Décès de Bernard Tapie: la belge histoire de Nanard
C’est par le prisme du sport que l’homme d’affaires français a découvert la Belgique. L’usine Donnay, d’abord, qu’il a tenté de relever. Le football, ensuite, qui lui a donné la gloire et certaines amitiés. Bilan impressionniste de la belgitude de Tapie.
Ce jour-là, Benoît Poelvoorde était arrivé en bermuda, les chaussettes bien relevées au sommet du mollet. Il faut dire qu’il faisait chaud, très chaud, en ce 7 juillet 1998 et que le jeune trentenaire se moquait royalement de la bienséance vestimentaire. A l’époque, j’avais eu l’idée saugrenue de proposer au comédien belge une interview croisée avec Bernard Tapie, alors de passage à Bruxelles pour la promotion de son livre Librement, écrit en prison après sa condamnation dans l’affaire OM-Valenciennes.
Tiré à quatre épingles, “Nanard” se demandait un peu ce qu’il faisait dans cette chambre d’hôtel, face à cet individu aux genoux dénudés et au verbe taquin. La rencontre avait été électrique: Poelvoorde avait pris la peine de lire l’ouvrage de Tapie et ne se gênait pas pour lui lancer quelques piques. Mais ce duel à fleurets mouchetés reflétait assez bien, au final, ce sentiment qui a longtemps prévalu entre l’homme d’affaires et la Belgique: une espèce de Je t’aime moi non plus au parfum doux-amer.
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Le messie de Couvin
L’histoire belge de Tapie commence avec l’usine Donnay qu’il décide de sauver en 1988. L’équipementier sportif est en fâcheuse posture financière et le serial entrepreneur français apparaît donc comme le messie dans la région de Couvin. Avec son look de winner idéal, il redonne de l’espoir à des centaines de travailleurs, boostés par les sauvetages à répétition de l’homme d’affaires, des piles Wonder au distributeur bio La Vie Claire en passant par les balances Terraillon, les cycles Look et les machines Testut. “Vous êtes la première mais pas la dernière société avec laquelle je fais l’amour en Belgique”, lance-t-il alors goguenard devant un personnel conquis.
Mais comme dans le célèbre roman de Frédéric Beigbeder, cet amour tennistique ne durera que trois ans. En 1991, l’homme d’affaires revend en effet Donnay aux Italiens de Carbone Valley pour mieux se concentrer sur son nouveau défi: la marque Adidas qu’il a rachetée quelques mois plus tôt et qu’il veut sortir du gouffre financier. Il revendra la société “repimpée” deux ans plus tard à un autre businessman, Robert Louis-Dreyfus. Celui-ci deviendra ensuite l’actionnaire principal de l’Olympique de Marseille en 1996, puis du Standard de Liège aux côtés d’un certain Lucien D’Onofrio, agent de joueurs, homme fort de Sclessin (de 1998 à 2011) et surtout ami très proche de Bernard Tapie.
Champion d’Europe, une fois
Indissociable du parcours de “Nanard”, le football a en effet dicté le rythme de ses relations franco-belges. Lorsque l’homme d’affaires rachète cette autre entreprise qu’est l’Olympique de Marseille en 1986, c’est en effet un “echte” Bruxellois, l’entraîneur Raymond Goethals, qui lui offre le trophée ultime sept ans plus tard, à savoir la Ligue des Champions, seule et unique coupe d’Europe remportée par un club français à ce jour.
A plusieurs reprises, Bernard Tapie fera d’ailleurs des allers-retours à Liège pour assister à plusieurs matchs du Standard et, surtout, pour y parler business. On le verra par exemple à Sclessin en avril 2008, accompagné de la star française Zinédine Zidane, ex- capitaine des Bleus, venu remettre le Soulier d’Or au tout jeune Diable Rouge Steven Defour. La relation privilégiée de Tapie avec Lucien D’Onofrio l’introduira dans les hautes sphères liégeoises où il se liera également d’amitié avec François Fornieri, cofondateur de la société pharmaceutique Mithra et ancien administrateur de Nethys, le holding qui possédait encore, jusqu’en 2019, 11% du groupe de presse La Provence aux côtés de l’actionnaire majoritaire… Bernard Tapie.
