Comment ce “contrebandier” néerlandais achemine toujours Nike, Lego et Armani en Russie

Une publicité de Nike en Russie, lors du Mondial de 2018. (Photo by Christopher Furlong/Getty Images)

De nombreuses marques occidentales ont quitté la Russie après l’invasion de l’Ukraine. Malgré leurs efforts pour couper les ponts, leurs produits se retrouvent toujours en Russie. C’est notamment à cause du marché gris, florissant. Un homme d’affaires se livre à Reuters.

Comme un parfum de guerre froide et de rideau de fer, lorsque les échanges commerciaux officiels entre la Russie (l’Union soviétique, à l’époque) et le monde occidental étaient rares et devaient se faire via des chemins détournés. Pendant 30 ans de mondialisation, après la chute du mur, les échanges ont pu se faire de manière officielle. Mais depuis, une nouvelle frontière commerciale est apparue. Avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les marques occidentales ont quitté Moscou et de nombreuses sanctions ont été prises contre des hommes et femmes politiques et d’affaires russes (ainsi que leurs entreprises).

Mais l’attrait de la population russe pour des produits occidentaux n’a pas disparu. Et ces produits n’ont pas non plus disparu des magasins russes. C’est le cas de Nike : le fabricant de vêtements, équipements et accessoires sportifs a fermé boutique et quitté la Russie peu après le 24 févier 2022, et a arrêté de vendre à des fournisseurs russes. Mais ses chaussures de football, par exemple, peuvent toujours être achetées sur footballstore.ru.

“Contrebande”

C’est possible grâce à un intermédiaire néerlandais âgé de 40 ans, du nom de Wijnand Herinckx, rapporte Reuters. Il est à la tête d’une entreprise, “florissante”, qui importe de produits de marques qui ont quitté le pays. Avant la guerre, il travaillait pour le groupe de logistique allemand Hellman, aidant des marques étrangères à vendre en Russie sans devoir s’y établir. Mais ce groupe a rapidement quitté le pays après l’invasion, et Herinckx a repris les bureaux et infrastructures informatiques, tout comme une variation du logo, durant une période transitoire (de laquelle il aurait abusé, selon le groupe), pour créer Herinckx Trade Solutions Rus (HTS Rus).

Aujourd’hui, il importe donc différentes marques occidentales en Russie, comme Nike, Lego, Reebok et des montres d’Armani, explique-t-il à Reuters. Les produits sont ensuite mis en vente dans différents magasins russes, dont des grandes chaines du retail, des supermarchés ou des magasins de jouets, comme le montrent des documents d’entreprise et des douanes. Et la sauce prend : les importations globales de produits Nike ont chuté de 80% en 2022, à 20 millions d’euros. Mais en 2023, elles dépassaient les 70 millions d’euros. En tout, environ 70 milliards d’euros de marchandises “parallèles” ont ainsi été importées en Russie, sur les années 2022 et 2023 réunies.

Mais comment s’y prend-il ? Il passe en fait par un réseau d’intermédiaires. Des entreprises qui n’ont aucune connexion apparente avec la Russie, par exemple des détaillants, achètent les marchandises, puis elles sont envoyées en Russie. Via la Turquie souvent, qui n’a pas coupé les connexions avec la Russie comme l’a fait le reste de l’Europe. Herinckx achète d’ailleurs souvent les marchandises auprès de détaillants trucs (la succursale turque de HTS). Mais pas que : pour Lego, le Néerlandais explique qu’une entreprise européenne achète les jouets auprès de la marque, puis HTS Europe les rachète et les envoie à HTS Russie, par camion, en passant par les différentes douanes.

Marché gris

Selon l’enquête de Reuters, ce marché ne viole pas les sanctions sur les exportations vers la Russie : celles-ci concernent plutôt les marchandises industrielles qui peuvent servir l’industrie de l’armement. Herinckx sait qu’il opère sur un marché gris, et qu’il n’a pas les autorisations des marques, mais qu’elles “ne lui disent pas non plus de ne pas le faire.” Selon la loi russe, il est autorisé d’importer des produits étrangers sans l’autorisation de ces marques. Et l’homme d’affaires parle publiquement de son business, car : “ce que nous faisons est chouette, nous en sommes fiers.”

Mais même si ce n’est pas contraire aux sanctions, on peut estimer que ces produits génèrent des taxes et alimentent ainsi la caisse de guerre du Kremlin. Raison pour laquelle les entreprises ont voulu couper les ponts. Les marques sont dans tous les cas fermement opposées à ce trafic. Nike par exemple indique qu’elle n’a aucun lien avec HTS, qu’elle n’a plus d’opérations physiques ou digitales en Russie et qu’elle “n’autorise aucun partenaire de marché à y distribuer des produits.” Elle ajoute qu’elle a également une équipe fait des investigations quant aux chaines de distributions non-autorisées. Si elle arrive à débusquer les intermédiaires, elle pourrait donc arrêter de leur vendre des marchandises.

Lego est également très strict et stipule dans ses contrats que les acheteurs ne peuvent pas revendre les briques et autres jouets à des acteurs russes. “Nous sommes inquiets d’apprendre ce flux de marchandises étant donné que nous avons cessé d’expédier des produits Lego en Russie en mars 2022”, indique l’entreprise. “C’est un problème que nous prenons au sérieux et sur lequel nous agissons, tout en nous assurant que nous respectons les lois et réglementations locales là où nous continuons à opérer.” Le groupe danois dit aussi avoir contacté HTS, pour que ce dernier arrête de mentionner sur son site qu’il “collabore” avec Lego.

Mais est-ce que les produits occidentaux de marques qui ne veulent plus être vendues en Russie vont vraiment disparaître des rayons ? Sans doute que non. D’abord, car sur le plan juridique il pourrait être très compliqué d’intervenir. Ensuite, comme le veut la loi économique : quand il y a demande, il y a offre. Signe, au final, que la propagande anti-occidentale de Poutine ne convainc pas tous les citoyens de la Mère Russie.

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