Caroline Cleppert (UCM): “Rappelons-le: 99% de nos entreprises sont des PME”

À 23 ans, Augustin Denis vient de lancer sa petite entreprise de toiture à Jodoigne. © PG
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Les petites structures sont toujours plus nombreuses, mais des signaux d’alerte résonnent en Wallonie. Caroline Cleppert, secrétaire générale de l’Union des classes moyennes, dresse un état des lieux instructif. Augustin Denis et Quentin Gaillard, tous deux entrepreneurs, témoignent.

Augustin Denis a 23 ans. Début janvier 2025, il a créé sa petite entreprise de toiture à Jodoigne. Son nom : AugusTOIT. Une prise de risque calculée et un choix de vie, après avoir travaillé plusieurs années au service d’autres. “J’avais envie de prendre mon indépendance et de travailler pour moi, souligne-t-il. Je n’aimais pas le fait d’être ouvrier, je voulais me gérer moi-même. C’est stressant, bien sûr, parce qu’il faut ramener suffisamment de travail. Mais je me sens nettement plus libre.”

Ce jeune homme, qui s’est lancé à son compte dans le secteur de la construction, illustre l’une des tendances perceptibles dans la récente enquête de l’Union des classes moyennes (UCM) sur les PME en Belgique. Elles n’ont jamais été aussi nombreuses : 1.335.021 dans tout le pays en 2023, en progression de 2,08% par rapport à 2022. Dans les trois Régions, c’est dans le bâtiment que la vitalité reste la plus grande. Souvent, ce sont des personnes seules qui se lancent, des “solopreneurs” poussés par un désir de flexibilité.

“Entrepreneur, un choix naturel”

Augustin Denis ne regrette pas son choix récent. “Je choisis la façon dont je gère ma journée et je peux utiliser les méthodes de travail que j’affectionne, même si je m’adapte, bien sûr, en cas de sous-traitance, sourit-il. Devenir entrepreneur, c’était un choix naturel pour moi, même si le début est un grand saut dans le vide parce qu’il faut effectuer toutes les démarches en même temps. Les deux premières semaines, c’était une petite tempête. Mais honnêtement, ce n’est pas si difficile de se lancer…”

“Les deux premières semaines, c’était une petite tempête. Mais honnêtement, ce n’est pas si difficile de se lancer…” – Augustin Denis (AugusTOIT)

Le jeune patron sait qu’il devra grandir petit à petit, accepter des travaux ponctuels dans un premier temps, mais son rêve consiste à faire des toitures entières et mener à bien des ouvrages complexes, comme il a déjà eu l’occasion de le faire au château d’Hélécine. “J’aime les défis difficiles, qui me permettent de continuer à apprendre, chaque jour, dit-il. C’est une fierté de revaloriser des bâtiments classés.”

Augustin a déjà investi dans du matériel et une camionnette, son site internet arrive très prochainement. Chaque soir, il réserve une heure pour ses devis et sa comptabilité. “J’apprends et j’espère grandir dans le métier, dit-il, encore timide. J’aime bien contrôler toutes les facettes de mon entreprise. Mon rêve serait de pouvoir faire grandir l’entreprise et, à terme, d’apprendre le métier à d’autres jeunes. Il devrait y avoir davantage de personnes qui se lancent dans l’entrepreneuriat en Wallonie.”

Inquiétude en Wallonie

La candeur de ce jeune entrepreneur, enthousiasmante, devrait faire des émules. Car la situation de la Wallonie inquiète. “L’augmentation du nombre de PME relevée dans notre enquête est positive, souligne Caroline Cleppert, secrétaire générale de l’UCM. Mais s’il y a une croissance de 2,1% pour toute la Belgique, le taux n’est que de 1,3% en Wallonie. L’écart continue de se creuser entre Régions. Le pourcentage de jeunes PME est également plus faible en Wallonie. Ce n’est qu’un chiffre dans un tableau, mais cela pose question au sujet du renouvellement du vivier en Wallonie. Je dis : ‘attention à la culture de l’entrepreneuriat au sud du pays !’”

