Comment les magasins traditionnels résistent à Amazon, Coolblue ou Bol.com
Alors que l’arrivée de Coolblue sur le marché belge francophone se précise et qu’Amazon continue de fidéliser ses clients premium en élargissant son offre, les chaînes traditionnelles organisent la riposte. Omnicanal, service, expérience client, etc. Voici leurs recettes.
Ce sont eux qui donnent aujourd’hui le ” la ” du marché. Ils tirent les prix vers le bas ? Les acteurs traditionnels sont obligés de s’aligner. Ils proposent une livraison gratuite dès le lendemain matin ? Les enseignes sont forcées de suivre, au risque de perdre des parts de marché. Ils, ce sont ces e-commerçants uniquement présents sur le Net. Ces pure players, comme on dit dans le jargon, qui sont venus bousculer des secteurs entiers. Pensez à la chaussure avec Zalando, au livre avec Amazon ou bol.com, à l’électro avec Coolblue, etc. Ayant souvent commencé avec une catégorie de produits, ces géants de l’e-commerce ont considérablement élargi leur assortiment avec le temps. ” On assiste aujourd’hui à une consolidation dans l’e-commerce, assure Gino Van Ossel, professeur de retail marketing à la Vlerick Business School. Les gros joueurs deviennent de plus en plus gros, avec un taux de croissance plus élevé que la croissance du marché dans sa totalité. ”
Dans ce contexte, le défi pour nos enseignes est de fidéliser leurs clients au maximum. Car une fois qu’un client s’habitue à acheter via l’un de ces pure players, il a tendance à augmenter sa fréquence d’achat et à tout acheter au travers de ce canal. ” C’est un peu comme la personne qui vous dit qu’elle achète tout sur Amazon car le choix est immense et les prix sont bas, relève notre observateur. Il y a trois ans, c’est Google qui constituait le principal point de départ du processus d’achat en ligne des Américains. Depuis l’an dernier, c’est Amazon. Et aujourd’hui, avec l’augmentation du m-commerce, le processus d’achat débute directement via l’appli du site. ”
Coolblue en Wallonie cet été
Selon une récente étude de Morgan Stanley, Amazon vend plus de non-alimentaire en France que les enseignes Carrefour ou Leclerc. Chez nous, d’après une source bien informée, Coolblue – ce site d’e-commerce néerlandais spécialisé dans l’électroménager – devrait s’adresser au marché belge francophone (avec un site traduit en français) dès cet été. ” Les acteurs traditionnels ont intérêt à consolider leurs positions, prévient Gino Van Ossel. Car si Coolblue arrive en Wallonie avec un peu de retard avec son site en français et pourrait de ce fait éprouver quelques difficultés à trouver sa place, il propose malgré tout une offre qui n’est pas encore disponible en termes d’assortiment et de conseil. L’entreprise connaît un taux de croissance impressionnant et est leader du marché aux Pays-Bas dans quelques catégories. ”
Face à cette concurrence venue du Net, les acteurs traditionnels passent à l’offensive pour résister et attirer le client. Chacun apporte la réponse qu’il estime la plus adéquate. Coup de projecteur sur les stratégies de trois distributeurs bien connus : Fnac-Darty (Vanden Borre chez nous), Media Markt et les hypermarchés Carrefour.
La Fnac s’est complètement réinventée ces dernières années. Face à la dématérialisation galopante des biens culturels (doublée du piratage) et l’agressivité des géants de l’e-commerce, l’enseigne française a dû trouver la parade pour se maintenir à flot. Il y a tout d’abord le rachat de Darty (Vanden Borre chez nous), qui lui permet de renforcer sa position sur le marché. Et puis toute une série d’alliances stratégiques. Objectif ? Créer un écosystème capable de résister à Amazon. C’est bien simple : en seulement un an, la Fnac s’est alliée à trois entreprises françaises en position de leadership dans leurs secteurs respectifs (Darty dans les produits électroniques, Vivendi dans les contenus et médias, et Deezer dans le streaming musical). Voilà qui devrait permettre à la Fnac de faire face à la dématérialisation de la vidéo et de la musique. “Grâce au partenariat avec Deezer, nous serons capables de prolonger la commercialisation de la musique online”, explique Charles-Henri de Maleissye, CEO belge de Fnac-Vanden Borre.
