Airbnb vs Booking.com, le choc des titans se rapproche

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Loger chez l’habitant n’est plus une activité de niche. Airbnb pourrait bien un jour inquiéter Booking.com, le numéro un mondial de la réservation hôtelière, qu’il concurrence en développant une offre pour les voyageurs d’affaires.

Tout semblait séparer Airbnb et Booking.com mais, de plus en plus, les deux plateformes s’adressent au même public. Leur offre se rapproche. Airbnb a sorti le logement chez l’habitant du marché de niche, très local, qu’il exerçait. Booking n’est pas en reste et cherche à attirer le public d’Airbnb. C’est un bras de fer intéressant à observer qui va se développer dans les années à venir.

Face à la machine Booking.com, établie depuis 1996 aux Pays-Bas, intégrée dans le groupe américain Priceline, Airbnb n’est plus une modeste start-up. Son revenu est évalué à 1,6 milliard de dollars en 2016, et pourrait gonfler à 2,8 milliards en 2017. Il est devenu rentable depuis le second semestre de 2016, et a affiché un Ebidta positif de 156 millions de dollars (profit avant taxes, intérêt et amortissement). Et pourrait arriver au bénéfice net dès cette année. Alors qu’Uber, autre vedette de l’économie partagée, a perdu 2,8 milliards de dollars en 2016.

Concurrence frontale avec l’hôtellerie

Fondé en 2007, Airbnb a popularisé le logement chez l’habitant en milieu urbain, et propose plus de 3 millions de logements dans 65.000 villes. Le site génère des revenus avec les commissions perçues sur chaque location conclue sur le site. Sa forte croissance devient un souci pour l’industrie hôtelière. Une enquête publiée en novembre par Morgan Stanley relève que 49 % des réservations faites sur Airbnb sont des substituts à des chambres d’hôtels. ” Les voyageurs passent de plus en plus d’un logement hôtelier traditionnel à un séjour Airbnb “, note l’étude, qui prédit pour 2018 à Airbnb une part de marché de 6 % du marché global de l’hébergement, en Europe et aux Etats-Unis, contre 4 % en 2016. Cette enquête porte sur quatre pays (Allemagne, France, Grande-Bretagne et Etats-Unis).

Booking reste le grand frère. Il est l’élément principal (90 % des revenus environ) du groupe américain Priceline, et est valorisé en Bourse à plus de 92 milliards de dollars. Tandis qu’Airbnb est évalué à 30 milliards de dollars. La valeur boursière de Booking.com dépasse celle de plusieurs géants hôteliers additionnés : Marriott International, Hilton, Hyatt et AccorHotels.

Airbnb vs Booking.com, le choc des titans se rapproche
Airbnb vs Booking.com, le choc des titans se rapproche

Une frontière de plus en plus floue

La frontière entre les deux plateformes est de plus en plus floue, à la fois dans l’esprit des utilisateurs et dans l’offre. ” Ce sont aujourd’hui les deux acteurs les plus importants dans la réservation d’hébergements, indique Olivier Poulaert, fondateur de la centrale de réservation Bed and Brussels. Booking.com est de plus en plus actif dans la location. ” Le site néerlandais, qui a été calibré à l’origine pour l’hôtellerie, s’étend vers toutes les catégories de logements, y compris les appartements, les villas et les bed & breakfast. Sur un total de 1,3 million d’établissements ou de logements proposés, il y a environ 600.000 logements de vacances.

Airbnb, de son côté, diversifie son offre et entre dans des marchés couverts par Booking.com. Il n’est plus uniquement un moyen bon marché de voyager pour les loisirs. Il vise même le haut de gamme, avec le rachat de Luxury Retreat, qui propose plus de 3.700 villas de luxe en location dans des endroits aussi enchanteurs que les Caraïbes, la Toscane ou la Californie. Et s’adresse aussi aux voyageurs d’affaires.

Airbnb n’est plus uniquement un moyen bon marché de voyager pour les loisirs. Il vise aussi le luxe et les voyageurs d’affaires.

