Devoir de vigilance des entreprises : “La Belgique a joué un rôle clé dans cet accord historique”

Une proposition finale de loi sur le devoir de vigilance des entreprises (CSDD), est (enfin) sur la table du parlement européen. Son introduction serait progressive et sous une forme atténuée. Retour sur cette avancée avec Marek Hudon, observateur des régulations européennes et professeur à la Solvay Brussels School (ULB).

Cet accord est-il une surprise ?


Soyons honnêtes, il y avait beaucoup de scepticisme il y a encore une semaine sur les chances d’aboutir à un accord sur le devoir de vigilance. Tout le monde s’accordait cependant à dire qu’il représentait une pierre angulaire du Green Deal. Mais, les demandes de pause environnementale des représentants de certaines entreprises et d’acteurs politiques plus conservateurs, le « push-back », faisait penser que l’accord n’allait pas être atteint. C’était soit aujourd’hui ou alors, dans très longtemps vu les élections européennes qui se rapprochent.

Comment est-on arrivé à ce retournement de situation ?


On peut lancer un petit cocorico belge. La Belgique avait, en effet, un rôle-clé vu qu’elle assume la présidence du conseil européen. Les négociateurs ont réussi à trouver un compromis qui, bien que touchant moins d’entreprises directement, ouvre la voie à des progrès significatifs. Saluons également la diplomatie belge pour cet incroyable exercice d’équilibriste dans les négociations entre des Etats aux sensibilités variées. Leur contribution a été essentielle pour parvenir à cet accord historique. C’est un pas en avant crucial dans la lutte contre le changement climatique et le respect des droits humains. C’est assez exceptionnel ce que la Belgique a réussi à obtenir.

Marek Hudon © pg

Quel sera son impact ?


Il y a un impact direct et indirect. Direct car il imposera aux plus grandes entreprises d’analyser les impacts négatifs de leur activité sur les droits humains et l’environnement. L’impact est aussi probablement indirect à deux niveaux. Tout d’abord, les grandes entreprises auront fréquemment besoin d’informations de leurs sous-traitants pour analyser leur propre impact. Même si les derniers jours de négociation ont vu le seuil minimum des entreprises concernées fortement augmenter afin d’avoir le soutien d’une majorité d’Etats, beaucoup d’autres entreprises seront indirectement concernées à court, moyen ou plus long terme. De plus, le CSDD sera un outil utile voire indispensable dans l’ensemble du dispositif européen. Ce sont là une foule de nouveaux outils et des données que les entreprises pourront mobiliser en interne si elles le désirent.

Le devoir de vigilance en droit européen (CSDD pour Corporate Sustainability Due Diligence Directive) représente une norme juridique visant à responsabiliser les entreprises pour leurs impacts sociaux et environnementaux et à promouvoir des pratiques commerciales durables et respectueuses des droits de l’homme. Cette notion a gagné en importance dans le contexte de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et de la durabilité.

Certains observateurs évoquent une proposition “diluée”, expliquez-nous. 

Il y a eu une forte diminution du nombre d’entreprises qui seront concernées par la directive. Au lieu de toutes les entreprises employant 500 personnes et réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 150 millions d’euros, seules les entreprises employant 1 000 personnes et réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 450 millions d’euros devront se conformer à la loi. Les secteurs dits à haut risque ont également été supprimés : la proposition initiale identifiait des secteurs, dont la construction et le textile, où le risque de conflit en matière de droits de l’homme ou d’environnement est élevé.

La lecture positive des choses, c’est que cela va pousser les entreprises à mieux comprendre ce qui se passe à l’intérieur de leur chaîne de valeur. Certaines le font déjà, c’est le cas de certaines très grandes organisations qui ont souvent les moyens d’implémenter ces mécanismes. Ce qui est sûr, c’est que, si cela devait toucher dans quelques mois les PME, ce serait plus compliqué à mettre en place mais ce n’est globalement pas le cas à mon avis.

Que va-t-il maintenant se passer ?


Le texte de l’accord doit maintenant repasser devant le parlement européen pour sa dernière séance d’avril. Ce n’est donc pas tout à fait dans la poche. Espérons qu’il n’y aura pas un nouveau retournement car il est grand temps que l’on aboutisse à un accord clair, cette incertitude me semble nuisible. Les lobbys, surtout des entreprises industrielles, notamment en Allemagne, restent puissant. On ne peut donc pas encore garantir que cela va passer. On se rend compte à quel point on est dans une situation exceptionnelle en termes de voix de négociation et de l’influence de ces lobbies. On se situe à un moment crucial de décisions. En fin de législature du parlement européen, toutes les ambitions de Green Deal aboutissent en même temps sur la table des négociations, après des mois, voire des années de préparation. Cela complique sans doute aussi la donne.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content