La secrétaire générale reconnaît que des signaux positifs sont envoyés par le gouvernement wallon. Mais il reste à concrétiser. “L’idée d’évaluer les mesures, de veiller à leur impact et leur ciblage pour des objectifs à atteindre, cela va dans le bon sens, souligne-t-elle. La simplification administrative est un point central dont nous attendons beaucoup. Nous remontons tous les soucis que les indépendants évoquent pour nourrir la réflexion à ce sujet. Tant au niveau politique que des administrations, il y a une écoute. Nous espérons que les astres vont s’aligner avec le fédéral.”

Une entreprise sur quatre vulnérable

Dans son enquête, l’UCM a mené une analyse de résistance aux chocs et les résultats sont inquiétants. “Une PME sur quatre reste vulnérable, tout en étant saine financièrement, souligne Caroline Cleppert. S’il devait encore y avoir une crise, on risque de les perdre.”

La conjoncture incertaine, tant belge que mondiale, n’aide pas. “Le manque de visibilité du cap suivi sur le plan politique et l’instabilité croissante au niveau mondial ont pour conséquence que les entreprises réfléchissent à deux fois avant de faire un investissement, poursuit-elle. Elles font le gros dos plutôt que de passer à la vitesse supérieure. Les stigmates des crises précédentes sont encore là.”

Cette forme de “procrastination” pourrait compromettre l’avenir : “Les investissements actuels sont insuffisamment productifs et ne permettent pas d’avoir une transformation de modèle écologique, numérique et sociétal. Les PME sont piégées et elles investissent pour survivre dans un environnement contraignant. Or, il faudrait dépasser ces investissements ‘défensifs’ pour les orienter vers de la croissance, de l’innovation ou la transition et en faire des investissements ‘offensifs’. Il y a une énergie folle au sein des entreprises que l’on doit libérer d’un nombre de contraintes trop important.”

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“Il y a une énergie folle au sein des entreprises que l’on doit libérer d’un nombre de contraintes trop important.” – Caroline Cleppert (UCM)

“Une économie de freelances”

Un autre élément frappant de l’enquête réalisée par l’UCM rejoint l’aventure initiale d’Augustin : 90% des PME n’ont pas d’employés. “Va-t-on vers une économie ‘freelance’ ?”, demande opportunément l’organisation patronale.

“La proportion de ‘solopreneurs’ est énorme !, s’exclame Caroline Cleppert. Il y a évidemment des raisons individuelles à ce choix, mais le coût du travail explique aussi cette évolution. Pourquoi des gens ayant un business qui fonctionne ne deviennent pas employeurs plus rapidement ? C’est notamment pour cela que nous insistons sur la mesure ‘zéro cotisation’ pour le premier recrutement. Pour l’instant, ne fait-on pas passer le message que l’on ne doit pas devenir employeur ? Les solopreneurs se font confiance entre eux et se confient des missions les uns les autres. C’est un écosystème de freelances.”

En grandissant, les structures créeraient davantage d’emplois, ce dont on a cruellement besoin en Wallonie. “Tout le monde n’est pas voué à devenir entrepreneur, souligne la secrétaire générale de l’UCM. C’est dur l’entrepreneuriat !” D’où la nécessité d’avoir des locomotives susceptibles d’élever un taux d’emploi figé aux alentours des 65%, mais en dessous des 50% dans certaines sous-régions.

“Et si l’on changeait la Wallonie?”

