Alcogroup, un champion belge des biocarburants

L’usine d’Alcogroup dans le port de Rotterdam. © National
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Le maïs est la grande affaire du groupe belge Alcogroup, qui en tire de l’éthanol pour les carburants, des protéines pour nourriture animale et du CO2 vert commercialisable. Le fleuron du groupe est une usine à Rotterdam, la plus grande bioraffinerie d’Europe.

L’évolution actuelle des ventes de voitures se révèle intéressante pour Alcogroup, une société basée à Bruxelles et mondialement active dans la fabrication et la commercialisation d’alcools pour tous usages (médicaux, comme le gel hydroalcoolique, alimentaires, industriels). En Europe, son activité se concentre de plus en plus sur le secteur des transports, qui consomme de l’éthanol (alcool éthylique). Cet alcool est effectivement aussi utilisé comme biocarburant: en Belgique comme ailleurs, les pompes à essence servent surtout du carburant 95 E10, soit de l’essence mélangée à 10% d’éthanol. La production est réalisée par sa division Alco Energy avec deux usines dans les ports de Gand et Rotterdam. “Nous représentons environ 15% de ce marché en Europe”, estime Charles-Albert Peers, CEO d’Alcogroup.

Charles-Albert Peers
Charles-Albert Peers © pg

Pour Alcogroup, la transition énergétique présente de nombreuses opportunités mais aussi des menaces.” CHARLES-ALBERT PEERS, CEO

Tout est bon dans le maïs

En Europe, l’obligation d’ajouter de l’éthanol vise à réduire le bilan carbone de l’essence. “Ces dernières années, avec le recul des ventes de voitures diesel et la hausse de celles à essence, la consommation de ce carburant est en augmentation”, précise Charles-Albert Peers. Une même obligation existe pour le diesel B10 (10% de biocarburant), où la partie “biocarburant” est constituée d’huile. Mais Algo Energy n’est pas actif sur ce marché.

C’est le maïs qui constitue la matière première des usines de Gand et de Rotterdam. Le processus passe par une fermentation des céréales, comme pour la fabrication de la bière. Mais pour Alcogroup, tout est bon dans le maïs: “Nous produisons bien sûr de l’éthanol, mais aussi des protéines sous forme de pellets pour nourriture animale avec les drêches issues de la production, et encore du CO2 (capté pendant la croissance du maïs) dégagé pendant la fermentation. Ce CO2 biogénique est notamment vendu dans la chaîne du froid, les serres et les boissons gazeuses en substitution de CO2 d’origine fossile”. Les recettes se répartissent bon an mal an à 65% pour l’éthanol et 35% pour les protéines, le CO2 produisant, lui, des recettes marginales.

© National

Le maïs utilisé étant destiné à la nourriture animale, il n’entre pas en concurrence avec les cultures alimentaires, un sujet de plus en plus délicat pour les biocarburants. Une nouvelle directive européenne écarte d’ailleurs certains végétaux, comme l’huile de palme, en raison des risques élevés de déforestation que leur culture entraîne. En outre, une usine produit aussi de l’électricité via une centrale de cogénération alimentée par du gaz naturel.

La localisation dans les ports de Gand et Rotterdam est idéale pour l’activité d’Alco Energy: le maïs arrive par bateau, l’éthanol part en train. A Rotterdam, les camions sont d’ailleurs plutôt rares sur le site, un terrain de plus de 20 hectares. Alcogroup a racheté l’usine en 2016, après une faillite. Elle avait été construite en 2010 par un groupe espagnol concurrent, Abengoa, qui a traversé de grosses difficultés.

“Nous avons pris des risques”, reconnaît Charles-Albert Peers. L’usine n’était pas au point et avait arrêté sa production depuis plusieurs mois. Elle devait être remise en ordre, notamment au niveau des permis. A présent, elle est la plus grande bioraffinerie d’Europe dans le secteur de l’éthanol, selon Charles-Albert Peers.

Avec 1,4 million de tonnes de maïs, l’usine de Rotterdam produit 650 millions de litres de bioéthanol, 430.000 tonnes de protéines pour animaux et capte 300.000 tonnes de CO2 biogénique. Au total, le groupe consomme annuellement plus de 2 millions de tonnes de maïs et produit 920 millions de litres. Alcogroup est ainsi le deuxième producteur européen d’éthanol pour carburants.

Caution verte pour le port

Alcogroup a pu limiter les risques car l’entreprise, qui avait équipé son usine dans le port de Gand, était la même qui a fourni l’usine de Rotterdam. Par ailleurs, même si la concurrence est conséquente, le marché est porteur. “Il y a 42 usines en Europe et d’importantes quantités d’éthanol sont importées, notamment en provenance de Etats-Unis et du Brésil, mais nous avons des prix de revient très compétitifs”, ajoute Charles-Albert Peers.

