Castingpar est une pièce centrale des rouages du secteur de la défense wallonne. Cette fonderie de précision est indispensable pour produire de nombreuses pièces clé pour les fabricants d’armes, d’équipements, de chars, d’avions et de navires. Elle joue donc également un rôle important au sein de l’OTAN. Entretien avec le CEO, Philippe Hoste.
Avec la guerre en Ukraine et la hausse des dépenses militaires des États, le secteur de la défense européen est sous le feu des projecteurs. Forte amélioration des perspectives économiques après des années de ralentissement, mots forts pour décrire le phénomène comme “renaissance”, “retour en force”, “retour en grâce”, etc., rallye stratosphérique en bourse… Le récit défraye régulièrement la chronique.
Cette nouvelle success story européenne est aussi une histoire wallonne. En effet, le sud de la Belgique est depuis longue date une terre qui accueille de grands noms historiques de l’industrie de la défense. Locaux, comme la FN Herstal ou John Cockerill, mais aussi internationaux comme Safran et Thalès (deux groupes français qui ont des implantations en Belgique), entre d’autres très nombreux exemples.
Fonderie de précision
Et tous (ou presque) se tournent vers le même fournisseur pour des pièces complexes : Castingpar, une entreprise de fonderie de haute précision établie à Seneffe dans le Hainaut, qui a une usine à Seneffe et une à Charleroi. Elle emploie 220 personnes (dont 180 en Belgique) et a enregistré un chiffre d’affaires de plus de 35 millions d’euros en 2024. Ce dernier pourrait dépasser les 45 millions en 2026. “Nous sommes un acteur important stratégiquement en Wallonie. Nous travaillons avec tous les grands donneurs d’ordre wallons dans le domaine de la défense, comme FN Herstal, John Cockerill, et Safran Aero Boosters, qui a quand même une partie non négligeable dans le domaine de la défense. Et nous travaillons aussi avec Sonaca, Sabca et Sabena Engineering”, détaille le CEO, Philippe Hoste.
Et d’ajouter : “Nous sommes une fonderie de précision. Nous coulons du métal dans des moules de façon à faire des pièces d’une grande complexité, des pièces qui a priori ne peuvent pas se faire par d’autres technologies. Et effectivement, dans le design des armes et des équipements destinés aux militaires, des chars aux navires, il y a assez souvent des pièces d’une complexité importante, avec des cavités, avec des formes géométriques compliquées, qui fait que la technologie de la fonderie s’impose. Castingpar existe depuis presque 60 ans, via deux fonderies séparées, Precismetal et Settas, qui se sont regroupées en 2019. Donc, nous avons des relations de longue date avec la plupart des donneurs d’ordre wallons. Souvent, nous sommes ce qu’on appelle une source unique, c’est à dire qu’ils nous confient 100% de leurs besoins ; ce qui ne les empêche pas de temps en temps à aller consulter d’autres fonderies si besoin. Mais nous sommes en fait uniques en Belgique, il n’y a pas d’autre fonderie de précision comme nous en.”

Hausse de la demande
Trends-Tendances : Avec les annonces des gouvernements de hausses des budgets de défense et des dépenses militaires, voyez-vous déjà un effet sur votre activité ?
Philippe Hoste : “Oui, on le sent déjà. Il y a certaines entreprises, la FN par exemple, qui ont très clairement pu trouver assez rapidement aussi des solutions industrielles pour augmenter leur volume de production. Ils nous ont donc déjà demandé depuis plusieurs mois de pouvoir les accompagner dans ce sens. Et nous même, nous avions déjà un peu anticipé. Au milieu du Covid, dans les années 2021-2022, notre marché principal était l’aéronautique, qui tournait alors très fort au ralenti. On a justement eu la bonne idée de vouloir davantage investir dans le domaine de la défense. C’était bien avant le début de la guerre en Ukraine. Cela nous a réussi puisque nous avons pu investir et rechercher de nouveaux marchés.
Pour nous, le gros de nos activités en défense se fait d’ailleurs à l’international. Nous exportons beaucoup. Le principal marché pour nous, ce sont les États-Unis. Nous travaillons aussi beaucoup avec la France et l’Allemagne. Il y a trois à quatre ans, la défense représentait peut-être entre dix à 15% de notre chiffre d’affaires. Maintenant, elle représente 40%. Sur le total de notre chiffre d’affaires, à peu près 65% viennent de l’étranger. En tout, on exporte dans 24 pays.