Imiter le modèle d’Amazon
En France, ces différents partenariats permettent en réalité à la Fnac d’imiter en quelque sorte le modèle d’Amazon. Le succès du géant américain s’est construit sur son programme de fidélisation premium. Les clients s’abonnent pour un montant annuel de 49 euros et peuvent ainsi bénéficier de toute une série de services supplémentaires comme la livraison rapide et gratuite, l’accès à des produits exclusifs, au service cloud, etc. Interrogée par le magazine Challenges, une responsable de la Fnac en France l’affirme : “Nous avons un souci constant, qui a présidé les alliances avec Vivendi et Deezer, de renforcer et enrichir notre programme de fidélité. Une des émanations de ces réflexions est le programme Fnac+ qui agrège les avantages de la carte adhérent et du service de livraison illimitée, et ajoute progressivement des briques de divertissement, à l’instar de ce que proposent nos concurrents pure players, comme Amazon avec son programme premium.” Les abonnés Fnac+, en France, pourront sans doute à l’avenir, en plus de bénéficier de la livraison gratuite, profiter d’avantages sur l’offre de Deezer et les contenus de Canal+ (Vivendi).Chez nous, le programme d’abonnement Fnac+ n’existe pas à ce jour. Il est en revanche possible de se procurer pour 10 euros une carte adhérent qui donne accès à des offres spécifiques et des remises supplémentaires. “Nous n’avons pas à copier le modèle premium d’Amazon car nous offrons déjà la livraison gratuite, assure Charles-Henri de Maleissye. Chez nous, les pure players proposent la livraison gratuite sans abonnement. Nous nous sommes donc alignés.”
“Le produit qu’il veut, quand il veut et où il veut”
Pour le CEO, il est tout à fait possible, en tant que chaîne traditionnelle, de résister à l’essor du clic. Comment ? En mettant en place une stratégie omnicanal. “Nous devons être capables de faire du click&mortar (en ligne et en magasin, Ndlr), explique notre interlocuteur. Le client doit pouvoir disposer du produit qu’il veut, quand il veut, où il veut.” Aujourd’hui, le client Fnac Darty peut commander depuis chez lui ou en magasin, et retirer sa commande dans un point de vente ou se la faire livrer. “Chez Vanden Borre, une commande passée avant 22h30 peut être livrée le lendemain avant 13 h ou en soirée, précise le patron. Le gros électro, lui, est livré à J+1, tandis que les produits moins volumineux peuvent être livrés en deux heures partout en Belgique pendant les heures d’ouverture à condition que le client habite dans un rayon de 20 km autour d’un magasin.”
“Le client a besoin de point de contact”
D’après le CEO, le magasin physique, pour autant qu’il reste connecté, garde toute sa légitimité. “Le client a besoin de points de contact, assure-t-il. D’ailleurs, les pure players eux-mêmes ouvrent des points de vente.” Ils se sont rendu compte que leur chiffre d’affaires en ligne augmentait à proximité de ces points de vente physiques. “Nous devons faire en sorte que le consommateur vive une expérience unique en magasin, affirme le patron. Nos vendeurs doivent être des passionnés, ils doivent par exemple pouvoir donner des informations précises sur les livres. Car si le livre numérique se développe, il ne vient pas pour le moment cannibaliser le livre physique.” Il y a par contre d’autres catégories de produits que la Fnac a dû abandonner. “Nous avons dû nous diversifier, en développant les rayons jouets et papeterie par exemple.”
