surdimensionnée”, paralysée par sa gouvernance, par la cogestion, dont il estime la réputation usurpée, avec les syndicats au conseil d’administration, plus le Land de Basse-Saxe, actionnaire à 20%. Le groupe VW, dit-il, “fabrique 9 millions de véhicules avec 600.000 salariés. Chez Stellantis, les chiffres respectifs sont de 6 millions de véhicules et de 230.000 personnes”. Il est par contre très positif sur le coréen Hyundai KIA, avec qui “Stellantis aurait eu et a encore intérêt à se rapprocher”.
Les grands gagnants, selon lui, seront les chinois comme BYD ou Geely, à la pointe dans l’électrification et… dans le cost cutting. Une de ses dernières décisions chez Stellantis a été une prise de participation de 21% dans Leapmotor, un jeune constructeur chinois, dont les concessions Stellantis vendent les voitures hors de Chine.
8. Conseils “bienveillants” pour Stellantis
Carlos Tavares termine son ouvrage par des conseils à Stellantis, donc à Antonio Filosa, son successeur. L’ex-CEO note que le groupe veut donner “plus de poids à chacune des régions géographiques au détriment d’un fonctionnement plus matriciel”. Il met en garde contre le risque de détricotage des synergies, le cœur de Stellantis. “Les avantages de l’effet de taille du groupe doivent être préservés.”

Carlos Tavares espère que la stratégie ne sera pas une “feuille de route imaginée et décidée par le board, mais sortira des rangs (des tripes) du management”. Elle doit encore arriver.
(*) Carlos Tavares (en collaboration avec Bertille Bayart et Dominique Seux), “Un pilote dans la tempête”, édition Plon, 233 pages, 21,9 euros.
Carlos Ghosn vu par Carlos Tavares
Les deux Carlos ont travaillé ensemble pendant 10 ans. Tavares était le second de Ghosn à la tête de Renault, et il espérait lui succéder. Ne voyant rien venir, en 2013, il déclare à l’agence Bloomberg qu’il est prêt à diriger un groupe automobile, comme Ford ou GM. Carlos Ghosn, son patron, est ulcéré par cette ambition déclarée. “Soit tu pars, soit tu démens”, et Carlos Tavares est parti. Chez PSA.La fin de carrière de Carlos Tavares a été moins dramatique que celle de Carlos Ghosn, inculpé par la justice japonaise pour des accusations autour de sa présidence de Nissan, puis en fuite au Liban où il demeure encore. “Carlos Ghosn est pétri de qualités, mais a une faiblesse, qui est de ne pas créer une relation plus humaine avec ses équipes. Il a toujours eu peu d’affect (… ), il est pourtant brillantissime, écrit Tavares. Et à force de rester distant et ambigu sur tout, il s’est retrouvé plutôt tout seul.
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