Il y a des barrières entre les pays, dès qu’on parle de matériel militaire. Mais malgré tout, entre pays de l’OTAN, c’est beaucoup plus facile pour les uns et pour les autres d’avoir des licences d’exportation et d’importation. Par exemple, nous avons grand pan d’activités dans le domaine naval. Nous fabriquons des systèmes de fluide, des pompes, et des valves qui vont dans les frégates, les sous-marins, les porte-avions… tous les vaisseaux des marines américaines, françaises. Là aussi, très clairement, on voit que les budgets augmentent. Nous commençons effectivement à être davantage contacté parce que ce sont des produits qu’en tant que membre de l’OTAN, les industriels ne vont pas commander ni en Russie ni en Chine, il y a des barrières.
Donc voilà, les planètes sont en train de s’aligner pour nous. Wallonie Entreprendre vient d’ailleurs de nous donner une aide complémentaire sous la forme d’un prêt subordonné de 3 millions d’euros. Ce qui va nous permettre, en particulier, d’augmenter nos capacités, de poursuivre nos investissements et d’avoir le fonds de roulement nécessaire pour pouvoir supporter les demandes qui vont augmenter de la part des donneurs d’ordre wallons. Comme nous sommes un sous-traitant majeur de ces grands donneurs d’ordres, Wallonie Entreprendre a estimé que nous étions aussi un investissement stratégique. Je suis très heureux d’avoir eu ce soutien de la Région wallonne, parce que je pense que nous sommes appelés à croître et à nous développer.”
Le marché international est alors un moteur de croissance important pour vous ?
“Quand on veut être performant, on a besoin d’investir, on a besoin d’attirer des talents, des compétences. Le marché belge en général ne suffit alors pas pour pouvoir avoir un business plan solide sur du long terme. Exporter, cela nous donne aussi un effet de volume qui nous permet d’avoir une compétitivité internationale. La meilleure preuve, c’est que pour l’aéronautique, notre premier marché avec 50% de notre chiffre d’affaires, nous travaillons beaucoup avec Airbus et avec Safran en France et nous travaillons aussi avec les Américains. Là, la compétition est beaucoup plus ouverte. Notre activité dans la défense va donc nous permettre là aussi de renforcer un peu notre position concurrentielle.”
On entend souvent qu’exporter du matériel militaire est assez délicat en Europe ; qu’on peut par exemple exporter des poires de la Finlande jusqu’au Portugal sans souci, mais qu’il faut un document différent pour passer chaque frontière lorsqu’il s’agit d’armements. Ce serait un des points faibles de l’OTAN, en cas de besoin de mobilisation rapide. Est-ce un problème auquel vous êtes confronté aussi ?
“C’est complexe. Effectivement, il y a eu avec l’ancien gouvernement wallon un gel de l’émission des licences d’exportation. De nouvelles règles pourraient cependant prochainement être décidées. L’actuel gouvernement wallon va plutôt aller dans un sens positif pour les entreprises wallonnes, parce qu’il n’y a pas de raison d’avoir des barrières d’autres pays dans l’Union européenne n’ont pas. Après, on peut quand même exporter. Bon, il y a clairement des pays qui sont blacklistés. Il est impossible d’avoir une licence d’exportation vers Israël, par exemple. Il y a toute une série d’autres pays également blacklistés. Mais nous, pour les pays de l’OTAN dans lequel nous exportons, nous n’avons pas de problème.
Mais il y a des délais, il faut en tenir compte. Avoir une licence, ela peut parfois prendre trois, quatre ou cinq semaines. Même pour quelque chose qu’on fait de manière récurrente tous les mois ou tous les trois mois, vers la France ou vers les États-Unis. Il y a une procédure à suivre. Les licences restent malgré tout suivies à la loupe, toutes les licences doivent être signées personnellement par le ministre. C’est quand même assez lourd. Le ministre peut par exemple ne pas être là ; alors il n’y a personne d’autre qui peut signer pour lui et les licences peuvent parfois attendre. Mais je ne jette pas la pierre. Nous savons que dans notre processus, nous devons compter sur grosso modo un mois. En général, nous obtenons nos licences dans ce délai-là, parce que ce sont toujours plus ou moins les mêmes produits et qui vont vers les mêmes clients. Évidemment, dès que vous allez faire quelque chose d’un petit peu plus spécifique ou ponctuel, cela peut parfois être plus compliqué.”

