Antonio Filosa, l’architecte du virage américain de Stellantis

À 51 ans, Antonio Filosa s’apprête à prendre les rênes du géant automobile Stellantis à un moment clé de son histoire. Ce Napolitain au parcours 100 % maison Fiat succède à Carlos Tavares, écarté en décembre dernier. Sa nomination, prévue pour le 23 juin, confirme une inflexion stratégique majeure du groupe vers l’Amérique. Elle marque la fin d’un certain équilibre franco-italien qui prévalait depuis la fusion PSA-Fiat Chrysler.

Antonio Filosa vient d’être nommé CEO du groupe Stellantis. Il succède à Carlos Tavares, écarté en décembre dernier en raison de désaccords stratégiques avec le conseil d’administration. Antonio Filosa connaît Stellantis de l’intérieur. Il y a passé toute sa carrière depuis son entrée chez Fiat en 1999, au poste en bas de l’échelon de superviseur de la qualité sur la ligne peinture d’une usine espagnole, en équipe de nuit. Ce démarrage modeste illustre le profil d’un dirigeant ancré dans l’opérationnel, qui n’a jamais été parachuté mais a conquis ses responsabilités par l’expérience et la constance.

Un pur produit Fiat, façonné par le terrain

Rapidement identifié comme un homme de terrain fiable et structuré, il est envoyé en 2005 au Brésil, un marché clé pour le groupe. Pendant près de vingt ans, il y bâtit un empire régional, d’abord à la tête de l’usine de Betim, puis à la direction des opérations pour l’Amérique latine. Il y multiplie les succès, faisant de Fiat la première marque sur le continent et contribuant au redéploiement de Citroën, Peugeot, Jeep et Ram. Lors de la fusion entre PSA et FCA, en 2021, il est naturellement intégré à la nouvelle gouvernance de Stellantis, en tant que patron de l’Amérique du Sud.

Reconquête américaine

En 2023, Filosa est propulsé à la tête de Jeep aux États-Unis, l’un des fleurons de Stellantis. Basé à Auburn Hills, dans le Michigan, il prend la pleine mesure d’un marché américain crucial pour le groupe, qui y réalise encore l’essentiel de sa marge opérationnelle. Très vite, il s’impose dans un environnement social complexe, notamment en désamorçant un important conflit avec le syndicat UAW à l’usine de Toledo, un dossier qu’il prend en main avec un style ouvert et pragmatique.

L’année suivante, il prend la direction de l’ensemble de la région Amérique du Nord, puis voit ses responsabilités étendues à l’Amérique du Sud et à toutes les marques américaines du groupe. Ce nouveau périmètre fait de lui un homme incontournable, à un moment où Stellantis doit faire face à l’effondrement de ses ventes aux États-Unis, en grande partie à cause d’une politique tarifaire jugée déconnectée du marché.

Une gestion plus souple, un ton plus conciliant

Le contraste avec Carlos Tavares est frappant. Là où le patron lusitano-français incarnait une vision radicale de la chasse aux coûts et de l’efficacité brutale, Antonio Filosa affiche un style plus conciliant et fédérateur. Sa capacité à renouer le dialogue avec les syndicats américains et les concessionnaires, mis à mal par la stratégie rigide de son prédécesseur, a impressionné les membres du conseil d’administration. “Depuis décembre 2024, Antonio a positivement impressionné le conseil grâce au leadership avec lequel il a dirigé l’Amérique du Nord dans une période extraordinairement complexe”, a souligné John Elkann, président exécutif du groupe.

Du côté des syndicats européens, notamment la CFE-CGC en France et la Fiom en Italie, on attend désormais de lui un tournant social. Tous espèrent que ce changement de direction mettra fin à une gouvernance perçue comme autoritaire et déconnectée des réalités sociales.

Un signal clair : Stellantis regarde désormais vers l’Ouest

La nomination de Filosa n’est pas seulement celle d’un manager compétent. Elle incarne un basculement stratégique. En confiant les commandes du groupe à un dirigeant dont la carrière s’est presque exclusivement construite en Amérique latine et en Amérique du Nord, Stellantis affiche clairement ses priorités : reconquête du marché américain, redressement de la qualité perçue, et recentrage autour des marques fortes de l’ancien portefeuille FCA (Jeep, Dodge, Ram…).

Ce choix met aussi fin à l’équilibre franco-italien qui prévalait depuis la naissance de Stellantis en 2021. La “règle” tacite voulait que l’Italien John Elkann préside le conseil, pendant que le francophile Carlos Tavares dirigeait les opérations en maintenant des liens étroits avec la famille Peugeot, deuxième actionnaire du groupe. Le rejet du Français Maxime Picat, pourtant pressenti, confirme la volonté de rompre avec cette logique de parité.

De nombreuses tensions

Filosa hérite toutefois d’un groupe en proie à de nombreuses tensions. La qualité de certains modèles a été pointée du doigt. La stratégie VE (véhicule électrique) est jugée insuffisamment ambitieuse par certains analystes, et la concurrence chinoise s’intensifie en Europe comme en Amérique du Sud. Le nouveau patron devra composer avec des attentes multiples : restaurer la compétitivité sur le marché américain, rassurer les syndicats, préserver les équilibres européens et accélérer la transition énergétique.

Dans une lettre adressée aux salariés, Filosa a affirmé avoir Stellantis “dans le sang” et se dit “fier de l’opportunité de travailler avec vous tous”. Un message rassembleur, qui tranche avec la période précédente. Reste à voir si, au-delà du ton, le nouveau patron saura vraiment transformer le groupe sans rompre ses équilibres internes. La route est tracée vers l’Ouest, mais les virages à négocier seront nombreux.

(Avec AFP)

Antonio Filosa, bio express

Âge : 51 ans
Nationalité : Italienne
Formation : Ingénieur diplômé de l’Université de Naples et titulaire d’un MBA à Milan
Entrée chez Fiat : 1999, comme superviseur qualité dans une usine espagnole
Carrière : Directeur d’usine à Betim (Brésil)
Directeur des achats Amérique Latine
Responsable des marques Alfa Romeo et Maserati en Amérique Latine
Directeur de l’Amérique du Sud puis de Jeep aux États-Unis
Directeur de l’Amérique du Nord, puis de toutes les marques américaines
Directeur mondial de la qualité chez Stellantis depuis février 2025
Succède à Carlos Tavares à la tête de Stellantis à compter du 23 juin 2025

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content