Après les autocars, les trains verts de Flix?

Acteur incontournable du marché des autocars longue distance à bas prix, Flix entend reproduire cette réussite sur le marché du rail. © Getty Images
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Principalement connu pour FlixBus, le groupe Flix, champion de l’autocar international, veut aussi devenir un acteur de premier plan sur le rail. En concurrence avec les anciens monopoles, il vient de passer une commande de 65 trains rapides pouvant rouler partout en Europe.

Il y a comme un frétillement dans le monde du train en Europe. Flix, un groupe basé à Munich dont l’histoire n’a commencé qu’il y a 13 ans, domine le marché des cars longue distance à petit prix grâce à FlixBus, en étant présent sur quatre continents. Il veut désormais donner un coup d’accélérateur à son activité ferroviaire, FlixTrain, et affiche des ambitions internationales.

Flix vient de commander 65 rames rapides Talgo, un fabricant espagnol, pour plus de 2,4 milliards d’euros : un montant très conséquent pour une entreprise aussi jeune. Ce sera sans doute l’une des plus grandes flottes privées en Europe.

Augmenter le marché du rail

Le marché du train intéresse particulièrement le groupe Flix. “Il est plus important, en Europe, que celui des réseaux de bus, analyse André Schwämmlein. Nous visons le long terme car les trains roulent pendant des décennies. Avec les bus, nous sommes une entreprise paneuropéenne, disposant d’une forte présence en Allemagne, France, Italie, Pologne et dans bien d’autres pays. Nous n’allons rien remplacer, mais augmenter le marché du rail.”

Le patron de Flix n’a par contre aucune ambition sur le marché des trains de nuit. “C’est un marché de niche. Rien que notre liaison entre Francfort et Berlin, de 9.000 sièges par jour, pèse aussi lourd que la totalité du marché des trains de nuit en Europe.”

André Schwämmlein rêve de reproduire le succès qu’il a connu avec ses bus longue distance. FlixBus a rapidement dominé le marché européen, rachetant des acteurs locaux comme Eurolines en France. En 2018, en Allemagne, le groupe lance le service FlixTrain qui dessert les lignes reliant Hambourg et Cologne, ainsi que Stuttgart et Berlin.

Tentative en Belgique

Le CEO de Flix aurait déjà aimé desservir des lignes hors d’Allemagne, notamment en Belgique, où FlixBus est bien implanté. Avant la pandémie de covid, FlixTrain avait pour projet de relier Bruxelles à Mons sur l’ancienne ligne, mais les circonstances et le matériel en ont décidé autrement. “Nous ne faisons rouler actuellement que 13 trains. Ces 65 trains supplémentaires vont changer la donne.” La SNCF et la SNCB ont accordé leurs violons pour lancer un service sur cette ligne qui relie les capitales belge et française en 2h30 et à petit prix, espérant refroidir FlixTrain.

Le marché du train est plus complexe à aborder que celui du bus. Ouvert pour l’international dans l’Union européenne depuis 2010, il n’a pas connu l’effervescence de l’aérien, où la concurrence a tout changé, y compris les prix, avec les Ryanair, easyJet ou WizzAir.

Le grand nombre de barrières dissuade la concurrence. Il faut avoir les reins solides pour attaquer ce marché. Ce sont souvent d’anciens monopoles qui font office de concurrents sur les marchés voisins. Comme Trenitalia qui propose aujourd’hui un Paris-Marseille quatre fois par jour, marchant sur les plates-bandes des TGV de la SNCF.

Une concurrence plus intense pourrait augmenter la part du rail, encore bien faible dans les déplacements. Elle pourrait ainsi servir les objectifs européens. “Des changements positifs devraient arriver. La Commission souhaite plus de concurrence sur le rail, avec davantage d’acteurs privés”, pointe André Schwämmlein.

En Belgique ou en France, l’idée de concurrence sur le rail souffre parfois du mauvais exemple britannique. “Regardez en Italie, en République tchèque, ou en Autriche, vous verrez que la concurrence est bonne pour tout le monde. Les péages pour accéder aux voies y sont aussi devenus plus raisonnables.”

