Alexandre Mars, un autre modèle de réussite entrepreneuriale
Entrepreneur surdoué, Alexandre Mars a mis très tôt ses compétences managériales au service d’ambitions généreuses. En quelques années, ce prodige de la tech a dépoussiéré non seulement le monde des affaires en conjuguant rentabilité et responsabilité mais aussi celui de la philanthropie. Portrait d’un Robin des Bois à l’ère de l’IA et des réseaux sociaux.
Je me suis longtemps caché derrière une image”, confesse Alexandre Mars en préambule de son dernier livre intitulé Pause. Ce sérial-entrepreneur ayant fait fortune à 33 ans après avoir revendu deux de ses sociétés à BlackBerry et Publicis, revendique une part de failles et d’échecs. “La chance existe mais les chanceux n’existent pas”, écrit-il à l’aube de la cinquantaine, avec la confiance de ceux qui ont travaillé dur.
L’occasion de briser les mirages d’Instagram et de redonner espoir aux jeunes générations en dévoilant au fil des pages les creux et les bosses de son parcours, ainsi que celui de dizaines de personnalités rencontrées dans le cadre de son podcast. L’occasion aussi de défendre la notion d’alignement qui consiste à mettre en accord ses convictions, ses paroles et ses actes. Une nécessité personnelle qu’Alexandre Mars a concrétisé il y a 10 ans en créant Epic, une fondation sans but lucratif qui canalise les ressources provenant de donateurs aux profils variés pour financer des ONG agissant dans le monde entier en faveur de l’égalité des chances et de la protection de l’environnement.
En dehors des frais de gestion que le conseil d’administration prend entièrement à sa charge, Epic a distribué 85 millions d’euros de dons depuis 2014. Un exploit qui vaut à Alexandre Marsle surnom de “Bill Gates français”.
Également aux manettes de blisce/, une société d’investissements responsable qui a porté des pépites comme Too Good To Go, Brut, Pinterest ou Spotify, l’investisseur philanthrope a lancé dernièrement INFIITE, une edtech sociale dédiée aux prêts étudiants. Tutoiement assumé, optimisme revendiqué, rencontre avec un entrepreneur iconoclaste et visionnaire.
TRENDS-TENDANCES. Montrer ses failles et convaincre en tant qu’entrepreneur, est-ce réellement compatible ?
ALEXANDRE MARS. Pour moi, ce n’est pas antinomique. Je pense qu’il n’y a pas du tout d’impossibilité à réussir une vie économique et d’assumer une vulnérabilité. Même si c’est plus facile aujourd’hui qu’il y a 10 ou 20 ans. Si je te dis mes failles, tu te dis : cet homme est réel, ce n’est pas un avatar, ce n’est pas quelqu’un qui dit que tout va bien tout le temps.
Et dans le business, évidemment qu’il y a des hauts et des bas, en particulier quand tu es entrepreneur. Ça ne va pas être facile tous les jours, ce n’est pas pour autant que tu ne vas pas être motivé. La vérité n’est pas celle que tu postes sur Instagram. Je pense que plus on a été loin dans cette direction-là, plus on a eu envie de l’inverse. Il est impossible de continuer à faire semblant. Aujourd’hui, on a envie de partager un peu plus ce qui se passe réellement dans nos vies.
Dans votre livre, vous parlez de la nécessité d’adopter les bons codes, quels sont ceux qui vous ont le plus servi ?
En fait, la première chose importante, c’est de comprendre ce que veulent les gens, de ne pas imposer ce que l’on pense être bien. Dans les différentes sociétés que j’ai montées, je suis parti à chaque fois d’une étude de marché. Une étude de marché, c’est quoi ? C’est m’asseoir et écouter mes interlocuteurs me raconter pourquoi ils ont fait ça, comment ils l’ont fait, qu’est-ce qui leur manque, qu’est-ce qu’il serait nécessaire de faire… Le second point, c’est de garder à l’esprit que l’on ne sait rien. Il y a trois ans, j’ai monté une ASBL qui s’appelle INFIITE, sur les prêts étudiants, et malgré tout ce que j’ai pu réussir de positif depuis que j’ai démarré à 17 ans, je suis parti en me disant: je ne sais rien.
