Cultivaé veut établir un lien de confiance entre agriculteurs et agro-industriels

CULTIVAÉ entend relocaliser la production d’orge si chère à nos brasseurs belges.
Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

La coopérative wallonne Cultivaé souhaite recréer de nouvelles filières de productions en agriculture régénérative et bas carbone. Son objectif ? Valoriser les productions agricoles auprès des agroindustriels. Elle a par exemple relancé l’orge brassicole wallon avec un certain succès et des partenaires de choix.

Oui, on peut travailler avec des géants de l’agroalimentaire correctement”, clame Olivier Debehogne, responsable du développement de Cultivaé, une coopérative agricole wallonne créée il y a sept ans, qui fait office de liant entre les agricultures et l’agro- industrie alimentaire. Son objectif ? Valoriser les productions agricoles auprès des agro-industriels et rééquilibrer la chaîne alimentaire en assurant un revenu décent à l’agriculteur sans conséquence pour le portefeuille du consommateur.

Pour cela, la coopérative mise sur la qualité de ses produits ainsi que des normes environnementales très strictes. “On travaille en agriculture régénérative tant sur le conventionnel que le bio”, explique le responsable qui détaille les cinq piliers sur lesquels se base ce type d’agriculture. “La stimulation de la fertilité naturelle des sols en réduisant les intrants chimiques, la maximisation de la couverture du sol avec des plantes vivantes, la diversification et l’allongement des rotations culturales ainsi que la réduction du travail du sol en favorisant la biodiversité par la réintégration de l’élevage et de l’agroforesterie.”

Quatre missions entourent la coopérative agroécologique créée par Catherine Marlier et Nicolas Verschuere : régénérer les sols et le vivant, rémunérer équitablement les agriculteurs, réduire les émissions carbone et nourrir sainement les hommes. Pour atteindre leurs objectifs, les cofondateurs développent alors des filières alimentaires. “L’agriculture wallonne a été fortement orientée vers l’alimentation pour le bétail et relativement peu vers l’alimentation humaine alors que nous avons des terres extrêmement fertiles”, souligne Olivier Debehogne. Aujourd’hui, la coopérative a développé une dizaine de filières alimentaires qui se déclinent tant en conventionnel qu’en bio : orge brassicole, froment, seigle, épeautre, avoine, lin, moutarde, pois et colza pour ne citer que celles-là.

L’orge brassicole

C’est avec la filière de l’orge brassicole que tout a commencé et que la coopérative a réellement pris de l’ampleur. De cinq agriculteurs en 2016, elle est passée à 40 en 2023, et en compte aujourd’hui plus d’une centaine. “Ça a vraiment explosé sous la traction de la filière de l’orge”, se réjouit le responsable. Cette année, il s’agit de la huitième récolte consécutive en orge et grâce à ces 810 hectares semés, la coopérative estime pouvoir récolter 4.000 tonnes d’orge. “Ce qui représente 100 millions de verres de bière”, illustre Olivier Debehogne. Grâce à cette filière, Cultivaé entend relocaliser la production d’orge si chère à notre pays et à nos brasseurs belges qui, la plupart du temps, doivent utiliser de l’orge issue de l’étranger. Actuellement, 2% environ de l’orge transformée par les malteries belges proviennent du Plat Pays. “Ce qui est tout de même paradoxal”, note le responsable.

Si toute la production de bière en Belgique, estimée à 23 millions d’hectolitres l’an dernier, ne peut être réalisée à partir d’orge locale, compte tenu du peu de superficies disponibles, cela n’empêche pas Cultivaé de vouloir contribuer à l’industrie. Elle s’est ainsi associée à Belgomalt, une filiale du géant anversois Boortmalt et a développé Pure Local, une chaîne d’approvisionnement reliant agriculteurs et brasseurs, afin de structurer sa filière. Plusieurs brasseries s’inscrivent dans ce projet comme Bertinchamps, Valduc, Brussels Beer Projet ainsi que de plus gros acteurs comme Huyghe qui produit notamment la Delirium ou encore la brasserie Lefebvre.