Un soutien politique en Allemagne

Le ministre allemand de la Mobilité, Patrick Schneider, a salué la commande de matériel roulant de Flix : “Qu’une entreprise technologique allemande réalise un investissement d’une telle ampleur envoie un signal fort au marché ferroviaire.”

“Les anciens monopoles ne rendent pas les services promis depuis des décennies, continue André Schwämmlein. Il faut améliorer cela. Nos investissements seront rentables, même si rien ne change. Mais nous espérons qu’il y aura des améliorations, notamment dans l’indépendance de l’infrastructure, dans les tarifs des péages.”

Le train traverse d’ailleurs une période de crise en Allemagne, avec des travaux sur les lignes qui provoquent nombre de retards. “Ces travaux doivent moderniser l’infrastructure, mais beaucoup de gens se plaignent. Si ça ne s’améliore pas d’ici 10 ans, ce ne sera pas faute de moyens puisqu’au moins 150 milliards d’euros sont investis dans le réseau ferroviaire”, précise André Schwämmlein.

Les nouveaux trains pourront rouler à 230 km/h, ce qui reste en dessous des 300 km/h des TGV français. “Nous avons examiné différentes options et il est apparu que la vitesse de 230 km/h était suffisante pour la plupart des lignes à grande vitesse. Monter jusqu’à 300 n’offrait qu’un faible bénéfice.” Cela permet aussi de recourir à un matériel très flexible, sous forme de voitures de train très modulables, tirées par une locomotive indépendante (Siemens). “Ces trains roulent déjà en Allemagne (chez DB), sont homologués pour l’Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas, l’Autriche, et peuvent être homologués pour tous les marchés européens”, ajoute le patron de Flix.

Où rouleront-ils ? André Schwämmlein se montre évasif, mais il vise tous les pays européens : “C’est un peu comme les compagnies aériennes low cost : elles peuvent aller partout, et allouent leurs avions là où c’est le plus rentable de le faire.” Tout cela dépendra donc du potentiel commercial et des frais de péage pour les voies.

Pour atteindre ses objectifs, André Schwämmlein s’appuie sur son succès avec les autocars. Flix domine en effet le marché européen, a racheté Greyhound aux États-Unis, et se développe en Amérique latine.

L’arrivée du premier actionnaire de la Lufthansa

Flix se concentre sur une plateforme digitale, vend les tickets, décide des lignes couvertes, fait respecter un standard de service, présente une identité visuelle avec ses véhicules peints en vert. Son chiffre d’affaires dépasse les 2 milliards d’euros, soit celui d’Eurostar, et continue à croître. Aujourd’hui, les Allemands estiment avoir des finances assez robustes pour acheter les trains Talgo en propriété, sans partenariat comme c’était le cas avant.

Devenu un acteur important et prometteur, Flix attire désormais des actionnaires qui apportent de nouveaux moyens. Fin 2024, le fonds EQT et Kühne Holding sont entrés dans le capital du groupe, détenant 35% des parts. Basé en Suisse, Kühne Holding contrôle le groupe Kühne + Nagel (logistique), et est aussi le premier actionnaire de Lufthansa. “Ils ont réalisé un grand travail d’analyse du projet d’achat de trains, dit André Schwämmlein. Ils aiment ce business. La part du rail de Flix doit devenir plus grande dans le futur.”

Flix : 12 ans sur les routes et 7 sur les rails
Le groupe Flix a été fondé en 2013, profitant de l’ouverture du marché des cars réguliers longue distance, notamment en Allemagne et en France. Les autocars verts FlixBus sillonnent les autoroutes européennes du Portugal à l’Ukraine et desservent 14 villes en Belgique.
Le groupe munichois est le premier acteur du car régulier longue distance en Europe, aux États-Unis (avec Greyhound), en Turquie (avec Kâmil Koç). Il est entré sur le marché du ferroviaire en 2018 avec FlixTrain, en Allemagne. L’approche marketing est le low cost avec un minimum de services proposés à bord (wifi, toilettes…).
Les principaux actionnaires du groupe sont le fonds General Atlantic, Kühne Holding, EQT, Porsche SE, Silver Lake, ainsi que les fondateurs Jochen Engert, André Schwämmlein (l’actuel CEO) et Daniel Krauss.

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