Le tutoiement que vous pratiquez n’est-il pas au contraire une façon de casser les codes ?
Le vouvoiement donne une distance, que ce soit une infériorité ou une supériorité, qui ne me convient pas. J’ai été biberonné à la culture américaine parce que j’ai longtemps habité là-bas. Pourtant, les Français l’ont peut-être oublié, mais il y a eu un décret en France, qui date de 1793, sur le tutoiement obligatoire. Ça a existé, même si ce n’était pas la période la plus heureuse du pays. Les codes, il faut aussi les comprendre. Si tu me présente ta grand-mère, je ne vais pas la tutoyer. En revanche, un président ou un Premier ministre, oui. Je suis citoyen comme ils sont citoyens. Pour moi, il s’agit d’une question de citoyenneté.
Dans vos conférences, vous dites que de plus en plus de jeunes veulent devenir entrepreneurs. Comment l’expliquez-vous ?
La dernière fois que je suis allé donner un cours à Solvay, j’ai demandé qui voulait devenir entrepreneur. La moitié de la salle a levé la main. La même question il y a cinq ans, c’était un quart. Et il y a 10 ans, c’était deux ou trois. Il y a deux raisons. Un, parce que les gens n’assumaient pas, deux, parce qu’ils ne savaient pas par où commencer. Si tu ne te lances jamais, tu ne sais pas ce que tu ne sais pas et tu restes bloqué. Et puis, il y a de plus en plus de role models en Belgique et ailleurs. Tu te dis tiens, cette entreprise a fonctionné, j’ai lu que tel entrepreneur de 35 ou de 28 ans y arrivait…
Sans compter que la technologie permet de créer de nouvelles choses à moindre coût. Il y a 30 ou 40 ans, monter une entreprise coûtait tellement cher. Après, ça génère aussi beaucoup d’échecs mais il faut assumer ça. L’entrepreneuriat est souvent couronné d’échecs avant d’être couronné de succès.
Quel visage a la philanthropie aujourd’hui ?
Beaucoup d’entre nous ont grandi dans un monde où c’était très top-down : on payait nos impôts et on attendait que l’État agisse. On voit bien aujourd’hui les limites des États providence. Les sommes accumulées par les grandes fortunes et par les grandes entreprises étant considérables, le partage est notre unique voie de sortie. La philanthropie est de plus en plus nécessaire, que ce soit au niveau individuel ou au niveau de l’entreprise.
“Les sommes accumulées par les grandes fortunes et par les grandes entreprises étant considérables, le partage est notre unique voie de sortie.”
Comment est née Epic ? À quel type de besoins répond cette entreprise ?
Beaucoup de gens me disaient : “j’aimerais faire plus”. Cette phrase-là, je l’ai très souvent entendue et je leur demandais ce qui les en empêchait. Mes interlocuteurs me répondaient qu’ils n’avaient pas confiance dans les ASBL, pas le temps, pas la connaissance, qu’ils limitaient leurs dons en termes de montant et en termes d’action, c’est-à-dire à l’école privée de leurs enfants, l’église, la recherche médicale. Je me suis dit : on va leur redonner confiance en utilisant les codes business qu’ils connaissent et on va les implémenter dans le monde de l’humanitaire. C’est ce qui a fait le succès d’Epic présent aujourd’hui dans une quinzaine de pays.
Comment choisissez-vous les associations humanitaires ? Quels sont vos critères de sélection et de vérification ?
Chez Epic, nous identifions des organisations à but non lucratif à fort impact grâce à une méthodologie exigeante s’appuyant sur plusieurs cycles de due diligence, des réseaux d’experts et des analyses de terrain. Nous nous engageons à garantir la solidité des organisations que nous finançons en procédant à une évaluation à 360° sur trois domaines clés : l’impact, les opérations et la gouvernance. Nous nous attachons aux causes profondes des inégalités et visons le changement systémique.
