Est-ce encore intéressant d’être indépendant en Belgique?

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Baptiste Lambert

Le nombre d’indépendants ne cesse d’augmenter en Belgique, mais est-ce pour autant la preuve d’un statut attractif ? Il reste certains freins pour lancer son activité et les indépendants sous-estiment souvent la charge mentale qui pèse sur eux. Mais le statut d’indépendant a largement évolué sous la précédente législature, et les prochains gouvernements devraient, a priori, lui être favorable.

Quoi qu’on puisse entendre sur le statut d’indépendant, en bien ou en mal, il a le vent en poupe. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis 2004, le nombre d’indépendants est en constante progression, passant de 860.000 à 1.280.000 en 2023, selon les tout derniers chiffres de l’Inasti.

La crise sanitaire a encore amplifié le phénomène : le nombre d’indépendants voulant tracer leur propre chemin a explosé de près de 10% entre 2020 et 2021. Dans le détail, en 2023, on comptait 798.724 indépendants à titre principal pour 332.676 indépendants complémentaires. Il y a environ deux fois plus d’hommes indépendants que de femmes, mais ces dernières suivent la même progression.

Les freins à l’entrée

Ce tableau d’ensemble dressé, plongeons-nous dans le parcours d’un indépendant. D’abord à l’entrée. Avec un premier écueil : les frais d’inscription à la Banque-Carrefour des Entreprises (BCE), soit une somme de 105,5 euros à débourser. Pas insurmontable, mais il s’agit néanmoins du troisième montant le plus élevé de toute l’Union européenne, derrière Chypre et la Finlande. En France, il ne vous en coûtera que 45 euros.

Chez nous, il faudra y ajouter 60 euros pour l’activation de votre numéro TVA. “Ces frais d’inscription sont pour nous absurdes, déplore Nicolas Quarré, cofondateur d’Accountable, un logiciel qui aide 20.000 indépendants à réaliser leur comptabilité. Parce que ces frais freinent la création d’entreprises et l’esprit d’entreprendre, alors que le monde politique parle constamment de sortir les gens du chômage.”

Mais ce n’est là que le premier couperet. Car très rapidement, les cotisations sociales du premier trimestre sont à payer : “Le forfait minimum est maintenant de 899,15 euros par trimestre pour un indépendant à titre principal, précise l’entrepreneur. Alors que l’indépendant n’a parfois pas encore un seul client.”

La nouvelle déclaration de politique régionale, établit par le MR et les Engagés, entend soutenir les indépendants en 10 points concrets. © BELGA


Pour un indépendant qui démarre, ce montant est calculé sur un revenu de base de 16.981,46 euros. Pour les autres, ce sera un pourcentage de leurs revenus : à savoir 20,5% pour la tranche de revenus inférieure à 72.810,96 euros et un taux préférentiel de 14,16 % pour la tranche de revenus entre 72.810,96 à 107.300,30 euros. Au-delà de cette tranche, les cotisations sociales sont plafonnées à 5.153,06 euros par trimestre.

“Il est toutefois possible de demander une réduction des cotisations sociales auprès de la Caisse d’assurance, précise Nicolas Quarré. En général, il s’agit de la moitié du forfait minimum, mais ce n’est pas une démarche naturelle et ce n’est pas si simple à justifier.” Quoi qu’il en soit, il faut générer au moins 450 euros de cash-flow, alors que des investissements sont peut-être nécessaires en termes de matériel, de machines ou d’outils.

Charge mentale

On sait l’indépendant mû par son désir d’autonomie extrême. C’est vrai vis-à-vis de l’employeur, mais aussi par rapport à l’Etat. Mais l’indépendant en quête d’autodétermination sous-estimera souvent la charge mentale qui pèse sur lui. “Aux couperets que l’on a déjà évoqués, il faut ajouter le montant qu’il faut mettre de côté pour payer ses impôts”, alerte le cofondateur d’Accountable. Le problème est que l’indépendant navigue généralement à vue : il ne sait pas précisément quel montant il doit épargner. Ses connaissances fiscales sont généralement limitées.