Écosystème en Wallonie
Vous êtes donc vraiment au coeur de la stratégie défense en Wallonie et en Belgique, mais aussi dans l’OTAN, si on peut le résumer ainsi.
“Le principe de souveraineté est important dans le domaine de la défense. Il est évident qu’à côté de la facilité, de la proximité et de la langue, il y a aussi le fait qu’il n’y a pas de nécessité d’aller requérir des licences d’exportation ou d’importation lorsqu’on travaille entre entre Belges. Ou entre Wallons, en l’occurrence. Il y a tout un écosystème wallon qui existe et qui a le mérite d’exister, qui est performant. On a une communauté défense en Wallonie qui fonctionne bien. Il n’y a pas non plus des centaines d’acteurs différents. On se connaît, on se parle, on est tous alignés pour justement faire en sorte que ce secteur, pour la Wallonie, reste un secteur de développement. Il n’y en a pas beaucoup actuellement, des secteurs économiques où la Wallonie est est bien plus forte que la Flandre. On sent qu’il y a cette cette motivation, on s’écoute, on se parle, on s’entraide.
Quand au milieu du Covid, nous étions vraiment en cale sèche avec très peu de commandes et que nous avons a dû mettre en place des mesures de chômage… certains de nos clients wallons nous ont par exemple aidés et nous ont soutenus, avec des accomptes sur les commandes. Il y a vraiment eu une bonne solidarité, un bon support. Tout cela est derrière nous maintenant, et nous avons tous tenu nos engagements. Le sentiment de confiance réciproque s’est donc encore plus développé. Je pense qu’on peut vraiment collectivement jouer le rôle qu’on attend de nous finalement, dans l’industrie de la défense en Wallonie, et continuer à être performants, compétitifs et puis faire face à ces besoins croissants qui sont clairement en train d’arriver.
Donc, oui, nous sommes au coeur de cette stratégie. Parce que dans l’autre sens, moi même je fais appel à des fournisseurs et à des sous-traitants. Nous n’avons pas tous les procédés nous même. J’applique la même stratégie, en miroir, que celle de mes clients wallons… J’essaye de faire bénéficier dans cet écosystème d’autres plus petites entreprises en Wallonie, pour certains procédés tout à fait spécialisés. Et cela fonctionne bien puisqu’on a cette chance d’avoir en Wallonie toute une supply chain finalement fort intégrée, au service des grands donneurs d’ordre.”
Actionnaires
Pouvez-vous nous expliquer quelle est la structure de votre actionnariat ? Et avec le rallye boursier actuel des titres de défense européens, avez-vous déjà songé à une introduction en bourse ?
“Nous sommes une société complètement privée. À la différence évidemment de beaucoup de nos clients. La FN appartient à la Région wallonne, la Sonaca également. La Région wallonne a 30% dans SAB ou Safran Aero Boosters. Nous sommes 100% privé, nous appartenons au management. A moi-même et à un certain nombre d’autres cadres de l’équipe de management. Mais aussi à des fonds d’investissement, qu’on appelle du private equity. Donc il y a trois fonds privés et un public qui est Wallonie Entreprendre. Wallonie Entreprendre est monté à bord de l’entreprise en 2022 (Wallonie Entreprendre détient 8,2% du holding MAKARES, qui lui détient l’entreprise, NDLR).
Peut-être qu’un jour on on changera de main. Vraisemblablement c’est souvent comme ça dans dans le domaine du private equity. Ces trois fonds ont investi entre 2017 et 2019… et les horizons en général, c’est plutôt du 4 à 6 ans. Pour l’instant, il n’y a rien à l’ordre du jour… Avec le la pandémie, il y a eu un gros ralentissement. Surtout sur le marché de l’aéronautique, mais qui a maintenant bien repris, depuis le début de la guerre en Ukraine. Depuis début 2022, effectivement, le contexte géopolitique fait que les marchés, au niveau de l’industrie de la défense, sont en forte croissance et on le ressent déjà très clairement maintenant.
Deux de ces fonds privés sont français. Ciclad, à Paris et Adastra, également à Paris. Ce sont des fonds privés qui investissent dans des PME, dans différents secteurs. Le troisième fonds privé et belge et s’appelle Profinpar. Il a une vocation beaucoup plus belge et wallonne en particulier, puisqu’il est situé à Braine-l’Alleud.
Je ne pense pas que le scénario d’une entrée en bourse, pour nous, puisse être considéré. Nous sommes beaucoup trop petits que pour envisager, à court terme, une introduction en bourse.”