Comment faire du business au Qatar?
Arabie saoudite, Koweït, Emirats arabes unis, Bahrein, sultanat d’Oman: les pays du Golfe attirent des entreprises du monde entier. Au Qatar, la Belgique ne manque pas à l’appel, pour diverses raisons.
Malgré sa taille réduite et son jeune âge (le pays n’est indépendant que depuis 1971), le Qatar est devenu un acteur économique d’importance. Aujourd’hui très critiqué pour des questions relatives à l’éthique, au respect des droits humains ou au réchauffement climatique, l’Emirat est en effet une région très attractive pour les entreprises.
“Il n’est pas question de dédouaner le Qatar sur certains aspects négatifs autour de la Coupe du monde, mais on se focalise trop sur ces sujets alors qu’il y a une réalité économique énorme et indéniable qu’on ne peut ignorer si l’on veut développer son chiffre d’affaires”, affirme François-Xavier Depireux, Belge et fondateur de la société LD Export, spécialisée dans l’accompagnement des PME dans cette région du globe.
D’une superficie trois fois plus petite que la Belgique et doté d’un marché intérieur très limité (moins de 3 millions d’habitants), “le pays est l’une des nations les plus riches au monde“, rappelle Dominique Delattre, inspecteur général du département géographique de l’Agence wallonne à l’exportation (Awex). Son produit intérieur brut (PIB) par habitant est de 85.660 dollars, à comparer avec les 48.210 dollars du PIB belge par habitant. Une richesse qu’il doit notamment à ses abondantes réserves d’énergie fossile, principalement du gaz naturel.
Diversification
Pour la Belgique, l’Emirat est donc un fournisseur important de gaz, qui représentait jusqu’à 90,64% de nos importations en provenance de ce pays en 2021, et ce bien avant le début de la guerre en Ukraine. Mais il reste un partenaire commercial de moindre envergure: 70e client de la Belgique et 61e de la Wallonie. Dans le sens inverse, les industries chimique et pharmaceutique, les machines et équipements mécaniques et électromécaniques, les métaux et le plastique sont les principaux secteurs d’exportation belges vers le Quatar. Des exportations qui sont passées de 290 millions d’euros en 2020 à 400 millions en 2021 et qui ont même doublé entre 2019 et 2021 au départ de la Wallonie grâce aux secteurs pharmaceutique et chimique (33,04 millions d’euros).
Le Qatar est une porte d’entrée pour se développer au Moyen-Orient. C’est un pays très ouvert qui profite d’un dynamisme en termes d’investissement.” – François-Xavier Depireux (LD export)
L’économie qatarienne reste encore très largement tributaire des hydrocarbures, qui représentent 50% de la création de richesse, 94% des exportations et 80% des recettes budgétaires. Mais le pays est entré dans une nouvelle phase de développement, souhaitant diversifier davantage son économie, avec une croissance également générée par d’autres activités. “Outre l’énergie, les secteurs clés pour les entreprises belges sont la construction, les sports et loisirs, et le tourisme“, souligne Dominique Delattre. “Il y a également des possibilités de développement dans les soins de santé et l’IT”, ajoute François-Xavier Depireux. “Le secteur des énergies renouvelables, de traitement des eaux usées et l’agro-industrie sont également des secteurs où les possibilités de développement sont intéressantes”, explique Qaisar Hijazin, secrétaire général de la chambre de commerce belgo- arabe.
“Le pays essaie de suivre l’évolution de diversification initiée par Dubaï et l’Arabie saoudite il y a déjà quelques années”, analyse l’inspecteur général du département géographique de l’Awex, qui rappelle combien Dubaï est aujourd’hui devenu une place forte commerciale où s’organisent les grands salons internationaux. “Mais si Dubaï a longtemps été privilégié par les entreprises, il y a un intérêt croissant pour les autres pays de la région“, ajoute François-Xavier Depireux.
Petit marché très porteur
Pour les entreprises belges, ces marchés du Golfe sont devenus stratégiques. Du fait d’une production locale limitée, les produits et services en provenance d’Europe sont très recherchés et la demande est en augmentation constante, à destination des 40 millions d’acheteurs potentiels que compte la région. Et grâce à ses investissements emblématiques à l’étranger, le Qatar bénéficie d’un effet loupe démesuré par rapport à son poids réel. Suffisant pour pousser les entreprises belges à y investir? “Cette décision est importante et nécessite une réflexion aboutie, admet Dominique Delattre. Le Qatar va peut-être se retrouver sur la short list des entreprises belges qui souhaitent investir dans la région mais celles-ci privilégieront probablement un autre pays dont la taille du marché est plus importante. Mais le Qatar est une porte d’entrée pour se développer au Moyen-Orient, c’est un pays très ouvert qui profite d’un dynamisme en termes d’investissement.
“Le marché du Qatar est petit, il ne faut pas espérer faire les mêmes volumes qu’en Arabie saoudite”, concède le fondateur de LD Export, installé au Bahreïn depuis cinq ans. Pourtant, cette petite taille, c’est justement ce qui a motivé Châssis Hanin à y tenter l’aventure. “C’était intéressant de pouvoir se lancer sur un marché de la taille de la Wallonie. C’était plus rassurant”, explique Mathilde Rutot, la patronne de l’entreprise, qui a ouvert une antenne à Doha avec peut-être d’autres ambitions pour la suite. “Ce qui fonctionne au Qatar fonctionne dans les autres pays de la région“, rappelle Qaisar Hijazin.
