Concession de presse en jeu : les défis cruciaux pour la presse, bpost et ses concurrents
bpost risque de perdre sa concession de presse. Ce qui semblait impensable il n’y a encore pas si longtemps pourrait devenir une réalité. Avec quelles conséquences ?
Coup de tonnerre ce week-end. L’Echo et De Tijd ont révélé que la distribution de la presse quotidienne et périodique en Belgique par bpost pourrait vivre ses derniers mois. C’est en tout cas ce qui ressort de la procédure d’appel d’offres européen organisée par le SPF Économie. A en croire le rapport, ce serait le distributeur PPP et Proximy (une filiale du groupe familial français Riccobono ) qui proposait la meilleure offre pour distribuer respectivement les journaux et les magazines. Concrètement, cela voudrait dire que bpost n’a pas pas remporté le marché et risque bien de perdre la concession de la presse.
bpostgroup précise dans un communiqué avoir “lu les articles dans la presse, comme tout le monde, et nous avons appris de la sorte les éventuels derniers développements dans le dossier de la concession de presse. Le Gouvernement belge doit maintenant se prononcer quant à la validité des candidatures et avec quels candidats il entend poursuivre le processus. Nous espérons obtenir rapidement des éclaircissements”.
Rien n’est encore tranché et l’appel d’offres est critiqué. Les éditeurs se plaignent de n’avoir été consultés à aucun moment. Selon La Libre, « les trois soumissionnaires (Bpost, PPP, Proximy) n’ont pas été auditionnés » et il manquerait « des données cruciales dans le cahier des charges, en particulier sur la répartition des abonnés dans le territoire ». Malgré cela, il est cependant peu probable que le kern (le conseil des ministres restreint) puisse complètement ignorer ce rapport. Le gouvernement devrait examiner la question ce lundi après-midi.
Qu’est-ce que la concession presse ?
Cette concession est un contrat attribué par le gouvernement pour la distribution des journaux et magazines en Belgique. Cette concession arrivera à échéance au 31 décembre de cette année. Elle a été attribuée jusqu’à maintenant à bpost, sauf dans certaines villes où PPP est l’opérateur sans pour autant bénéficier de subsides. Notre pays a en effet la spécificité d’encore prendre en charge une partie des coûts de distribution de la presse écrite. Cette année, le gouvernement contribue à hauteur de 175 millions d’euros. Lors du dernier contrôle budgétaire, il a été décidé qu’à partir de la nouvelle concession, qui débute en janvier 2024, cette contribution passerait à 125 millions d’euros. Cette concession court jusqu’à la fin de 2027. Ensuite, en 2028 donc, il y aura encore une nouvelle concession ou une part encore plus importante des coûts devraient être confiés aux éditeurs.
Pourquoi PPP et Proximy seraient de meilleurs candidats?
On ne connaît pas les raisons qui ont motivé le SPF économie à mieux placer PPP et Proximy que Bpost. Ce qui est par contre probable c’est que le SPF Économie se soit montré beaucoup plus strict dans l’attribution du contrat en raison de toute l’agitation des derniers mois autour de bpost. Le dernier appel d’offres s’est fait dans un contexte tendu. On reprochait ainsi au précèdent appel d’offres d’avoir été taillé sur mesure pour bpost avec des critères financiers et les modalités de paiement, ou encore des exigences de qualité irréalistes pour les autres concurrents. Et la révélation de possibles aides d’État illégales et surfacturations par bpost, l’a même poussé à provisionner 75 millions d’euros comme garantie.
Il n’empêche que la nouvelle laisse de nombreux acteurs circonspects. D’autant plus que s’ils remportent la concession, PPP et Proximy devront relever le défi d’établir un réseau couvrant l’ensemble du territoire belge d’ici le 1er juillet 2024. En effet, si la nouvelle concession commence en janvier, le premier semestre 2024 sera encore une période de transition. Ce qui veut dire que même si bpost perd effectivement la concession de presse, elle continuera à acheminer des journaux et des magazines pour six mois. Sauf que développer un service fiable et efficace dans toute la Belgique en peu plus de six mois, c’est court. Très court. De quoi susciter des craintes chez les éditeurs du pays.
Surtout en sachant que PPP distribue déjà des journaux dans un certain nombre de villes telles que Bruxelles, Anvers, Gand et en partie Liège. Or son service se serait fortement dégradé et fait aujourd’hui l’objet de nombreuses critiques. Pire, il y a quelques jours, les éditeurs ont décidé de remettre la distribution de Bruxelles en concurrence, selon La Libre. Autant dire que le choix de PPP pour le niveau national laisse perplexe. Si personne ne crache sur un prix compétitif, il ne doit pas l’être au détriment de la qualité du service aux abonnés. Sinon, c’est une partie du modèle économique de la presse qui s’écroule puisque les abonnés papier restent leur première source de financement.
Un sujet politique
Le sujet est aussi éminemment politique. A six mois des élections, il est même particulièrement délicat. Si certains comme l’Open VLD et la N-VA veulent faire passer le message que le temps d’une bpost vivant au crochet du contribuable est révolu, les partis de gauche, PS en tête, ne peuvent se permettre de mettre en péril des milliers d’emplois.
Près de 4.500 salariés sont impliqués dans le processus de livraison des journaux en Belgique. “L’avenir de nos distributeurs risque d’être impacté”, soulignent les syndicats de bpost. “Leurs contrats de travail pourraient être interrompus, avec comme conséquence qu’ils se retrouvent au chômage.”
D’autant plus que l’activité de distribution de presse représente aussi une part non négligeable de son chiffre d’affaires. Perdre la concession, c’est faire une croix sur les futurs 125 millions d’euros de l’état, mais aussi sur les 345,9 millions de revenus presse enregistrés l’année dernière. Ensemble, cela représente 7,86 % des revenus du groupe. Rappelons aussi que Bpost est cotée en bourse. L’éventuelle perte de la concession pourrait finir de plomber la confiance des actionnaires. Une confiance déjà bancale suite aux différents scandales. En sachant que l’État belge détient 50 % de l’entreprise, ce dernier prend donc le risque de se tirer une balle dans le pied.
Perte de concession ou non, le mal est déjà fait en bourse puisque l’action bpost a perdu plus de 10% lundi matin à la bourse de Bruxelles, après ces informations.
Pas de vrais plan b et un amoncellement de problèmes
Le précédent PDG, Dirk Tirez, avait pourtant déjà préconisé en 2022 de préparer Bpost à la perte de la concession de presse par le biais d’une restructuration et de se concentrer davantage sur le marché des colis. Mais cette piste s’est largement fermée au début de cette année avec la nouvelle convention collective pour 2023-2024 qui stipule qu’il n’y aura pas de restructurations ni de licenciements.
Quoi qu’il en soit, même si elle garde la concession, les prochaines années seront difficiles pour bpost en raison de la contraction du marché du courrier, qui pèse lourdement sur les bénéfices. On ne doit pas non plus oublier qu’un autre défi attend bpost l’année prochaine. Le contrat des services de gestion de compte de trésorerie qu’elle fournit à l’État fédéral court jusqu’en 2024. Il s’agit des fameux “comptes 679”. Bpost reçoit notamment par ces comptes le paiement de la TVA due par les assujettis et le versement d’amendes routières pour le compte de l’État. Or pour cela aussi le gouvernement a lancé un nouvel appel d’offres. Le risque est donc réel que bpost n’obtienne pas plus la concession que le marché de la gestion de trésorerie. Autant dire que les défis à relever par Chris Peeters, le nouveau directeur général de bpost group, semble chaque jour un peu plus grand.
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