“Nous estimons que le job d’un indépendant, ce n’est pas d’être expert-comptable, rétorque notre interlocuteur. L’indépendant doit plutôt mettre son énergie dans le développement de son activité, de sa clientèle ou de sa patientèle. C’est la raison pour laquelle il choisit d’être indépendant : développer son art. Pas pour faire de la comptabilité, qui est systématiquement vue comme un fardeau.” Et c’est là que des logiciels comme Accountable entrent en jeu.

Mais la charge mentale va au-delà de la tenue d’une comptabilité. La complexité législative et administrative pèse également sur l’indépendant. Si bien qu’aujourd’hui, un indépendant est plus susceptible de tomber en maladie de longue durée. Car il attend plus souvent qu’un autre pour se mettre en maladie, de sorte que les risques s’accumulent. En conséquence, 67% des indépendants qui souffrent de burn-out auront tendance à prolonger leur période d’incapacité de 6 mois à 1 an, contre 55% en moyenne, selon une récente étude de l’Inami.

Accountable, un logiciel dopé à l’IA
Accountable a été créé en 2019 par Nicolas Quarré et trois autres fondateurs. L’entreprise compte aujourd’hui 45 employés. Son logiciel est disponible en Belgique et en Allemagne et aide pas moins de 40.000 indépendants à faire leur comptabilité, dont 20.000 Belges. Aujourd’hui, un nouvel indépendant sur cinq s’inscrit sur Accountable. Et les ambitions sont grandes : devenir le leader européen de la taxation des indépendants, avec des plans d’expansion en France, en Italie et en Espagne.
La raison de ce succès ? Un logiciel simple d’utilisation et précis : l’indépendant n’a qu’à créer ses factures, scanner ses reçus, et le logiciel calculera automatiquement ses revenus, ses dépen­ses et ses impôts. L’indépendant peut aussi voir, en temps réel, si son activité fonctionne ou pas, lui permet de tirer du profit, de calculer sa marge ou de savoir s’il est en retard, sans la complexité qui y est attachée.
Mais le plus de cette application est certainement l’intégration, en mars 2024, d’un assistant IA. Basé sur IA générative d’OpenAI, celui-ci a été boosté en interne par les équipes d’Accountable. Nous avons pu le tester : cette IA répondra à toutes vos questions fiscales en quelques secondes. Mais l’assistant est capable de prouesses bien plus complexes encore, en analysant confidentiellement vos données et en les comparant à la base de données d’Accountable et à la législation belge. “Il vous demandera par exemple pourquoi vous n’avez pas déduit davantage votre voiture cette année, ou vous préviendra si vous avez trop abusé sur les frais de restaurant”, ajoute le cofondateur.
De quoi rendre obsolète l’expert-comptable ? Non. Accountable travaille d’ailleurs avec des partenaires en Wallonie, à Bruxelles et en Flandre pour un soutien plus spécifique, des conseils fiscaux avancés, voire un soutien moral. Mais Nicolas Quarré ne peut cacher le succès de l’IA : “On a des milliers de questions par semaine. C’est fantastique.” L’IA a trois gros avantages : “Elle a accès à un plus grand nombre de données que le support client, elle est disponible 24h/24 et 7j/7, et, c’est important, elle ne vous juge pas. C’est un aspect fondamental pour l’indépendant : la peur d’avoir l’air bête en posant des questions.”

Se mettre en société

La question de se mettre en société traverse la tête de quasiment tous les indépendants. “C’est une question qu’on nous pose tous les jours, confirme Nicolas Quarré. Elle est très importante au moment de démarrer son activité. Etre indépendant en personne physique reste relativement peu cher par à rapport à la création d’une société. C’est également plus simple pour fermer son activité.”

Se lancer en société est en effet une procédure beaucoup plus lourde : il faut passer chez le notaire, débourser un capital de départ, et il est préférable de passer par un expert-comptable pour faire valider son business plan. La création d’une SRL vous coûtera entre 1.000 et 1.500 euros de frais de dossier. Mais ce n’est pas tout : “Pour la tenue de sa comptabilité, l’indépendant en société devra débourser au minimum 2.000 à 3.000 euros par an. Sans oublier les coûts additionnels en cas de fermeture de l’activité.”

