FlixBus: le Ryanair des routes (polémiques en moins)

Un des bus verts de FlixBus roulant dans une rue arborée
Un des bus verts de FlixBus. © PG
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

En 10 ans, la plateforme munichoise est devenue le premier réseau d’autocars longue distance en Europe, en Amérique et en Turquie. FlixBus a bouleversé et relancé un marché déjà ancien en profitant d’un vent de libéralisation.

L‘autocar, on l’oublie, c’est encore la manière la plus économique de voyager loin, hormis peut-être l’autostop. Sur ce marché pourtant ancien, c’est FlixBus, une jeune entreprise basée à Munich, qui s’est imposée. La libéralisation des lignes de cars à longue distance pour le trafic domestique dans différents pays, dont l’Allemagne et la France, fut l’élément déclencheur de son succès. Aujourd’hui, elle domine le marché européen, américain et turc, et s’attaque désormais au Brésil, toujours sur des trajets inter-cités, nationaux et internationaux. Aux Etats-Unis, elle a racheté Greyhound, tout un symbole…

FlixBus est très présente en Belgique. Vingt-cinq à trente de ses autocars verts relient chaque jour Bruxelles à Paris. Mais le groupe a aussi lancé des trains en Allemagne et en Suède avec la marque FlixTrain.

Un marché en constante augmentation

FlixBus est un peu le Ryanair de l’autocar… sans les polémiques. André Schwämmlein, son CEO, est un ancien consultant du Boston Consulting Group. Il a cofondé l’entreprise en 2012, en misant sur le numérique. “Nous avions noté que le marché de la mobilité n’arrête pas d’augmenter. Et je pense que cela ne fait que commencer”, dit-il à l’occasion d’une rencontre à Munich pour le 10e anniversaire de l’entreprise. Ses arguments sont ses tarifs, très bas, et l’impact environnemental par siège, moins élevé que l’automobile et proche de celui du train. Il a aussi modernisé le voyage en autocar, avec le wifi à bord, des prises de courant, des toilettes…

La pandémie a, certes, perturbé la progression de FlixBus. Mais le groupe a bien récupéré: pour 2022, il annonce un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 milliard d’euros et un Ebitda positif alors que le covid pesait encore sur les premiers mois de l’année. “Nous enregistrons des ventes et une fréquentation en hausse d’environ 50% par rapport à 2019, avant le covid”, précise Christoph Debus, chief financial officer. Le groupe a transporté plus de 60 millions de personnes en 2022.

La recette Flixbus

L’ouverture du marché des cars longue distance domestique avait attiré une concurrence importante, en France comme en Allemagne, mais beaucoup d’opérateurs ont jeté l’éponge. En France, il ne reste que BlaBlaBus (de BlaBlaCar et la SNCF) et FlixBus… parce que celui-ci a racheté bon nombre de ses concurrents.

Le modèle particulier du groupe explique sa position. Dès l’origine, celui qui n’était encore qu’une start-up a misé sur une approche mêlant une structure de coûts favorable et un “moteur” qui optimise les recettes. “Nous avons un modèle asset-light (structure légère, avec peu de capitaux investis dans du matériel, Ndlr)”, explique André Schwämmlein: FlixBus organise en effet les lignes d’autocars (et de trains) mais ne possède aucun véhicule en propre, le groupe travaillant avec des opérateurs indépendants. Des autocaristes locaux achètent des véhicules aux normes de FlixBus (confort, sécurité, couleurs, wifi à bord, etc.) et les mettent en service sur les lignes choisies par l’entreprise allemande. FlixBus, de son côté, se charge de vendre les tickets sur sa plateforme numérique (sites web et applis), développe les algorithmes pour optimiser le taux d’occupation et les bénéfices, avec des tarifs variables selon l’offre et la demande. La recette est ensuite partagée avec les opérateurs, qui sont ainsi assurés d’un montant minium par fréquence.