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Nanard le taulard
Mais c’est aussi le football qui sera au coeur de ses premiers ennuis judiciaires et qui le conduira derrière les barreaux. Condamné en 1996 à deux ans de prison dont huit mois ferme (il en fera six) dans l’affaire du match truqué OM-Valenciennes, il couchera son expérience carcérale sur papier dans le livre Librement dont il fera la promotion en France et en Belgique à l’été 1998. A cette époque, l’homme est déjà une icône lorsque je lui propose une interview croisée avec Benoît Poelvoorde à l’hôtel Amigo de Bruxelles, une ancienne prison reconvertie en un établissement de luxe…
Successivement chanteur, ingénieur, chef d’entreprise, animateur télé, président de club de football, député, conseiller régional, ministre de la Ville sous François Mitterrand et acteur dans un film de Lelouch, Bernard Tapie en impose par sa gouaille et son parcours unique. C’est une vraie pile électrique, et Poelvoorde ne s’y trompe d’ailleurs pas lorsqu’il lance au Français: “Vos proches n’ont-ils pas tendance à vous dire de la mettre un peu en veilleuse?” Ce à quoi Tapie répond, touché: “Et comment! Ils ont carrément tendance à l’exiger parce qu’ils me l’avaient déjà demandé avant (la prison, Ndlr) et que je n’en ai pas tenu compte. La souffrance que j’ai créée existe indépendamment de la faute que j’ai vraiment commise. J’ai un fils qui a failli mourir parce qu’il ne supportait plus tout ce qui se passait. Tout ce que je véhiculais a fait que ce môme a failli disjoncter.”
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Toujours la pêche
Vingt ans plus tard, je retrouve Bernard Tapie au coeur de la Cité ardente, quelques heures avant une conférence qu’il va donner au cercle d’affaires B19 Liège-Bocholtz. Nous sommes en 2018 et le cancer lui a déjà “bouffé les deux tiers de l’estomac”, comme il dit. L’homme n’en reste pas moins fascinant. A 75 ans, il est un peu fatigué, certes, mais il affiche toujours cet aplomb incroyable, malgré la maladie.
Cette fois, l’exercice est différent. Il n’est plus en présence d’un “inconnu” qui doute de sa sincérité mais face à son ami François Fornieri qui l’a convié à Liège et avec qui il discutera en tête-à-tête, une heure durant, en exclusivité pour Trends-Tendances. Inévitablement, la Belgique pointe le bout de son nez dans cet entretien singulier où les deux hommes évoquent un projet commun qui, finalement, n’aboutira jamais. Mais ce sont surtout leurs considérations sur la vie et l’entrepreneuriat qui émergent dans cette interview croisée.
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Premier bilan
Empêtré dans les ennuis judiciaires tant en France qu’en Belgique avec l’établissement de diverses sociétés qui lui donnent du fil à retordre (GBT Holding, AMS, International Stadium Poker Tour Holding…), Bernard Tapie y dresse le bilan son existence: “J’ai commencé à être connu non pas parce que j’étais entrepreneur, mais parce que je faisais des émissions à la télé qui donnaient le goût d’entreprendre, confiait-il alors. Moi, cela ne me plaisait pas d’être seulement entrepreneur. J’avais envie de partager cela avec le plus grand nombre et il ne se passe pas un jour que le Bon Dieu fait – j’insiste, pas un jour – sans que je reçoive, par courrier ou par contact direct, un mot ou un témoignage qui dit: ‘Bernard, c’est en regardant votre émission Ambitions dans les années 1980 que je suis devenu ce que je suis’. Au-delà de tout ça, ma priorité, c’est de réussir ma vie. Alors, d’un côté, j’ai connu la gloire, j’ai fait de la politique, j’ai vécu la taule… Mais je m’en bats les couilles! Moi, ma vie, c’est 42 ans avec la même femme, mes quatre enfants, mes neuf petits-enfants et un arrière-petit-enfant.”
Du pur Nanard.
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