“Le Qatar est intéressant au niveau de la croissance, constate Arnaud Jacquemin, fondateur de l’entreprise belge Univers Drink, qui propose des boissons festives sans alcool et exporte au Qatar depuis huit ans. Le chiffre d’affaires des distributeurs est, proportionnellement à la taille du pays, plus important que d’autres dans la région.” Pour réussir à développer une activité dans l’émirat, un critère premier s’impose de toute façon: la qualité. “Le made in Belgium est reconnu comme un label de qualité”, se réjouit Qaisar Hijazin. Mais un critère qui ne suffit pas forcément. “Même un produit sans concurrence ne suffira pas pour remporter les faveurs d’un décisionnaire local, prévient François-Xavier Depireux. Car au Qatar, la mentalité, la culture, les us et coutumes sont extrêmement différents. Un mot, un geste, un sourire, un froncement de sourcils, un oui, un non, une poignée de mains, une accolade…, tout est dans les détails pour gagner la confiance des futurs partenaires. Mais surtout l’amitié. Elle est ici une valeur relationnelle fondamentale. C’est très différent de l’Asie ou des Etats-Unis.”
C’était intéressant de pouvoir se lancer sur un marché de la taille de la Wallonie, c’était plus rassurant.” – Mathilde Rutot (Châssis Hanin)
Exporter le savoir-faire
Très peu de sociétés belges sont en fait actives au Qatar. La chambre du commerce belgo-arabe estime leur nombre à 40. L’entreprise la plus connue, et présente depuis plusieurs décennies, est le groupe Besix. Mais l’Awex a enregistré 20 à 30 demandes d’information de la part d’entreprises wallonnes en 2021. “Il y a un intérêt particulier pour le Qatar depuis deux ans ; la Coupe du monde offre son lot d’opportunités“, reconnaît François-Xavier Depireux.
Mais justement, du fait des polémiques autour de cette Coupe du monde, peu d’entreprises communiquent aisément sur leurs investissements, évitant désormais de crier sur tous les toits qu’elles commercent avec le Qatar. “Il s’agit de chantiers confidentiels, explique Mathilde Rutot dont l’entreprise dispose d’un bureau permanent à Doha. Evidemment, certains aspects, selon mon regard d’Européenne, pourraient être améliorés, mais j’installe des châssis, je ne fais pas de politique et surtout je ne suis pas donneuse de leçons.” “Ce sont des pays très jeunes, rappelle François-Xavier Depireux. Du point de vue européen, les efforts qu’ils fournissent pour changer ne sont pas suffisants mais en réalité, ils avancent à pas de géant.”
“De mon point de vue, nous exportons le savoir-faire belge, poursuit la responsable de Châssis Hanin. Nous sommes extrêmement bien vus à l’étranger. La spécificité de la Belgique fait que nous avons une certaine facilité à comprendre d’autres cultures.” Un constat partagé par le fondateur de LD Export, qui rappelle combien les Belges ont tendance à se sous-estimer alors qu’ils peuvent offrir une véritable valeur ajoutée.
Les cinq conseils de l’Awex
Vous imaginez exporter vers le Qatar? Voici les cinq conseils de base que prodigue l’Agence wallonne à l’exportation pour améliorer vos chances de réussite commerciale.
1. Prendre contact avec votre conseiller économique et commercial (CEC)
L’Awex conseille d’abord aux entreprises de contacter un de ses conseillers économiques, qui sera informé de toutes les subtilités locales et a développé un réseau sur place. Le CEC peut offrir des conseils sur mesure, des contacts professionnels et même organiser des rencontres.
2. Etre présent
La condition préalable au succès d’un projet commercial dans la région du Golfe est fortement liée à la qualité des relations interpersonnelles. Il est donc vivement conseillé de visiter régulièrement le pays, de participer aux foires commerciales locales et d’organiser des réunions sur place.
3. Etre bien préparé
Les Qatariens sont fréquemment sollicités par les entreprises internationales. Puisque la concurrence est féroce, il importe de tirer le meilleur parti de toute première rencontre en préparant un pitch court mais pertinent. Une fois l’intérêt marqué, vous aurez ensuite toute latitude pour présenter plus précisément votre projet.
4. Trouver le bon partenaire local
Pour être présent commercialement, il est (généralement) nécessaire de travailler avec un partenaire local. Il est primordial de sélectionner quelqu’un de compétent, bien connecté, avec une expérience pertinente. Evitez les agents qui promettent le monde…
5. Eviter les sujets qui fâchent
De juin 2017 à janvier 2021, le Qatar a été soumis à un blocus aérien, terrestre et maritime de l’Arabie saoudite et de ses alliés (Bahreïn et Emirats arabes unis) pour cause, entre autres, de liens présumés avec des groupes extrémistes islamistes. Le blocus est actuellement levé mais des tensions importantes subsistent. Il est donc préférable d’éviter d’exprimer trop ouvertement sa sympathie envers ces pays.
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