Quentin Gaillard, cofondateur de la plateforme de crowdfunding Crowd’in, en région liégeoise, connaît particulièrement bien cet écosystème de petites structures qu’il soutient et auquel il participe. “Nous voulons soutenir tous ces gens qui veulent développer de chouettes projets en Wallonie, sourit-il. Quand nous avons lancé l’entreprise avec mon associé, Joseph D’Ippolito, on se demandait en plaisantant si nous avions les épaules assez larges pour changer la Wallonie…”

“Nous avons véritablement mis notre entreprise Crowd’in en route en 2017, après trois années de test, raconte-t-il. Nous voulions faire du crowdfunding non financier avec des récompenses sous forme de ‘reward’, que ce soit le produit créé ou des services annexes. Jusqu’à présent, nous avons financé près de 300 projets en Wallonie et à Bruxelles. Cela concerne des ASBL, des petits entrepreneurs, des commerces de proximité, des nouveaux produits bios, des services de bien-être, etc. Les projets sont très variés, et ils ont souvent une dimension citoyenne.”

Crowd’in mène une mission parallèle aux services d’accompagnement des entreprises et aide à accompagner les idéalistes sur le chemin de l’entrepreneuriat. “Nous sommes souvent la première porte d’entrée pour les entrepreneurs, poursuit-il. Nous recevons 10 à 15 projets par semaine, ce qui est beaucoup, mais il faut souvent les cadrer et les réorienter. Il y a de la vitalité en Wallonie, mais il est indispensable de bien vendre son idée, de fédérer une communauté et de médiatiser le projet pour l’élargir. Le crowdfunding intervient juste avant la mise sur le marché. Il faut être prêt !”

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“Nous sommes souvent la première porte d’entrée pour les entrepreneurs” – Quentin Gaillard (Crowd’in)

“C’est difficile…”

Simple, ce n’est pas. “Beaucoup d’entrepreneurs sont dans des situations difficiles et doivent renflouer leur trésorerie, explique Quentin Gaillard. Au moment du covid et de la guerre en Ukraine, les projets étaient quasiment inexistants. Cela a repris par la suite, mais cela reste compliqué de mener ces campagnes, d’autant que nous n’avons pas une culture du don comme aux États-Unis, on reste dans une forme d’assistanat. Le coût des cotisations sociales, de la TVA, de l’énergie, tout cela est difficile à supporter. Et les banques sont de plus en plus réticentes à donner du crédit. Il faut une garantie en fonds propres pour convaincre le banquier, beaucoup se tournent vers nous pour ça.”

Crowd’in, elle-même, souffre en tant que structure et doit investir en permanence pour faire en sorte que la plateforme reste rentable face aux mastodontes du secteur. “Nous avons investi dans le module de paiement Stripe, beaucoup plus puissant que celui que nous utilisions au début, précise son fondateur. Cela n’offre que des avantages, cela nous permet de nous concentrer sur l’accompagnement des projets via des entretiens, mais c’était un investissement initial de 20.000 euros, ce qui est beaucoup pour une petite structure comme la nôtre. Nous aimerions, dans une prochaine étape, développer l’intelligence artificielle pour nous libérer encore de certaines tâches.”

Cybersécurité

L’entreprise voudrait croître. “Mais nous n’y sommes pas encore parvenus car les coûts sont sans cesse plus importants, confie-t-il. Il faut en permanence des mises à jour pour les systèmes, veiller continuellement à la cybersécurité et répondre à énormément de critères. C’est franchement compliqué. Et encore, nous avons trouvé un développeur très sympa qui travaille à coût modéré. Nous avons 30.000 clients dans notre base de données, un piratage serait donc dramatique. C’est pourquoi nous nous devons de prendre absolument toutes les précautions pour empêcher cela.”

Caroline Cleppert insiste : le paysage économique est complexe pour les PME. “Toute la régulation se fait davantage en tenant compte des plus grandes entreprises, par exemple, alors qu’elles sont minoritaires, souligne-t-elle. Nous devons rappeler sans cesse les spécificités au quotidien des plus petites structures. Le temps de travail des entrepreneurs sur l’administratif est souvent démesuré. C’est tout de même dingue de devoir rappeler en permanence que 99% des entreprises en Wallonie sont des PME.”
Voilà une enquête pour remettre le dossier sur la table. 

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