“L’agriculture wallonne a été fortement orientée vers l’alimentation pour le bétail et relativement peu vers l’alimentation humaine.” – Olivier Debehogne

La culture d’orge brassicole, c’est aussi ce qui a convaincu Michel, agriculteur depuis plus de 30 ans de rejoindre la coopérative. “C’est en allant aider à moissonner de l’orge chez un agriculteur à Perwez que tout a commencé”, se rappelle l’agriculteur frappé par le rendu visuel de la culture. “Ma première réaction a été de le plaindre en me disant qu’il n’allait rien gagner avec ça, ajoute-t-il. Jusqu’à ce qu’il me démontre la rentabilité de sa culture notamment grâce au soutien de la coopérative.” En plus des betteraves, du lin et du colza, Michel s’est donc également mis à l’orge brassicole et a semé environ 11 hectares. “C’est la deuxième récolte cette année”, précise-t-il.

Rémunération équitable

Il faut dire que parmi les promesses de la coopérative se trouve la rémunération équitable des agriculteurs. Aujourd’hui, le revenu de ces derniers dépend de variables extrêmement volatiles à savoir les cours de marché des matières premières et la météo de plus en plus capricieuse. “Deux variables sur lesquelles l’agriculteur n’a aucune prise”, pointe Olivier Debehogne. Cutivaé s’occupe alors des négociations avec les industriels et propose des contrats fixes pour minimum un an. “Nous sommes en train d’établir des contrats-cadres pour les cinq prochaines années avec certains partenaires”, ajoute-t-il.

Grâce à ses négociations, Cultivaé est capable de rémunérer équitablement l’agriculteur qui touche un prix pour sa production, mais également des primes selon son niveau de certification et ses pratiques régénératives

Grâce à ses négociations, Cultivaé est capable de rémunérer équitablement l’agriculteur qui touche un prix pour sa production, mais également des primes selon son niveau de certification et ses pratiques régénératives. La coopérative, elle, intervient via deux niveaux : les coûts d’opération qui englobent la réception, l’analyse, le stockage et l’envoi de la marchandise et les coûts de certification liés au cahier des charges avec ses partenaires par exemple.

Cette rémunération équitable peut globalement se faire sans trop de conséquences sur le portefeuille des consommateurs. “Indépendamment du prix final, il s’agit en fait de mieux redistribuer la valeur tout au long de la chaîne alimentaire, précise le responsable. Ce qui n’empêche pas d’avoir une réflexion sur le prix consommateur afin de rendre la différence des produits tangibles. De manière générale, c’est le volet local qui justifie la hausse de prix des agro- industriels, mais progressivement je pense que le volet régénératif va devenir de plus en plus important.”

Aujourd’hui, Cutivaé compte une dizaine de partenaires stratégiques, dont des géants agroalimentaires comme Puratos ou Danone qui lui achète de l’avoine pour son lait végétal. “Nos clients acceptent d’acheter nos productions à un prix plus élevé que celui du marché, détaille le responsable. C’est important d’être différenciant pour convaincre ces acteurs de payer plus cher.” Et pour justifier cette différence, Cultivaé s’appuie sur deux partenaires : le premier Regenacterre garantit une certification de production agricole bas carbone et respectueuse de l’environnement ; le deuxième Soil Capital réalise des bilans carbone pour les cultures certifiées. “Pour chaque tonne de CO2 captée, les agriculteurs génèrent des certificats valorisés auprès des entreprises agroalimentaires et qui leur permettent ainsi d’obtenir une prime complémentaire”, précise Olivier Debehogne. Ces deux partenaires offrent une véritable différenciation des produits. L’orge par exemple peut être achetée à un niveau d’émission carbone neutre, voire légèrement négative. “Ce qui justifie de payer un peu plus pour l’agro-industrie.”

Aujourd’hui, Cultivaé compte poursuivre sa croissance en établissant des partenariats avec d’autres coopératives en Belgique. “On veut exploiter ce qui existe déjà et apporter notre plus-value en matière de gestion de prix, des contrats et des certifications.” La coopérative espère multiplier par dix ses récoltes et son impact sur l’agriculture wallonne dans les cinq ans.

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