Coupe du Monde au Qatar: le malaise des sponsors des Diables rouges
Les sponsors officiels des Diables rouges sont tiraillés entre festivités publicitaires et boycott du tournoi. Petit tour d’horizon de ces marques qui doivent composer avec la ferveur des supporters et les critiques de leurs clients.
Le grand écart. Voilà comment on pourrait résumer, avec une figure non footballistique, la position des sponsors des Diables rouges vis-à-vis la Coupe du monde au Qatar. L’exercice de style, il est vrai, n’est pas des plus aisés pour les 14 marques partenaires de l’Union belge de football. En clair, il s’agit de concilier l’enthousiasme du sponsoring dans le cadre d’un grand événement sportif et cette gêne – mal dissimulée – d’être associée au bad buzz qui stagne autour de la Coupe du monde de football. Depuis plusieurs mois, le “Qatar bashing” s’est en effet invité dans la compétition en raison des droits fondamentaux bafoués par l’émirat et de ces stades climatisés qui défrayent toujours la chronique écologique.
Contrairement aux autres sponsors, il n’y a pour nous aucun malaise à participer aux festivités.” – FLORENCE BRIBOSIA (BESIX)
Pour éviter le retour de boomerang médiatique, la plupart des sponsors officiels ont donc adopté la même stratégie un peu schizophrénique: soutenir les Diables rouges en Belgique en faisant l’impasse sur le tournoi proprement dit. “Le respect de chaque individu est une valeur fondamentale pour Proximus, résume ainsi son porte-parole Haroun Fenaux. Aucun membre de la direction ne fera le déplacement au Qatar et nous n’y inviterons pas de partenaires. Nous ne distribuerons pas non plus de places dans le cadre de concours ou de programmes de fidélité. Les activités de sponsoring seront menées en Belgique. Le but est de focaliser l’attention sur l’action sportive des Diables rouges car nous sommes sponsors des Diables, pas de la compétition.”
Vive les Diables… en Belgique!
Même son de cloche chez la plupart des sponsors officiels qui évitent, eux aussi, un trop sulfureux voyage au Qatar et concentrent dès lors leurs campagnes sur l’équipe nationale. Tout l’art de leur communication – de leur hypocrisie, diront certains – tient précisément dans ce paradoxe: il s’agit de s’afficher festif dans la glorification des Diables rouges à la Coupe du monde… sans évoquer cette même Coupe du monde!
L’exercice de haute voltige se remarque non seulement dans les opérations publicitaires menées par les sponsors officiels mais aussi dans leurs communiqués de presse. Ainsi, la marque Jupiler, qui soutient l’équipe nationale depuis plus de 30 ans déjà, ne cite pas une seule fois le nom du Qatar lorsqu’elle présente son “hymne des supporters” dans le cadre de sa nouvelle campagne #Believe dédiée aux Diables rouges. Délibérément “local”, le spot télé du brasseur réalisé pour la Coupe du monde se focalise ainsi sur la Belgique en magnifiant les supporters restés au pays. “La stratégie marketing de Jupiler n’inclut pas l’envoi de fans à ce tournoi et se concentrera sur des campagnes locales, confirme Pascaline Van de Perre, porte-parole du groupe AB InBev. Mais nous sommes convaincus que le sport peut être une force de changement positif et que nos marques peuvent en faire partie.”
“Un levier du changement positif”
Même tactique délicate pour Coca-Cola Belgique dont les affiches publicitaires à l’honneur des Diables rouges ont commencé à garnir les abribus du pays au début de ce mois de novembre. Eden Hazard, Thibault Courtois et compagnie sont les indéniables stars de la campagne “La magie d’y croire” mais sans aucune référence à la compétition qatarienne sur l’affiche. En revanche, le groupe Coca-Cola est également sponsor de la Fifa à l’échelle internationale et il est, à ce titre, éminemment associé à la promotion de cette Coupe du monde, mais avec une vraie mission sociale, comme le souligne la directrice marketing de la filiale belge: “Nous sommes conscients des problématiques qui occupent le pays hôte, précise Aline Lemaire, mais le but de cette Coupe du monde est justement d’induire un changement positif et des réformes au Qatar. Nous pensons dès lors qu’il faut collaborer avec toutes les parties prenantes pour faire avancer les choses.”
Utiliser ce tournoi “comme un levier du changement positif au Qatar”, c’est aussi le discours tenu par un autre sponsor officiel des Diables rouges, en l’occurrence Carrefour, pour justifier l’activation de sa nouvelle campagne marketing. La chaîne de supermarchés mettra délibérément “le focus sur la prestation des Diables”, dixit sa responsable communication Aurélie Gerth, notamment à travers une action épargne autour de l’album Panini, mais elle n’enverra aucune délégation à la Coupe du monde. Une prise de position également partagée par un autre sponsor de l’équipe nationale, Lotto, qui reste lui aussi sagement au pays mais qui en profite tout même pour ajouter un million d’euros dans son “Jackpot” festif en l’honneur des Diables rouges.
Boycott total
Certains sponsors de l’Union belge de football vont cependant plus loin dans leur boycott et ont même décidé de ne pas communiquer du tout pendant la Coupe du monde. “Nous n’enverrons aucune délégation ni aucun client au Qatar et il n’y aura aucune publicité d’ING autour des Diables rouges durant cette période, que ce soit en télé, en radio ou en affichage, tranche le porte-parole Renaud Deschamps. Nous ne soutenons pas la Coupe du monde au Qatar, notre position est claire et nous adoptons dès lors un profil bas durant la compétition.”