Media Markt avait bâti son succès sur le modèle du cash&carry (libre-service de gros). Avec deux arguments principaux : le prix et le choix. “Mais elle a perdu l’argument du choix face à l’e-commerce”, souligne Gino Van Ossel. Le prix, quant à lui, “n’est plus différenciateur”, de l’aveu même du CEO pour le Belux Sven Degezelle. “A nous de pouvoir suivre les prix du marché (comprenez les prix pratiqués par les “pure players”, Ndlr), soutient celui-ci. Aujourd’hui, tous nos concurrents qui font bien leur travail affichent à peu de choses près les mêmes prix. Chez Media Markt, nous nous questionnons même sur l’utilité du flyer.” Le groupe a récemment introduit le prix électronique dans tous ses magasins. Le principe ? Les prix peuvent être modifiés à tout moment depuis la centrale. Mais Sven Degezelle l’assure : “Nous ne changeons pas les prix en journée. Vous imaginez le client qui se retrouverait devant un téléviseur et qui verrait le prix changer devant lui en direct ? Car les changements ne se font pas toujours à la baisse…”
“Le magasin ‘en dur’ ne disparaîtra jamais”
Dans ce contexte hyper-concurrentiel, Media Markt a évolué d’un modèle axé sur le produit vers un modèle omnicanal, qui place le client au centre. “Nous sommes passés d’un modèle transactionnel produit-client-magasins physiques, à un modèle 360 degrés, affirme Sven Degezelle. Nous avons rajouté le digital et développé le service.” Pour le responsable, le magasin “en dur” est loin de disparaître. “Il ne disparaîtra sans doute jamais, avance-t-il. Sans stratégie digitale, il ne peut survivre ; mais le digital seul ne peut survivre non plus. Certains pure players se rendent compte qu’il est important de fournir du service aux clients, et que pour certains de ces services, il est nécessaire d’avoir des points de vente physiques. Chez Media Markt, nous ouvrons d’ailleurs des magasins. Avec nos ouvertures dans les hypermarchés Makro, nous atteindrons un total de 28 magasins en Belgique d’ici le mois de mai. S’il est certain que la croissance se trouve sur le digital, environ 86 % du chiffre d’affaires de notre secteur en Belgique sont encore réalisés dans les magasins. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, les jeunes viennent en magasin.”
Un panier moyen moins important en ligne
Pour faire la différence face aux acteurs du Net, Media Markt a fortement investi dans le service. La chaîne propose par exemple la réparation des écrans de smartphones, le transfert des contacts et autres données, la préparation des ordinateurs portables avec l’installation des logiciels de base, etc. L’enseigne a également lancé toute une série de workshops payants (ateliers culinaires, cours de photographie, initiation au pilotage des drones, etc.) qui permettent d’attirer les clients dans les points de vente et de s’assurer les achats impulsifs que le Web peine encore à déclencher. “En ligne, le panier moyen est moins important, assure Sven Degezelle. Or dans un contexte de pression sur les prix, ce sont les achats impulsifs et les ventes attachées qui permettent encore de faire de la marge.”
Nous sommes passés d’un modèle transactionnel produit-client-magasins physiques, à un modèle 360 degrés. Nous avons rajouté le digital et développé le service.” Sven Degezelle, CEO de Media Markt pour le Belux
Fidéliser grâce à la carte d’identité
Les différents services payants proposés par le spécialiste de l’électro lui permettent aussi – et la chaîne ne s’en cache pas – de compenser en partie la livraison gratuite qu’elle est forcée de proposer pour s’aligner sur les pratiques des concurrents. “Que ce soit pour un achat effectué en magasin ou en ligne, nous proposons la livraison express, dans les 24 heures ou sur rendez-vous, détaille le CEO. C’est bpost qui s’occupe de la livraison et cette dernière est gratuite. L’installation, elle, est payante en dessous de 399 euros.” Pour fidéliser ses clients, Media Markt est en train d’évoluer d’un marketing de masse vers un marketing personnalisé. Les clients peuvent, sur base volontaire, s’identifier à l’aide de leur carte d’identité. Ils ne sont plus obligés de conserver les preuves d’achat pour bénéficier des garanties ou encore pour pouvoir effectuer des échanges en magasin. Les clients qui acceptent de s’identifier à l’aide de leur carte d’identité pourraient par exemple bénéficier de l’installation gratuite en dessous de 399 euros. L’enseigne peut quant à elle récolter des données très précises qui lui permettent de proposer des offres pertinentes et même d’anticiper les achats de ses clients.