La société a créé en 2015 une offre, ” business travel ready “, à destination de ces derniers. Les logements qualifiés disposent d’un équipement minimum (wi-fi, fer à repasser, shampoing, etc.), d’un espace de travail, avec un mode de paiement adapté à une clientèle business. Environ 250.000 entreprises y recourent régulièrement. ” La vaste majorité des sociétés clientes sont des PME “, écrit Leigh Gallager, journaliste au magazine Fortune, dans un ouvrage récent consacré à Airbnb, The Airbnb Story (1). Airbnb a aussi signé avec Hyundai, Domino Pizza, Morgan Stanley, Google, et a conclu des partenariats avec les agences de voyage American Express Global Business Travel et Carlson Wagonlit Travel.

Percée d’Airbnb dans le voyage business

Le monde du voyage d’affaires prend Airbnb au sérieux, car les départements voyage des entreprises perçoivent une demande pour le logement chez l’habitant de la part des salariés. ” Carlson Wagonlit explique que ses données montrent qu’un voyageur d’affaires sur 10 a déjà utilisé Airbnb, et le chiffre monte à 21 % pour les millennials (les personnes nées entre 1980 et 2000, Ndlr) “, continue Leigh Gallager. Les voyageurs business pourraient représenter 20 % des réservations d’Airbnb. Loger chez l’habitant plaît aux jeunes cadres. Une autre raison, plus économique, motive les entreprises : la formule est souvent moins coûteuse que l’hôtel, en particulier lors des périodes durant lesquelles les hôtels augmentent leurs tarifs (foires, congrès, événements sportifs, etc.).

Par ailleurs, Airbnb est prêt à explorer, comme le fait Amazon, d’autres marchés connexes, pour vendre davantage aux clients existants. Il a ainsi lancé une offre de loisirs (non couplée au logement), ” Expériences “, qui propose par exemple un tour de Londres avec un blogueur spécialisé en street art (55 euros), une virée dans des brasseries artisanales de Barcelone (55 euros), ou une plongée dans le syncrétisme religieux à Cuba (69 euros). Ce développement, sur lequel a longuement travaillé le CEO d’Airbnb, Brian Chesky, vise à renouer avec l’esprit d’origine d’Airbnb, où le logement chez l’habitant était avant tout considéré comme une expérience, ce qui n’est plus toujours le cas avec le développement de l’entreprise. Les propriétaires de logements, de plus en plus intéressés par les revenus que peut apporter Airbnb (environ 5.000 euros par an en moyenne), ne sont pas toujours présents. “Expériences” assure une nouvelle source de revenu à Airbnb, qui empoche une commission de 20 % sur le service presté. Brian Chesky a indiqué à l’auteur du livre The Airbnb Story qu’il espérait qu’à terme les revenus des logements soient dépassés par ceux de nouveaux business et ne représentent plus la moitié des ventes. L’ouvrage ajoute que l’objectif d’Airbnb est de parvenir à une valorisation de 100 milliards de dollars d’ici 10 ans.

La situation à Bruxelles

Airbnb continue à se développer un peu partout. Même à Bruxelles, en dépit d’une ordonnance en vigueur depuis 2016, qui soumet le logement chez l’habitant à des formalités. Le site propose aujourd’hui 4.493 hébergements (chiffre enregistré en juin 2017), selon la société d’analyse Airdna, qui calcule l’offre en analysant les données affichées sur le site d’Airbnb. Environ 66 % de ce volume est constitué, à Bruxelles, par des logements entiers (une ou deux chambres en général). Le marché hôtelier de la capitale représente, lui, environ 200 hôtels et 35.000 places/lits.

Booking.com reste de loin le plus grand système de réservation. La société mère Priceline affichait en 2016 un revenu de plus de 10,7 milliards de dollars, soit six fois celui d’Airbnb. Mais la croissance du champion du logement chez l’habitant est nettement supérieure. Elle pourrait atteindre 65 % en 2017, contre une bonne vingtaine de pour cent pour Priceline (Booking.com).