Aujourd’hui, l’usine de Rotterdam aide le port à corriger une image industrielle discordante avec les objectifs environnementaux de réduction des émissions. Ainsi, Alco Energy fournit des drêches protéinées à la ferme flottante construite au nord du port, près de Schiedam, la Floating Farm, qui forme un laboratoire d’agriculture urbaine très visité (lire Trends-Tendances du 28 juillet 2022). “C’est une nourriture plus durable pour les animaux”, avance Charles-Albert Peers. Les vaches émettent du méthane, un puissant gaz à effet de serre, notamment dû au sucre contenu dans leur alimentation, précise le CEO. “Or, nous prélevons le sucre du maïs pour produire l’éthanol. Nous fournissons ainsi des aliments protéinés plus sains pour le bétail.”

La difficulté pour Alcogroup est de développer sa stratégie pour les 15 années à venir. “La transition énergétique présente de nombreuses opportunités mais aussi des menaces. A court terme, l’éthanol reste un marché porteur avec, notamment, la tendance à augmenter la proportion de ce carburant dans l’essence. Plusieurs pays pourraient passer à l’essence E20 ou E85 (20% ou 85% d’éthanol). Mais il est clair qu’à un moment donné, la vente de voitures électriques, poussée par le cadre réglementaire, va réduire la consommation d’essence, et donc d’éthanol.”

Futurs e-carburants

Pour le futur, Alcogroup dispose de plusieurs leviers. “L’objectif est de réduire encore fortement la consommation énergétique de nos usines. Des investissements importants sont en cours. Combinés à la captation du CO2 biogénique, ils nous permettront d’obtenir de l’éthanol neutre en carbone, voire positif”, avance le CEO. La diversification de la production est aussi à l’ordre du jour. “Nous pourrions facilement ajouter des équipements pour produire des alcools spéciaux, entre autres pour la chimie verte. L’éthanol est une molécule de base parfaite pour se substituer aux molécules d’origine fossile.”

Une autre perspective est de produire des e-carburants. Ce sont des carburants liquides qui combinent de l’hydrogène renouvelable et du CO2, de préférence biogénique. La Commission européenne mise sur cette nouvelle génération de carburants renouvelables pour décarboner les secteurs maritimes et de l’aviation.

“Autour de nos usines de Gand et de Rotterdam, il y a des projets d’électrolyseurs pour produire de l’hydrogène avec de l’électricité d’origine éolienne”, explique Charles-Albert Peers. La conversion en hydrogène est une manière de valoriser cette électricité parfois produite lorsque la demande est trop faible. Le bilan carbone pourrait être très bon, d’autant que le CO2 capté provient d’un processus de fermentation du maïs et non d’une combustion de carburant fossile. Le site de Rotterdam peut doubler de capacité si la demande s’envole.

Le futur des e-carburants est cependant encore flou. Les pétroliers et certains constructeurs automobiles espèrent encore qu’ils soient pris en considération comme carburants “zéro émission” autorisés pour les véhicules vendus à partir de 2035. L’Allemagne et l’Italie font pression pour que ce type de carburant soit admis pour les voitures thermiques.

Le Conseil des ministres européen doit encore se prononcer à ce sujet. Alco Energy est donc à la fois bénéficiaire et tributaire des réglementations environnementales européennes. “Dans le futur, l’empreinte carbone de tous les produits deviendra un élément important”, relève Charles-Albert Peers qui estime que son secteur a tout à y gagner, surtout s’il y a des pénalités pour les productions à fortes émissions. Ainsi en Europe, l’alimentation animale est très dépendante des importations de protéines pour nourriture animale à base de soja génétiquement modifié produit de l’autre côté de l’Atlantique et qui limite la compétitivité des pellets produits à Rotterdam. Mais si le bilan carbone est pris en considération, les pellets d’Alcogroup deviendront plus attractifs.

Maïs ukrainien

Le groupe belge espère valoriser sa position dans la “chimie verte”, la chimie dont l’empreinte carbone est limitée. “Par exemple, nous allons changer d’énergie en passant du gaz à l’électricité verte, précise Charles-Albert Peers. Cela nous permettra alors d’être neutres en carbone, et même au-delà.”

Le groupe a traversé les diverses crises (covid, Ukraine) sans trop en subir les effets. Il a même distribué gratuitement du gel hydroalcoolique. L’Ukraine lui a tout de même donné des sueurs froides. “Nos sources d’approvisionnement sont diversifiées en Europe, en Belgique, en Allemagne, un peu partout, mais l’Ukraine représente une

part importante car c’est un gros producteur. L’an passé, nous nous sommes posé des questions.

Heureusement, il y a un corridor qui permet de livrer le maïs. Le flux n’est pas encore normal, il y a des retards. Le problème n’est pas de trouver le maïs mais de se le faire livrer.” L’entreprise aurait pu souffrir de la hausse considérable du prix du gaz naturel fin 2022. “Heureusement, nous étions couverts et cela n’a pas eu d’impact important”, se félicite le CEO d’Alcogroup.

© National

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content