Déjà fortement concurrencés par des category killers comme Decathlon, Media Markt, Ikea, etc., les rayons non alimentaires des hypermarchés souffrent aussi énormément de l’e-commerce. D’où cette question : les hypermarchés ont-ils perdu la bataille du non-alimentaire face à l’e-commerce ? “Regardez nos prix et le nombre de clients qui viennent dans nos hypermarchés, lance Baptiste van Outryve, porte-parole de Carrefour Belgique. Ce n’est pas ce qui s’appelle perdre la bataille.”
Pas d’e-commerce non alimentaire
De fait, si Carrefour a décidé d’abandonner certains marchés en non-alimentaire suite à la vaste restructuration de 2010, le distributeur français est toujours actif dans pas mal de catégories. Il suffit pour le constater de se balader dans les rayons de son dernier bébé au centre commercial Les Grands Prés, à Mons. Le non-alimentaire compte pas moins de 12 “univers” : les jouets, le saisonnier (rentrée des classes, Halloween, etc.), le bureau (papeterie, imprimantes, etc.), la culture (livres, CD, DVD, bandes dessinées, etc.), le multimédia, la maison, la droguerie, l’animalerie, le sport et les voyages, la mode, la beauté et enfin les articles pour bébés. Carrefour a insufflé à ces différents “univers” un esprit boutique, imitant les différents spécialistes. Ce qui est plus surprenant, c’est qu’à l’heure où tout le monde ne jure plus que par l’omnicanal, la chaîne française ne propose aucun des articles issus de ces différentes catégories en ligne. “L’e-commerce est principalement en alimentaire, confirme Baptiste van Outryve. Mais, nous avons des écrans en magasin qui permettent de visualiser l’entièreté du stock, par exemple pour le gros électro, de commander et de se faire livrer à domicile. C’est également le cas pour les lots de bois, les feux ouverts, les meubles de jardin, etc.”
Le non-alimentaire, porte d’entrée vers le frais
“Carrefour a raté le coup en matière d’e-commerce alimentaire”, estime Gino Van Ossel. Pour l’expert en distribution à la Vlerick Business School, l’enseigne a clairement sous-estimé l’importance du commerce en ligne. Mais il en est convaincu : elle va devoir se lancer dans l’aventure. “C’est inévitable, dit-il. Même si ça prend du temps. En France, le groupe a racheté le pure player Rue du Commerce. Chez nous, il doit se demander s’il va offrir la livraison à domicile ou s’il va plutôt s’orienter vers un click&collect. Car la livraison à domicile coûte cher et elle ne permet pas d’attirer le client en magasin.” Or c’est bien l’objectif : allécher les clients avec des promos sur le non-alimentaire, en espérant leur faire visiter aussi la partie alimentaire et en particulier le frais sur lequel les marges sont encore intéressantes. Chez Carrefour, on insiste sur le fait que “la grande majorité des clients belges font encore leurs courses non alimentaires dans les magasins physiques”. “Aujourd’hui, ce sont les points de vente physiques qui enregistrent la plupart des ventes de petit et gros électro”, relève le porte-parole de la chaîne. Qui rappelle par ailleurs que “nous sommes surtout une enseigne alimentaire avec 440 Carrefour Market.”
“Engager des metteurs en scène”
C’était bien la teneur du discours prononcé il y a quelques semaines par le big boss de Carrefour, George Plassat, qui a souligné que son groupe réalisait désormais 83 % de son chiffre d’affaires dans l’alimentaire. Si l’homme ne veut pas réduire la taille de ses hypers, il concède toutefois qu’il faudra libérer des espaces pour la restauration, des animations diverses et pourquoi pas des salles de sport. “Je pense qu’il faut engager dans notre société des metteurs en scène”, a-t-il expliqué. Objectif : séduire le client, lui faire vivre une expérience particulière. C’est tout le sens du nouveau concept développé par Carrefour chez nous dans ses nouveaux hypermarchés. Montrer les artisans au travail, organiser des ateliers, des dégustations, recréer une ambiance de marché couvert, etc. Au fond, pour résister aux géants de l’e-commerce, Carrefour, dans ses hypers, tente de se montrer en géant du commerce tout court.
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