Brian Chesky, CEO d'Airbnb, entend renouer avec l'esprit d'origine d'Airbnb, basé sur l'échange et l'expérience, en diversifiant son offre de services.
Brian Chesky, CEO d’Airbnb, entend renouer avec l’esprit d’origine d’Airbnb, basé sur l’échange et l’expérience, en diversifiant son offre de services.© BELGA IMAGE

Les atouts de Booking.com

La croissance d’Airbnb est dopée par l’effet de mode, le côté ” cool ” du site, qui mise sur les images, les promesses d’expériences, les témoignages. Il est porté par la demande d’une clientèle jeune, pour qui combiner Ryanair avec Airbnb est devenu un réflexe. C’est une manière de voyager bon marché. L’étude de Morgan Stanley mentionnée au début de l’article indique que 51 % des voyageurs qui ont utilisé Airbnb ont moins de 35 ans.

En comparaison, le site Booking.com paraît moins convivial, mais reste redoutablement efficace. Comme Airbnb, Booking.com est champion pour séduire, attirer, guider (grâce aux avis des clients), retenir les visiteurs et les pousser à clôturer une transaction. Booking pourrait-il être ringardisé ? Pas sûr, car en élargissant son offre à tous les types d’hébergements, à marche forcée, il se rend toujours plus attractif pour les voyageurs. Les réservations y sont plus rapides, instantanées, alors que sur Airbnb, il faut généralement attendre que le loueur donne son accord. L’autre atout est d’ordre tarifaire : les clients d’Airbnb paient une commission de 6 à 12 %, alors que chez Booking.com le voyageur ne paie rien, c’est l’hébergeur, l’hôtel en général, qui paie seul la commission (12 à 18%).

Les hôtels à la peine

Ceux qui ont le plus à perdre de la bataille des plateformes qui se dessine entre Airbnb et Booking.com sont les hôtels. Ils pourraient avoir plus de mal à vendre leurs chambres en direct, sur leurs sites, et devenir encore plus dépendant de Booking.com. L’étude de Morgan Stanley confirme ce risque. Car les sites des plateformes vont devenir toujours plus attirants, avec un choix toujours plus élargi. La plus grande chaîne hôtelière mondiale, Marriott International, ne propose ” que ” 6.080 établissements (1,2 million de chambres), alors que le jeune Airbnb affiche déjà 3 millions d’hébergements.

(1) Leigh Gallager, “The Airbnb Story : How Three Ordinary Guys Disrupted an Industry, Made Billions… and Created Plenty of Controversy” , février 2017, Mariner Book éditeur, 256 pages

Les villes qui résistent

Plusieurs villes cherchent à freiner le développement d’Airbnb et d’autres sites de logement chez l’habitant. C’est le cas de New York, de Berlin et même, un peu, de Bruxelles. Le développement d’Airbnb a entraîné une double opposition. Celle des hôteliers, qui voient dans Airbnb un concurrent sérieux, et qui crient à la concurrence déloyale. Celle, aussi, des élus qui craignent que les propriétaires ne préfèrent louer à des voyageurs, nuit par nuit, un appartement, plutôt qu’à un habitant de la ville. Ainsi New York a instauré une règle interdisant la location d’un logement moins de 30 jours si le propriétaire n’y habite pas. Berlin a adopté une mesure similaire avec de fortes amendes à la clé. La Région de Bruxelles Capitale a aussi instauré en 2016 une ordonnance qui soumet le logement chez l’habitant, naguère libre, à une batterie de formalités administratives.

Airbnb cherche partout à éviter des confrontations telles qu’Uber a pu en connaître et a conclu des accords dans de nombreuses villes pour encadrer le logement chez l’habitant, en assurant par exemple lui-même la collecte des taxes locales (Chicago, Londres), à Shanghai, à La Nouvelle-Orléans, à Amsterdam. La tendance est à limiter Airbnb à de véritables locations chez l’habitant et à éviter les faux hôtels (les particuliers qui louent plusieurs logements). L’autre point délicat est l’opposition des propriétaires, qui refusent que leurs locataires sous-louent une chambre ou la totalité de leur logement pour quelques nuits. A Bruxelles, l’ordonnance oblige désormais les locataires à obtenir l’autorisation de leur propriétaire. Airbnb teste des compromis comme l’Airbnb Friendly Buildings Program. Lancé en 2016 aux Etats-Unis, ce programme pilote propose aux propriétaires d’immeubles et aux locataires de signer un addendum au contrat de bail visant à autoriser l’accueil via Airbnb dans le cadre de règles strictes (heures d’arrivée et de départ, etc.) et en échange de la cession d’une partie des gains au propriétaire.

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