DAMIEN KERRAND
Damien Kerrand © PG
FlixBus nous a donné de la stabilité et a permis de doubler la taille de l’entreprise.” DAMIEN KERRAND (VOYAGES MORIO)

L’exemple breton

Voyages Morio, à Vannes, est une entreprise familiale dont les transports scolaires représentaient la plus grande partie de l’activité. “On allait affronter un appel d’offres qui, s’il était perdu, pouvait entraîner une réduction de la taille de l’entreprise, se remémore Damien Kerrand, le directeur général. On a finalement remporté l’appel d’offres… mais nous avons aussi signé avec FlixBus, qui nous a donné de la stabilité et a permis de doubler la taille de l’entreprise.”

Une ligne a été ouverte entre Brest et Grenoble fin 2015. Ce trajet, qui fait un millier de kilomètres, est toujours desservi quotidiennement. Morio Voyages l’opère avec des autocars à étages de 75 places alimentés au colza. C’est FlixBus qui assure la vente des tickets, souvent pour des destinations intermédiaires comme Brest-Lorient, ou Nantes-Tours. “Sur cette ligne, nous totalisons 830.000 km par an avec trois véhicules et un très bon taux de remplissage”, précise Damien Kerrand.

Ce modèle de partenariat est appliqué à peu près partout, à quelques rares exceptions près. Ainsi, aux Etats-Unis, FlixBus avait lancé des lignes en suivant son approche habituelle de partenariat. Mais en rachetant Greyhound en 2021, il prend possession d’un opérateur plus traditionnel, avec ses cars et des chauffeurs salariés. A terme, le modèle asset-light devrait quand mêmer s’imposer à Greyhound. “La croissance se fera avec des partenaires extérieurs”, explique le CFO Christoph Debus. Flixbus a déjà suivi cette approche en Turquie, où il avait racheté la compagnie Kamil Koç en 2019. Le groupe a progressivement converti l’entreprise au partenariat. Avec pour résultat que la Turquie représente aujourd’hui un gros marché pour FlixBus: le pays pesait 22% du trafic l’an dernier (plus de 13 millions de passagers), contre 64% pour l’Europe (38 millions de passagers).

FlixTrain Le rail fait partie du business plan de départ.
FlixTrain. Le rail fait partie du business plan de départ. © PG

Les prix jouent bien sûr un rôle essentiel. Bruxelles-Berlin (750 km) prend environ 12 heures, un trajet qui peut sembler fort long pour les passagers, mais le ticket peut coûter 29,99 euros seulement, contre au minimum le double ou le triple en avion. Sur la ligne Bruxelles-Paris (4 heures), l’écart est encore plus net: les tickets sont aisément disponibles à 19,99 euros, même pour voyager le lendemain, alors qu’en Thalys, il faudra souvent compter 124 euros, le train low cost Izy ayant été supprimé. Les tickets Thalys premier prix à 39 euros doivent en effet être réservés des semaines à l’avance.

Très actif en Ukraine

Dans des régions peu ou mal desservies en train ou en avion, l’autocar est parfois la solution la plus aisée. Et même dans les régions les plus perturbées, comme l’Ukraine où FlixBus opère dans tout le pays, hors zones de guerre, et a distribué des milliers de voyages gratuits pour les réfugiés. La liaison vers Kiev a été remise en service en avril de l’an passé.

Le groupe, qui occupe 5.000 salariés, a bien survécu au covid. “Nos partenaires ont pu réduire leurs coûts car ils ne devaient plus acheter de carburant, bénéficiaient souvent du chômage temporaire et ont pu négocier un report des remboursements de financements, explique André Schwämmlein. Sur des centaines d’entreprises, ils ont tous tenu bon, hormis deux ou trois faillites pour des causes externes au covid. Pour FlixBus, cela a été un peu plus difficile: nous n’avons pas vraiment bénéficié d’aides publiques, l’Allemagne n’ayant pas été généreuse avec nous. Beaucoup de bonnes paroles, mais pas de chèques, ajoute-t-il avec un petit sourire. Nous avons puisé dans nos ressources et avons pu reconstruire le business.”

