Dirk et Peter Perquy (Terre Bleue): “La qualité a un prix”
Une marque de mode belge peut-elle s’imposer dans un monde électronique, une économie chroniquement en crise et un secteur dominé par de grandes enseignes internationales? Terre Bleue prouve que c’est le cas, depuis 20 ans.
Nous sommes au siège de Terre Bleue à Nazareth, à proximité de la voie qui relie Gand à Audenarde. Dirk Perquy désigne un portrait peint de son grand-père Maurits: “Il ne cessait de me répéter: ‘Dirk, nous ne serons jamais les moins chers, mais tu ne transigeras pas sur la qualité'”.
C’est en 1938 que Jozef Perquy et son frère ouvrent un grand magasin de vêtements à Nazareth. Ils le baptisent Duror, pour “durable comme de l’or”. “La qualité a toujours été primordiale et elle est devenue notre principal atout”, déclare Dirk Perquy qui a fait du magasin une entreprise propriétaire de ses collections et de ses marques. Et qui a créé il y a 20 ans Terre Bleue, une griffe casual chic dont le succès fut immédiat.
“A la fin des années 1990, nous avons constaté que la mode changeait, se souvient notre hôte. Les gens ont commencé à s’habiller d’une façon plus décontractée, tout en voulant rester élégants. Notre collection de vêtements pour enfants a connu un tel succès que les mamans achetaient les grandes tailles pour elles-mêmes. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé en 2002 une collection de vêtements pour femmes, baptisée Terre Bleue. Pour asseoir sa notoriété, nous avons ouvert notre réseau de boutiques deux ans plus tard. Pendant cette période, nous avons surtout veillé à gérer la croissance: les ventes dépassaient nos attentes les plus folles.” Une collection hommes a suivi en 2009.
Nous mettons un point d’honneur à ce que nos produits soient portés bien plus de sept fois.
Avec Peter Perquy, le fils de Dirk, la quatrième génération a fait cette même année son entrée dans l’entreprise familiale. Mais les temps changent. Le commerce est devenu virtuel et les grandes chaînes comme H&M et Zara ont envahi les rues. Terre Bleue a donc ouvert sa boutique en ligne en 2013.
“C’est le client qui fait le marché, explique Peter Perquy en détaillant sa stratégie de distribution. C’est pourquoi nous assurons une présence aussi large que possible. Terre Bleue est disponible dans les commerces locaux, dans les 15 magasins de la marque (installés en Flandre), ainsi que dans des multimarques comme A.S. Adventure ou Galeria Inno. Nous avons également une boutique en ligne et sommes distribués, via internet également, par des détaillants partenaires.” Peter est CEO de l’entreprise, et donc responsable des opérations, depuis 2019 ; Dirk préside le conseil d’administration.
Employant 350 personnes, Duror Fashion Group réalise 40% de son chiffre d’affaires par le truchement de ses propres canaux (physiques et en ligne) et le reste, par le biais du commerce de gros (fourniture à d’autres magasins, eux aussi physiques et virtuels). Ces chiffres incluent Gigue et Zilton, les autres marques du groupe, acquises en 2017.
Synergies et économies
A l’époque, l’entreprise devait investir massivement dans l’informatique, notamment pour continuer à développer sa boutique virtuelle et installer un nouvel ERP. “Ces rachats nous ont permis de répartir les investissements sur une base plus large, explique Peter Perquy. Ils furent aussi l’occasion de mettre en commun les connaissances et l’expertise des trois enseignes. Et bien sûr, de réaliser des synergies et d’optimiser les coûts.” Le groupe s’est retiré du segment des vêtements pour enfants en 2018. “La pression sur les prix était devenue excessive, résume Dirk Perquy. Les clients jugeaient désormais la collection trop chère. Nous aurions pu faire des compromis sur la qualité, mais c’était évidemment hors de question: notre image en aurait pâti. Nous avons donc abandonné cette activité. La même année, nous avons repris un atelier de confection en Tunisie, ce qui nous a permis de commencer à produire nous-mêmes. Cet atelier emploie 300 personnes ; et travaille aussi pour des tiers.”
“La rapidité avec laquelle les entreprises familiales peuvent prendre des décisions est un véritable atout, estime Peter Perquy. Nous n’agissons en outre que dans une perspective de long terme. Nous n’avons par exemple pas massivement licencié pendant la crise sanitaire. L’époque a été difficile. Mais nous avons continué à investir, grâce notamment aux économies d’échelle. Economiser où c’est possible et investir où c’est impératif, telle a été notre devise au cours de ces années difficiles.”
Les confinements dus aux deux premières vagues de contaminations ont fait de 2019-2020 une année désastreuse. L’entreprise a clos l’exercice 2020-2021 en équilibre, bien qu’avec un chiffre d’affaires modeste: 10,7 millions d’euros “grâce notamment aux aides du gouvernement”, souligne notre interlocuteur. Pour l’exercice 2021-2022 récemment achevé, le chiffre reste inférieur de 10% à ce qu’il était avant la crise, mais la rentabilité a renoué avec un “niveau acceptable”. Reste à savoir de quoi sera fait l’avenir. L’inflation galopante et la crise énergétique laissent présager le pire. “Tout porte à croire que les ventes vont souffrir, annonce le CEO. Nous avions espéré une reprise post-crise sanitaire, mais il n’en sera rien. Mon père m’a appris que les ventes de vêtements dépendent dans une très large mesure de la confiance des consommateurs. Donc, dans ce domaine, l’heure n’est pas à l’optimisme. Je pense toutefois que le manque à gagner restera gérable.”
Inflation et durabilité
L’inflation galopante et la hausse des dépenses salariales obligeront Duror à relever ses étiquettes. “C’est inévitable, si nous voulons garantir la même qualité, poursuit Peter Perquy. Mais les consommateurs sont prêts à payer pour cela. Notre secteur a ceci de particulier que tous les six mois, il doit réussir à concevoir une collection apte à séduire. Plus encore quand les temps sont difficiles.” Le CEO aimerait en outre mettre davantage en avant l’aspect durable de la griffe Terre Bleue. La référence à la planète bleue n’a pas été choisie par hasard, le nom de Duror, non plus… Pour Terre Bleue, développement durable et responsabilité sociétale commencent en tout cas par la qualité des vêtements, conçus pour procurer du plaisir longtemps. Ce qui exige une coupe parfaite, un style intemporel et une sélection rigoureuse des matières. “Un vêtement est porté sept fois en moyenne avant d’aller grossir la montagne de déchets, déplore Peter Perquy. Ce qui ne prend généralement pas plus d’une année. La pression sur l’environnement est donc colossale. Pour lutter contre cette culture du jetable, nous mettons un point d’honneur à ce que nos produits soient portés bien plus de sept fois. Nous tentons donc de les rendre aussi beaux que possible ; nous effectuons des tests de résistance au lavage et au rétrécissement et vérifions la solidité des couleurs. Chaque prototype est d’abord porté plusieurs fois par les membres du personnel: c’est ce qui nous distingue des autres. Enfin, nous avons conclu un partenariat avec Dressr pour que nos vêtements soient disponibles sur le marché de la location aussi.”
Côté production, Terre Bleue ne conclut que des partenariats pérennes, notamment au Portugal. “Nous attachons énormément d’importance aux valeurs éthiques et responsables de la production, insiste Peter Perquy. Dans notre atelier tunisien, nous avons imposé des normes de respect mutuel et rémunérons équitablement le personnel. Et nous faisons signer à nos autres partenaires un code de déontologie qui les oblige à garantir un environnement de travail et une rémunération dignes et interdit le travail des enfants.”
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