Casa en faillite, Maisons du Monde dans le rouge… Le secteur de l’ameublement connaît bien des difficultés

Le 5 mars dernier, suite à l’annonce de la faillite, les clients ont trouvé porte close. © PG

De nombreuses enseignes du secteur de l’ameublement se portent très mal. Celles-ci souffrent d’une concurrence effrénée, notamment de la part des magasins de prêt-à-porter qui se diversifient, du low-end retail et des plateformes chinoises toujours plus agressives.

Le commerce fait grise mine en Belgique. Après les enseignes de textile comme Cassis ou Paprika, c’est au tour du secteur de l’ameublement et de la décoration d’intérieur d’alterner entre faillites et mauvais résultats. Pourtant, au sortir des périodes de confinement, rien ne laissait présager que le secteur de l’ameublement connaîtrait autant de problèmes. Et pour cause, pendant la crise sanitaire, les Belges forcés de rester chez eux ont investi en masse dans le mobilier et la décoration d’intérieur. Le marché de l’ameublement a ainsi connu une année 2021 particulièrement faste, marquée par une forte croissance de son chiffre d’affaires, et l’avènement du télétravail semblait avoir inauguré une nouvelle ère.

Mais les enseignes ont très vite déchanté et les producteurs de meubles ont connu des périodes difficiles ces dernières années, avec un chiffre d’affaires en recul de 7% en 2023. En cause ? L’inflation alimentaire, qui a réduit les achats d’impulsion des consommateurs, et la hausse des coûts d’exploitation (approvisionnement, transport, énergie, salaires…), qui a fragilisé l’équilibre financier de ces enseignes.

“On a un grand problème sur la compétitivité de nos entreprises parce qu’après la crise énergétique, on a vu les coûts salariaux augmenter, mais aussi les prix de l’énergie ou ceux des matériaux”, indique Karla Basselier, CEO de Fedustria, la fédération belge de l’industrie du textile, du bois et de l’ameublement. En Belgique, ce secteur compte plus de 700 entreprises et génère près de 10.000 emplois pour un chiffre d’affaires annuel d’environ 2 milliards d’euros. “Le secteur est touché par les cycles macroéconomiques qui ont été très positifs pendant la crise sanitaire, mais qui sont aujourd’hui négatifs en raison de la consommation des ménages qui diminue ainsi que des problèmes de surstockage”, note Pierre-Alexandre Billiet, CEO de Gondola.

En Belgique, ce secteur compte plus de 700 entreprises et génère près de 10.000 emplois pour un chiffre d’affaires annuel d’environ 2 milliards d’euros.

Un secteur en baisse partout en Europe

Un exemple des difficultés que traverse le secteur est illustré par la récente faillite de Casa, l’enseigne belge de décoration d’intérieur. Depuis une dizaine d’années, la chaîne avait changé, à un rythme soutenu, de propriétaires, avec pour seule constante des résultats en perte. Le dépôt de bilan entraîne la fermeture de 63 magasins et la suppression de 544 emplois. “Casa International est depuis longtemps à la recherche de revenus et de fonds supplémentaires pour redresser une situation financière difficile. Les efforts intenses déployés pour redresser la barre n’ont pas abouti au résultat escompté”, a expliqué la direction dans un communiqué. “L’ensemble du secteur de l’ameublement a connu une baisse partout en Europe, rappelle Vincent Nolf, CEO de Casa. On parle d’une diminution de chiffres de l’ordre de moins 20% par rapport à l’année passée.”

L’enseigne avait tenté un dernier coup de poker à l’automne dernier en introduisant une procédure en réorganisation judiciaire (PRJ), un dispositif permettant de se protéger temporairement des créanciers tout en cherchant des solutions de redressement. Une mesure déjà prise en 2020, en raison de la crise sanitaire. L’entreprise avait alors réorganisé son réseau en fermant ou cédant 46 magasins dans plusieurs pays, avant de redémarrer ses activités. Cette fois, aucun accord n’a été trouvé, entraînant ainsi la faillite de l’entreprise. “Des solutions ont été recherchées jusqu’à la dernière minute, mais malheureusement, tous les efforts et les nombreuses discussions n’ont pas abouti à un résultat positif. En outre, aucun financier externe ou partie stratégique n’a voulu s’engager dans l’une ou l’autre des options proposées”, précise le CEO de Casa.

Macroéconomie et…

Dans un marché de l’ameublement et de la décoration pénalisé par les arbitrages de consommation des ménages et après le dépôt de bilan de l’enseigne Casa, tous les regards se sont tournés vers l’état de santé de Maisons du Monde. Le détaillant a vu ses ventes chuter de 11,2% l’année dernière, pour atteindre 1 milliard d’euros, après une baisse de 9,3% en 2023. Il en résulte une perte nette de 115 millions d’euros, contre un bénéfice de 8,8 millions un an plus tôt. Ces chiffres rouges s’expliquent en partie, il est vrai, par des amortissements exceptionnels de 81 millions d’euros. Le bénéfice d’exploitation s’élève à 1,2 million d’euros, contre 45,8 millions en 2023. Et ce, malgré des économies de coûts de 45 millions d’euros.

Le groupe explique ses pertes par “un contexte difficile pour le secteur de la maison et de la décoration, accentué par des facteurs macroéconomiques défavorables”. Afin de renouer avec la croissance et attirer de nouveaux clients, l’enseigne s’est repositionnée et a annoncé une baisse de prix sur plus de 4.000 produits afin de doper les ventes. Elle a également annoncé réduire son assortiment et compte par exemple passer de 710 références de coussins à 370 l’année prochaine. Mais malgré les mesures d’économie et le repositionnement stratégique de son modèle, l’entreprise “ne s’attend pas à ce que la barre soit redressée d’un coup en 2025”.

… e-commerce tardif

Point commun entre les deux enseignes ? Elles ont tardé à lancer leurs activités d’e-commerce, alors que les achats en ligne séduisaient toujours plus les consommateurs. “Dans l’ameublement particulièrement, l’e-commerce est un véritable avantage, car il facilite la vie des clients, confirme Pierre-Alexandre Billiet. On commande et on se fait livrer, c’est bien plus simple que de prendre sa voiture pour aller chercher un canapé.”

Un avantage concurrentiel qu’Ikea a saisi puisque le géant suédois est le premier site d’e-commerce consulté dans l’ameublement et la décoration d’intérieur. “Il faut noter ce bon point chez Ikea, mais surtout relever la logistique peu performante des autres enseignes”, pointe le CEO de Gondola.

Maisons du Monde. Le détaillant a vu ses ventes chuter de 11,2 % l’année dernière. © Belgaimage

Concurrence féroce

D’autres raisons expliquent le déclin du secteur et de ces enseignes, notamment la concurrence qui s’est renforcée ces dernières années. “Avant, les enseignes dans l’ameublement étaient toutes spécialisées, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, remarque Pierre-Alexandre Billiet. Tout le monde peut proposer un assortiment de décorations et produits pour la maison.” Les enseignes de prêt-à-porter, par exemple, disposent aujourd’hui de gammes de décoration d’intérieur, en plus de leur offre classique. “Ce marché représente une opportunité de croissance intéressante, d’autant plus que les consommateurs dépensent moins pour leurs vêtements”, ajoute-t-il.

Primark, par exemple, a déjà introduit une gamme élargie de produits pour la maison dans plusieurs de ses magasins et a récemment partagé son intention d’ouvrir un magasin autonome “Primark Home” entièrement dédié à la maison. Une première boutique a déjà vu le jour à Belfast et la chaîne envisage de répliquer son concept dans les autres pays. L’ambition de Primark Home est de devenir un acteur de premier plan dans le domaine de la décoration d’intérieur à prix abordable. D’autres chaînes ont déjà tenté l’expérience, comme Zara, qui dispose de plusieurs boutiques “Zara Home” dédiées à l’intérieur.

Dans ce secteur, il faut également faire face à un concurrent redoutable qui n’est autre que le suédois Ikea, tandis que son rival danois Jysk gagne progressivement du terrain. D’autres enseignes telles que Dille & Kamille, Hema et Flying Tiger s’imposent également sur le marché. Sans oublier Action, en pleine expansion, qui concurrençait Casa sur certains segments. “On est dans une économie de commodité”, assure Pierre-Alexandre Billiet, qui pointe des offres en décoration d’intérieur très similaires entraînant des difficultés pour le moyen de gamme. “Dans un marché aussi saturé, il était essentiel de se démarquer. Or, l’identité de Casa est restée quasiment inchangée au fil des années, ce qui compliquait sa position face à des concurrents toujours plus dynamiques et attractifs.”

Casa, pas un cas isolé

Le secteur de l’ameublement ne fait donc pas exception quant aux difficultés que rencontre le big market. “Ces enseignes moyen de gamme se retrouvent coincées entre d’un côté le low-end retail comme Action ou Zeeman, qui vendent des produits très bon marché dans les magasins physiques, et de l’autre par des plateformes d’e-commerce essentiellement asiatiques comme Shein ou Temu, qui pratiquent du dumping commercial”, analyse Pierre-Alexandre Billiet.

“La Chine n’est plus seulement l’usine du monde, elle est devenue un centre de distribution pour la planète via ses plateformes.” – Pierre-Alexandre Billiet, CEO de Gondola

Pour le CEO de Gondola, Casa ne sera pas un cas isolé dans le non-alimentaire : “On va indéniablement vers une hyperconsolidation du marché comme c’est le cas dans le secteur bancaire ou alimentaire.” Aujourd’hui, le secteur de la décoration d’intérieur présente les mêmes problèmes que l’on peut observer dans des secteurs, comme le textile. “On a longtemps produit très bon marché en Asie pour le revendre en Europe, mais ce modèle est fini. La Chine n’est plus seulement l’usine du monde, elle est devenue un centre de distribution pour la planète via ses plateformes, relève-t-il encore. En plus des tensions géopolitiques, les conteneurs ne sont plus aussi bon marché qu’ils ne l’étaient, cela signifie que l’acheminement, qui était auparavant source de création de marge, ne l’est plus aujourd’hui.”

Tout le secteur de l’ameublement souffre-t-il pour autant ? Non, les magasins de design ou l’ameublement sur mesure continuent de bien se porter, “grâce à leur haute valeur ajoutée”, précise le responsable de Gondola. “Pour autant, ce n’est pas forcément évident de performer dans ce marché de niche, car le volume est très difficile à obtenir”, conclut Pierre-Alexandre Billiet.

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