André Schwämmlein ne manque pas de lancer quelques piques en direction du monde politique qui, en public, tresse des couronnes à FlixBus. A l’occasion d’une conférence organisée pour les 10 ans de l’entreprise, le ministre-président de la Bavière, Markus Söder, et le ministre français des Transports, Clément Beaune, sont intervenus par vidéos interposées, avec des propos plus qu’enthousiastes sur le développement de l’entreprise. Pourtant, en Allemagne, Flixbus a des soucis avec le projet de réinstaurer au printemps un tarif réduit forfaitaire de 49 euros par mois permettant d’utiliser les bus et trains régionaux sans limite, uniquement sur les réseaux publics “Je trouve cela très bien. Nous essayons d’ailleurs d’obtenir d’être inclus dans le projet”, commente André Schwämmlein. Mais ce n’est pas certain, et de son point de vue, si FlixBus est exclu de ce tarif forfaitaire, cela créerait une discrimination. “Il faut penser aux offres privées et ne pas déstabiliser le marché. On nous dit qu’on nous aime… mais j’attends plus que des déclarations”, ajoute le CEO.

ANDRÉ SCHWÄMMLEIN
André Schwämmlein © PG
La combinaison du train et des bus nous paraît une bonne opportunité.” ANDRÉ SCHWÄMMLEIN (CEO DE FLIXBUS)

Un futur sur le rail

Même remarque pour le ferroviaire, dans lequel le groupe FlixBus aimerait se développer et concurrencer les opérateurs existants. Il est actif en Allemagne et en Suède, avec respectivement 50 et 6 destinations, via des opérateurs partenaires. “Avantager le train et le bus est une manière d’encourager les gens à quitter leur voiture, c’est un long term game”, poursuit André Schwämmlein. Avant le covid, le manager envisageait d’ouvrir une ligne Bruxelles-Paris en train. Les tarifs trop élevés des péages sur le rail français l’ont refroidi, mais pas totalement découragé. “Entre l’ouverture des marchés du bus et du train, il y a des similarités et des différences, explique-t-il. Pour le train, nous sommes toujours dans une phase de transition. Les grandes frustrations sont le coût souvent élevé d’accès aux réseaux et les opérateurs historiques, qui restent très influents.”

Dans certains pays, la concurrence est inexistante même si elle est théoriquement possible. “Le rail fait partie du business plan de départ, en 2012. La combinaison du train et des bus nous paraît une bonne opportunité. Je pense que l’environnement régulatoire finira par faciliter les choses”, prédit encore le CEO de FlixBus.

Plus propre?

Cela peut paraître contre-intuitif mais l’autocar reste moins polluant que la voiture ou l’avion, même s’il roule au diesel. C’est l’un des arguments poussés par FlixBus pour qualifier son offre de durable et accessible. Les autocars transportent jusqu’à 75 personnes (avec étage). “Or, un des éléments importants pour limiter les émissions, c’est le taux d’occupation, précise Andreas Giuricin, expert en transport et CEO de TRA Consulting. Savoir remplir des bus ou des trains, c’est une qualité essentielle pour limiter le CO2 par voyageur. Beaucoup de trains roulent avec moins de 20% de sièges occupés ; c’est un gaspillage d’énergie. Plus il y a de passagers dans un bus ou un train, moins vous avez d’émissions par voyageur.”

Par ailleurs, FlixBus expérimente des carburants alternatifs, comme les biodiesels ou l’huile de colza. Il teste aussi des cars électriques, comme il l’a fait sur Paris-Amiens avec un succès limité car le temps de recharge était trop long (4 heures). Le groupe participe également à un projet avec Mercedes, ELCH, pour concevoir des autocars électriques optimisés pour la longue distance d’ici 2030.

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