Un conseil ? “Il est assez simple : la SRL est fiscalement intéressante à partir du moment où vous générez suffisamment de cash-flow. Au lieu de vous verser un salaire trop important aujourd’hui, il faut être capable d’attendre des dividendes fiscalement intéressants demain. En dessous de 80.000 euros de revenus par an, c’est n’est vraiment pas une bonne idée de créer une SRL. Et même au-delà, il faut bénéficier d’une marge suffisante.”

Une autre raison de se mettre en société est liée à la question de la séparation de la responsabilité. “Si vous avez une activité risquée, ajoute Nicolas Quarré, il est toujours possible de s’assurer, mais se mettre en société peut être une bonne idée. Pour vous déresponsabiliser de votre société et éviter de tout perdre. On voit toutefois beaucoup d’indépendants qui ont tendance à confondre leur SRL avec leur propre personne. Le cash-flow qui est dans une entreprise n’est pas à l’indépendant en tant que tel. Il faut en tenir compte.”

La fin de parcours

“La principale raison qui explique la peur d’entreprendre, c’est celle de l’échec”, abonde Sébastien Hamende, directeur pour la Wallonie et Bruxelles de Revival, une ASBL créée par la Pulse Foundation, qui se concentre sur la fin de vie des entreprises et le rebond de l’indépendant.

Durant les années de crise, tout une série d’aides comme le droit passerelle et les chèques énergie ont été proposés. Sans oublier le fameux moratoire sur les faillites. En conséquence, leur nombre a drastiquement chuté avant de revenir à la normale en 2023. Le premier semestre 2024 est du même tonneau, avec 6.089 faillites, soit à peu près les chiffres absolus de 2019, selon Trends Business Information. Parmi elles, on retrouve une grande proportion d’indépendants : 62% des faillites sont le fait de SRL. “Au lieu de multiplier les faillites par cinq, les crises ont divisé leur nombre par deux. Ces aides étaient intéressantes en théorie, mais dans la pratique, cela a rendu un mauvais service à toutes les entreprises qui devaient faire faillite, déplore Sébastien Hamende. Beaucoup d’entrepreneurs ont creusé le trou dans lequel ils se trouvaient. Aujourd’hui, leur entreprise n’a plus de fonds propres et ils doivent mettre de leur poche pour la sauver.” Et au bout du compte, les conséquences peuvent être très graves : “On estime que 5% des entrepreneurs en difficulté font une tentative de suicide.”

Lors de la précédente législature, le ministre David Clarinval (MR) a œuvré en faveur des indépendants en présentant 100 mesures concrètes, telles que le droit passerelle ou le relèvement de la pension minimum. © BELGA

Actuellement, beaucoup de SRL ont les reins moins solides. “Selon moi, l’effet de rattrapage n’est toujours pas là. Un tsunami de faillites pourrait encore nous tomber dessus en 2025”, craint le directeur de Revival.

Le problème est que l’indépendant est très mal outillé pour faire face à une situation de faillite. Le manque de connaissances est flagrant : “Beaucoup sont démunis, car c’est la première fois qu’ils font faillite. C’est une période durant laquelle ils vont avoir besoin de beaucoup plus d’énergie, alors qu’ils en ont forcément moins, avec tout un tas de procédures.”

C’est là qu’intervient justement Revival, qui aide les entrepreneurs en difficulté à traverser cette épreuve, avant de les accompagner vers un rebond. C’est un terrain où très peu d’acteurs sont présents et où l’accompagnement est pourtant primordial.

Beaucoup d’indépendants ne connaissent pas leurs obligations. “A cet égard, le diplôme de gestion n’a servi à rien et a manqué d’efficacité”, déplore Sébastien Hamende, qui plaide pour un accompagnement plus poussé, surtout en début de vie d’une société.