Avez-vous déjà envisagé de vous engager en politique pour résoudre les problèmes en amont ?
La philanthropie apporte des réponses, des solutions complémentaires et différentes de la politique qui, par nature, est soumise à de plus nombreuses contraintes. Je crois que ma place est de continuer à créer des initiatives issues de la société civile mais il est important pour moi de suivre attentivement le contexte politique et les initiatives prises par les différents gouvernements.
Comment arrivez-vous à convaincre vos investisseurs que la responsabilité est compatible avec la rentabilité ?
La finance responsable n’est plus un oxymore. Nous avons réussi à le prouver chez blisce/ et dans toutes les sociétés dans lesquelles nous investissons, car nous appliquons le même niveau de responsabilité et d’impact en interne et en externe. C’est ce que j’appelle l’alignement. Nous adoptons une approche très axée sur les données, ce qui nous aide à mener des cycles d’investissement clés et à faire passer les entreprises de 20 millions de dollars à plus de 200 millions de dollars de chiffre d’affaires. Too Good To Go, que nous soutenons depuis 2020, illustre parfaitement cet exemple et notre vision de la “Tech for Good”. Présente dans 19 pays, l’entreprise a généré plus de 150 millions de dollars de revenus l’année dernière et est rentable.
Le Green Deal est-il un atout ou un frein pour les entreprises européennes?
C’est un accord important pour inciter les entreprises à accélérer sur les questions de transition écologique. Cela implique d’accélérer les questions technologiques et de trouver des solutions moins émettrices de CO2. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous avons décidé de diversifier nos stratégies d’investissement avec blisce/Climate, notre verticale axée sur les technologies climatiques, qui s’engage à décarboner le monde en soutenant des entreprises de série A et B dans les cinq secteurs les plus intensifs en carbone : industrie et matériaux, alimentation et agriculture, construction, mobilité et énergie.
Quel signal l’élection de Trump envoie-t-elle aux investisseurs de la finance ESG ?
L’élection de Donald Trump doit nous encourager à accélérer sur les questions ESG car ça ne sera pas sa priorité. L’un de ses premiers actes forts en 2016 avait été de se retirer de l’Accord de Paris sur le climat et il est fort à parier qu’il détournera le regard de l’urgence climatique pour les quatre prochaines années. Dans ce contexte, les entreprises ont une énorme responsabilité pour faire avancer les choses et essayer de respecter les objectifs fixés dans le cadre de la Cop 21 ; nous conservons un pouvoir d’action indispensable.
“L’IA est un potentiel moyen pour servir des causes en lien avec la justice sociale et la protection de l’environnement.”
Investissant dans la tech, quelle est votre attitude par rapport à l’intelligence artificielle ?
L’intelligence artificielle est encore loin d’avoir atteint ses pleines capacités. Ma grille de lecture m’invite à voir dans ces innovations un potentiel moyen pour servir des causes en lien avec la justice sociale et la protection de l’environnement. Je pense par exemple à l’automatisation des tâches pénibles, à la diminution du temps de travail (qui devra évidemment s’accompagner de salaires décents permis grâce aux gains de productivité) mais aussi à l’amélioration des prédictions climatiques et des potentiels progrès autour de la gestion des ressources naturelles… Ces développements devront s’accompagner de garanties pour éviter les dérives et je pense que l’Union européenne aura un grand rôle à jouer dans la régulation de ces innovations.
Son profil
1992 : Première entreprise à 17 ans en vendant des billets pour des concerts au sein de son lycée
2006 : Publicis rachète sa start-up PhoneValley spécialisée dans le marketing pour mobiles
2013 : BlackBerry rachète une autre de ses start-up baptisée ScrOOn
2014 : Création de blisce/ et d’Epic
2023 : Lancement d’INFIITE qui propose des prêts étudiants à taux 0
Paloma de Boismorel
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici