Cartels : les patrons passibles de sanctions “personnelles” ?

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Les amendes “collectives” de plus en plus lourdes infligées aux cartels s’avérant finalement peu dissuasives, pourquoi ne pas “personnaliser” les sanctions ? A défaut de peine de prison, voire de déchéance de certains droits, l’autorité belge de la concurrence préconise des amendes “personnelles”.

A en juger par la fréquence des récidives en matière de cartels, les milliards d’amendes infligées en particulier par les autorités européennes de la concurrence ne remplissent pas leur mission dissuasive. Le cartel est un cancer de l’économie moderne qui a la vie dure. Des voix s’élèvent dès lors pour personnaliser les peines, en sanctionnant directement les coupables, à savoir les chefs d’entreprise ou cadres dirigeants cartellistes.

En 2009, l’OCDE a même explicitement recommandé à la Belgique d’introduire des peines d’emprisonnement pour les dirigeants impliqués dans les ententes illicites les plus graves. Les sanctions pénales sont déjà prévues depuis longtemps dans les droits de la concurrence américain et britannique.

Pour des raisons de complexité technique (risque de conflit entre juridiction, exigences supérieures en termes de preuve, etc.) mais aussi et surtout parce que les prisons belges sont déjà trop remplies, des sanctions pénales ont peu de chance de percer chez nous.

Toujours est-il que la Direction générale de la concurrence explore une voie intermédiaire : celle de sanctions administratives à l’encontre des dirigeants (ou même des juristes d’entreprise) en tant que personnes physiques. Il s’agirait assurément d’un pas dans la bonne direction selon Nicolas Petit, professeur de droit de la concurrence à l’ULg et à la Brussels School of Competition, car, “contrairement aux amendes actuelles infligées aux entreprises, peu efficaces et injustes car au final, ce sont les actionnaires et les travailleurs qui paient, des sanctions personnelles ont le mérite de frapper précisément les coupables.” Reste à voir si elles frapperaient assez fort.

Courbe rentrante

Alors que, dans un avis datant de mai dernier, la Direction générale de la concurrence préconisait comme sanction administrative la déchéance de certains droits (siéger au conseil d’administration, créer une société, etc.), il n’est désormais plus question que d’amendes, comme nous l’a confirmé Jacques Steenbergen, “patron” de l’autorité belge de la concurrence. Une marche arrière qui, selon le juriste, s’explique par le risque de conflit avec certaines garanties de la Convention européenne sur les droits de l’homme. Une subtilité technique qui a dû arranger pas mal de monde.

Car, de l’aveu même de Jacques Steenbergen, les entreprises n’ont pas de position unanime sur la question. Certaines grandes sociétés, notamment multinationales, préféreraient que ce soit directement le coupable qui trinque et pas toute l’entreprise, alors que, du côté des fédérations, FEB en tête, on s’inquiète du climat délétère que des sanctions “personnelles” trop lourdes, doublées d’un système de clémence incitant à la délation, pourraient entraîner à la tête des entreprises.

Si l’avant-projet en question trouve une majorité politique au Parlement, la Belgique rejoindra en fait son voisin néerlandais, qui peut infliger des sanctions administratives pour personnes physiques depuis un an. “Avec un bel effet dissuasif, précise Jacques Steenbergen. Il n’y aucune raison que ce qui s’avère utile pour le climat économique chez nos voisins ne soit pas transféré le plus vite possible chez nous.”

Olivier Fabes

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