Revival, le droit de rebondir
Revival est une branche de la Pulse Foundation, créée par de grandes familles d’entrepreneurs pour soutenir l’entrepreneuriat. On y retrouve par exemple dans les administrateurs, Adrien Dassault, petit-fils de l’industriel Serge Dassault, ou encore Xavier Van Campenhout, ancien directeur exécutif de Degroof Petercam. La fondation est dirigée par Emmanuelle Ghislain, qui a notamment piloté le projet BE Entrepreneur.
Revival existe depuis 2020 et accompagne les entrepreneurs en faillite pour les aider à rebondir au moyen d’une aide psycho­sociale. Mais l’ASBL a constaté qu’il manquait une corde à son arc, car bon nombre d’entrepreneurs, enfermés dans les méandres des procédures, n’étaient justement pas prêts à rebondir. “C’est difficile de leur dire que ça ira mieux demain quand ils sont les deux pieds dans le caca”, reconnaît Sébastien Hamende.
Depuis janvier, Revival a donc lancé une aide de première ligne : chaque semaine, ses bénévoles arpentent les audiences des tribunaux de l’entreprise, à Bruxelles et à Nivelles, à la recherche d’entrepreneurs à soutenir. Pour faire avec eux un état des lieux des procédures administratives et juridiques. “Des choses très concrètes comme la récupération des droits sociaux, les démarches auprès du CPAS ou les étapes à suivre avec le curateur”, énumère Sébastien Hamende.
L’initiative est un succès, mais Revival reste assez méconnue des indépendants en procédure de faillites. “Les entre­preneurs en difficulté sont des oiseaux qui se cachent pour mourir”, déplore notre interlocuteur, qui rêve de trans­former son ASBL en quelque chose de beaucoup plus solide : être pour les indépendants ce qu’est l’outplacement pour les salariés. C’est-à-dire ? “Chaque année, 15.000 salariés disposent d’une aide en vue d’un reclassement professionnel, grâce à un budget d’environ 50 millions d’euros cofinancé par les entreprises. Pour les entrepreneurs, par contre, il n’y a rien. Faire de Revival l’outplacement de l’indépendant est mon vœu le plus cher.”

Le statut d’indépendant s’améliore

Supprimé depuis longtemps en Flandre, et récemment à Bruxelles, l’examen de gestion pour les indépendants vient tout juste d’être aboli par la nouvelle majorité wallonne. Et les choses vont encore bouger : dans la nouvelle déclaration de politique régionale, le MR et les Engagés font référence aux indépendants à une dizaine de reprises. Il est notamment question d’amplifier le système Airbag. Il s’agit d’une aide de 12.500 euros qui sert de coussin d’air pour amortir sa transition vers un statut d’indépendant à titre principal.

Au niveau fédéral, la majorité qui se dessine devrait être favorable à l’entrepreneuriat et aux indépendants. Mais il ne faut pas non plus oublier tout ce qui a été mis en place sous la législature précédente. Récemment, le ministre David Clarinval (MR) nous présentait 100 mesures concrètes en faveur des indépendants : on y retrouvait bien sûr le droit passerelle mais aussi une amélioration de la pension, avec le relèvement de la pension minimum à 1.773,35 euros par mois pour un isolé, ou encore la suppression du coefficient de correction dans le calcul de votre pension. Sans oublier le bonus pension, qui peut grimper jusqu’à 35.347,59 euros et qui va surtout bénéficier aux indépendants, puisqu’ils ont tendance à travailler plus longtemps.

Il convient toutefois d’aller plus loin. Les indépendants représentent plus d’un cinquième de tous les travailleurs en Belgique. Ils sont l’un des plus gros moteurs de l’économie. Mais l’entrepreneur dispose aussi d’une kyrielle d’outils pour se faire aider, qu’ils soient techniques ou humains. Des outils qui leur permettent de diminuer la charge mentale qui pèse sur eux ou de vaincre la peur de l’échec. Et pour ceux qui hésiteraient, le statut d’indépendant complémentaire peut être le parfait marchepied vers l’indépendance complète.

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