Red, la mascotte officielle des Diables qui arbore le logo ING, ne sera pas non plus du voyage vers le golfe Arabo-Persique. Elle restera à la maison, même si Renaud Deschamps n’exclut pas “une présence de la mascotte pour d’autres actions plus générales ou événements”. Toutefois, la marque ING sera bien présente au Qatar “malgré elle” puisque les trois lettres de la banque s’afficheront sur les barrières et les maillots des Diables rouges durant les séances d’entraînement à la Coupe du monde. Une situation paradoxale que la marque qualifie elle-même de “schizophrénique” mais qu’elle ne peut éviter en raison de ses engagements contractuels avec l’Union belge de football…
Seul contre tous
Contrairement à ce qui a été relayé par certains médias, les 14 sponsors officiels de l’équipe nationale belge n’ont pris aucune décision collégiale concernant leur participation à la Coupe du monde. Aucune déclaration commune n’a été signée et chacun fait ce qui lui plaît. Si la grande majorité des partenaires des Diables rouges ne se rendra pas au Qatar, l’un d’entre eux tient cependant à se désolidariser des 13 autres sponsors officiels, étant donné la nature de ses activités sur place. “Nous ne sommes pas pour le boycott car nous avons des activités au Qatar, explique Florence Bribosia, chargée de communication du groupe de construction de Besix. Nous n’emmènerons pas de clients potentiels là-bas mais nous avons des collaborateurs à Doha et nous les inviterons volontiers à assister à certains matchs car notre entreprise a participé à la construction de deux stades pour la compétition.”
Actif au Qatar depuis les années 1970, Besix a mené une vingtaine de chantiers là-bas, qui vont de certaines parties de l’aéroport de Doha aux fondations du Musée d’art islamique en passant par des infrastructures de l’île artificielle The Pearl ou des immeubles de prestige comme la tour Qipco au coeur la capitale. L’émirat serait-il pour autant irréprochable aux yeux de Besix dans la polémique qui secoue actuellement le pays sur le respect des droits de l’homme? “Nous sommes très fermes sur le sujet, répond Florence Bribosia, et nous avons d’ailleurs travaillé en étroite collaboration avec plusieurs ONG pour faire positivement avancer les choses en matière de réglementation du travail et de respect des droits de l’homme. Contrairement aux autres sponsors, il n’y a donc pour nous aucun malaise à participer aux festivités de la Coupe du monde au Qatar.”
“Chacun est libre”
Excepté Besix qui revendique sa participation au tournoi en raison de ses activités économiques au Qatar, la grande majorité des sponsors boudera donc le tournoi pour se concentrer uniquement sur le charisme des Diables rouges. A l’Union belge de football, cette posture inédite ne pose aucun problème: “C’est vrai que nos partenaires font le grand écart, reconnaît Manu Leroy, directeur marketing et communications de la fédération, mais nous n’imposons rien et chacun est donc libre de prendre la décision qu’il souhaite dans ce contexte particulier. Au-delà de la polémique, la Coupe du Monde reste un événement sportif et c’est cette dimension-là que nous voulons d’abord mettre en avant.”
L’Union belge ne ferme pas les yeux pour autant et participe d’ailleurs régulièrement à une plateforme de discussion avec Amnesty International et Human Rights Watch pour contribuer au respect des droits de l’homme dans ce contexte sportif. Dans cette logique, le deuxième maillot des Diables rouges au Qatar – celui pour les matchs désignés “en déplacement” – se veut porteur d’un “message fort”, dixit Manu Leroy. Fourni par Adidas, ce maillot blanc sera accompagné d’un imprimé graphique multicolore qui “s’inspire du célèbre feu d’artifice du festival Tomorrowland et représente les valeurs communes de diversité, d’égalité et d’inclusion“, précise le directeur marketing et communications de l’Union belge qui ajoute: “C’est un message beaucoup plus positif que ce qu’a fait l’équipementier Hummel pour le Danemark”. En guise de “protestation contre le Qatar et son bilan en matière des droits de l’homme” (sic), cette marque de sport a conçu, à côté des deux tenues officielles de l’équipe danoise, un troisième maillot complètement noir où même le logo de la fédération disparaît. Un signe de deuil et d’hommage aux travailleurs décédés durant la construction des stades.
Partenaires de prestige
Les 14 sponsors officiels de l’Union belge de football sont, par ordre alphabétique: Adidas, Besix, BMW, Carrefour, Coca-Cola, Connections, Côte d’Or, GLS, Herbalife Nutrition, ING, Jupiler, Lotto, Proximus et PwC. Pour voir son nom associé à l’image porteuse des Diables rouges, chaque société paie annuellement entre 500.000 euros et 1 million (selon les catégories de partenariat) dans des contrats négociés sur quatre ou six ans. Outre une visibilité garantie pour son logo dans chaque match de l’équipe nationale et l’opportunité d’exploiter la “marque” Diables rouges dans sa communication, chaque sponsor reçoit un certain nombre de tickets pour différentes compétitions.
Qatar - Coupe du Monde 2022
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