Dr Sales: “Annoncer un prix seul et sans contexte, c’est faire le job d’une étiquette”

La perception du prix d’une bouteille d’eau de 50 cl peut varier en fonction de l’endroit où elle est vendue. © Getty Images

Le commercial n’est pas qu’une étiquette annonçant le prix. Il doit amener ses clients à participer activement à l’obtention de l’accord. C’est l’art de jouer avec les perspectives sans tomber dans la manipulation.

De mes premiers cours de droit, j’ai retenu un article qui m’a accompagné tout au long de ma carrière commerciale : le 1583 du Code civil, qui stipule que “la vente est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, (…)”

Autrement dit, tant qu’il n’y a pas d’accord pour le prix, il n’y a pas vente. Le rôle d’un vendeur n’est donc pas d’envoyer des propositions et des devis à des clients pour qu’ils y découvrent eux-mêmes le prix du produit ou du service souhaité, mais de les amener à participer activement à l’obtention d’un accord. C’est ce moment clé qui scelle la vente et cristallise toutes les tensions de la relation commerciale. Sans OK du client pour le prix, rien n’est encore vendu.

Force est de constater que les commerciaux préfèrent fuir cette ultime confrontation, laissant le soin à la sainte “propal” de faire le sale travail, pour éviter la gêne d’un débat sur le prix voire un éventuel rejet, perdant ainsi la plus belle occasion de démontrer leur valeur ajoutée.

Un commercial n’est pas qu’une étiquette de prix

Le travail d’un commercial n’est pas de vendre un prix, mais de le mettre en perspective pour faciliter le choix du client et créer une valeur plus grande, par rapport à laquelle le prix proposé paraîtra au pire acceptable, au mieux totalement dérisoire. Annoncer un prix seul et sans contexte, c’est faire le job d’une étiquette, pas celui d’un vendeur digne de ce nom.

Le cadre, le contexte et la perspective sont déterminants pour faire passer un montant. Notre perception du prix n’est pas objective et indépendante mais sous influence permanente de la comparaison. La même bouteille de 50 cl d’eau plate peut sembler bien chère vendue 4 euros dans un aéroport, alors que ce prix paraîtra convenable dans un restaurant étoilé, voire presque démocratique dans un nightclub huppé, en oubliant qu’au robinet ces 50 cl reviennent à 0,002 euro, et que très peu de personnes parviennent à différencier avec succès l’eau de distribution de celle en bouteille.

En réalité, nous évaluons en permanence un prix à d’autres balises pour équilibrer la valeur que nous lui donnons. C’est précisément pour cela que tout commercial a comme premier réflexe, hélas détestable, de demander à un client par rapport à quoi il trouve un article cher. Si la question est intéressante intellectuellement, posée aussi abruptement, elle oblige le client à exprimer et à étayer sa position et à la défendre de plus belle.

L’enjeu ne se situe pas tant dans la réponse à apporter à cette objection que dans la mise en place d’une perspective qui aurait permis de l’éviter. Car si un commercial se voit contraint de livrer une bataille désespérée sur son prix, c’est qu’il a probablement déjà perdu la guerre de la valeur.

Mettons-nous d’accord : le prix, c’est ce que vous payez ; la valeur, c’est la totalité de ce que votre achat vous rapportera en échange; le coût, c’est d’un côté la somme de tout ce que vous dépenserez pour cet achat (prix, accessoires, pertes de valeur et d’opportunités, mais aussi les dépenses potentielles liées aux changements induits par l’achat) et, de l’autre, les risques financiers liés à l’inaction ou à un mauvais achat.

Pour commencer, il faut envisager le prix en perspective de ces divers paramètres pour parvenir à créer de la valeur. En ce sens, le terme “low cost” est particulièrement pernicieux, car il s’agit souvent d’un “low price”, offert au détriment d’un “high cost” pour le client, lorsque la mauvaise qualité d’un produit ou d’un service à bas prix trahit les promesses en termes de valeur et oblige à des rachats, voire à des compensations de dégâts.

Évaluer les coûts réels des douleurs que nous soulageons et les bénéfices que nous apportons fait partie intégrante de notre travail de commercial. Cela reste le meilleur moyen pour faire percevoir la valeur de ce que nous apportons réellement à nos clients.

Prenons l’exemple d’un entrepreneur du bâtiment qui trouve vos produits trop chers et plaide qu’un petit distributeur en périphérie lui propose des tarifs 5% inférieurs sur certains articles. Avancer que votre société de négoce lui permet d’avoir un point de retrait à moins de 15 minutes de ses chantiers peut sembler un argument sympathique. Mais si vous calculez avec lui que, pour aller chercher le même matériel, à quelques centimes de moins, il bloque, au moins deux fois par semaine, deux ouvriers qualifiés, 30 minutes à l’aller et autant au retour, alors qu’ils sont payés chacun au minimum 65 euros brut/heure, ce détour lui coûte environ 260 euros par semaine (hors carburant), soit plus de 1.000 euros par mois ou 12.000 par an.

Ajoutez à cela que ses clients risquent de lui reprocher les retards cumulés sur les chantiers dus à ce temps perdu, et vous verrez à quel point cette quête d’économies risque d’abîmer l’inestimable capital que constitue sa réputation professionnelle. Face à cela, l’effort tarifaire demandé sur une plaque de plâtre ou un sac de ciment devient dérisoire.

Outre le fait de renverser le biais d’aversion à la perte qui, jusque-là, se focalisait sur le prix des matériaux, le commercial avisé déplace le biais d’ancrage (notre tendance inconsciente à se fier exagérément au premier chiffre ou repère présenté, qui sert ensuite de référence implicite pour juger ce qui est cher ou pas) en amenant le client à comparer un prix avec un coût bien plus élevé, rendant soudain insignifiantes les prétendues économies réalisées ailleurs.

Ce sont ces mêmes mécanismes de déplacement d’ancres et de diminution d’aversion à la perte qui se jouent lorsqu’un vendeur lisse une différence importante de prix globale sur la durée d’usage d’un produit ou d’un service pour en extraire un coût minime par jour. Cette technique vous fait passer une pilule budgétaire de plusieurs centaines ou milliers d’euros en quelques pièces dépensées par jour, en y ajoutant des analogies du quotidien afin de bien souligner l’innocuité de la dépense.

“Les clients savent qu’un commercial investi et dévoué, cela n’a pas de prix.”

L’idée n’est pas ici de manipuler le client, mais de lui faire dépasser certaines appréhensions psychologiques naturelles, mais objectivement infondées, dans le but d’améliorer sa vie et de lui apporter à terme de la valeur réelle au lieu d’une satisfaction fugace et artificielle provoquée par l’obtention d’une ristourne.

La condition première pour bien maîtriser ces effets de mise en perspective des prix par rapport aux coûts et à la valeur réside dans notre capacité à comprendre réellement les besoins profonds, les aspirations de nos clients et de nous intéresser concrètement à leurs habitudes, leurs cadres de références, leur mode de vie. Car, indépendamment des prix et des coûts, tout client valorise notre investissement relationnel sincère, notre intérêt soutenu et notre désir manifeste de l’accompagner vers la réalisation de ses attentes. Et il sait qu’un commercial investi et dévoué, cela n’a pas de prix.

Retrouvez la chronique de Laurent De Smet, alias Dr Sales, spécialiste dans l’expérience commerciale, managériale et marketing B to B, tous les deuxièmes jeudis du mois dans Trends-Tendances.

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