À Spa-Francorchamps, une succession de virages technologiques

Bertrand Piccard, le pilote de l'avion solaire Solar Impulse, a fait plusieurs tours de piste à bord de cette Formule E. © pg
Bastien Pechon Journaliste

A quoi ressemblera la mobilité électrique dans les ” smarts cities ” de demain ? Au bord du circuit de Spa-Francorchamps, entrepreneurs, “starters”, managers et invités de renom se sont succédé pour présenter leur vision et leurs innovations. Notamment celles de cinq prometteuses start-up.

Assis à quelques centimètres du sol. Les mains posées sur cet étrange volant rectangulaire, muni de palettes de changement de vitesses à l’arrière, d’un écran et de boutons à l’avant. Installé de la sorte à bord cette monoplace, le véhicule ne semble pas très confortable. Le siège baquet, spécialement conçu pour la morphologie du pilote, a été extirpé de l’habitacle quelques minutes auparavant. Les jambes allongées dans le nez du monstre, la première impression qui vient à l’esprit est celle d’être plutôt posé sur un transat. Mais ce ” transat ” mauve et noir peut atteindre une vitesse de 225 km/h. Sans émettre de CO2. C’est une Formule E, une ” F1 électrique “. Une quarantaine de voitures similaires parcourront les rues de Hong Kong le 2 décembre prochain, à l’occasion de la première épreuve de la quatrième saison du championnat du monde. Pour l’heure, cette monoplace patiente à côté d’une seconde FE bleue et grise, aux ailerons moins fuselés, dans les stands d’un circuit mythique : celui de Spa-Francorchamps.

Le bolide a été conçu et assemblé par Spark Racing Technology, une entreprise française lancée en 2012 par Frédéric Vasseur, actuel directeur de l’équipe de Formule 1 Sauber. Traditionnellement actif dans l’immobilier avec sa société Sodaphi, inconnu du secteur automobile, le Belge Alexandre Dallemagne entre pourtant à hauteur de 25 % dans le capital de la start-up française en février 2014. Ce 17 novembre, le Liégeois a rassemblé plus de 500 personnes à Spa-Francorchamps pour faire le tour des smarts cities et, plus particulièrement, de la mobilité dans ces villes de demain à l’occasion du premier Spark E#Day. Pour les acteurs du secteur rassemblés dans les paddocks, la mobilité du futur sera sans aucun doute électrique.

Point fort de cette journée : un concours de start-up. Sélectionnées par Nathalie Crutzen, directrice du Smart City Institut (ULiège), et de Damien Ernst, professeur en électromécanique, également à l’Université de Liège, cinq jeunes entreprises ont eu l’opportunité de pitcher sur scène leur business model. En entendant ces starters, on comprend que la révolution en cours va bien au-delà de la voiture électrique.

Quentin Gemine, cofondateur de BlackLight Analytics, lauréat du concours de start-up.
Quentin Gemine, cofondateur de BlackLight Analytics, lauréat du concours de start-up.© PG

Des bornes de recharge plus intelligentes

Les prises qui sont installées peu à peu le long des routes ou chez les particuliers sont une des faces les plus visibles de cette mobilité électrique. Electric Loading, une start-up logée en région parisienne, illustre bien les innovations que les acteurs du secteur sont en train de développer. Active depuis 2015, l’entreprise repense d’abord les infrastructures publiques et celles des entreprises. ” Au lieu d’installer des bornes pour chaque place de parking, on va installer des supports de câbles pour réduire le coût d’installation “, détaille Christophe Matias, directeur général de la start-up. Ces câbles sont ensuite connectés à une unité centrale, qui organise les recharges pour lisser la puissance puisée sur le réseau, afin de ne pas créer des pics soudains de consommation et risquer des pannes d’électricité.

Du côté des particuliers, Electric Loading développe une borne qui recharge la voiture en tenant compte de la consommation des autres appareils de la maison, voire de la production des panneaux solaires installés sur le toit. Elle peut ainsi faire fluctuer la puissance sans risquer de faire sauter les plombs et en utilisant un maximum d’énergie solaire. Le matin et le soir, lors des pics de consommation, la borne peut aussi alimenter le foyer grâce à l’énergie de la voiture, et ainsi contribuer à la stabilité du réseau. Ces bornes peuvent aussi être ” auto-partagées ” afin de revendre de l’électricité à d’autres automobilistes. Une innovation qui pourrait s’avérer utile en Wallonie en cas de taxe visant à faire contribuer les producteurs d’énergie solaire pour leur utilisation du réseau. La start-up française compte également présenter un système de recharge robotisé au prochain CES de Las Vegas, en janvier prochain. Un système que d’autres entreprises, comme l’américain Tesla, développent également pour préparer l’arrivée des voitures autonomes.

Une intelligence artificielle a elle-même créé cette pièce sur base d'une simulation des flux de chaleur et de refroidissement.
Une intelligence artificielle a elle-même créé cette pièce sur base d’une simulation des flux de chaleur et de refroidissement.© PG /Diabatix

Epingler les meilleurs endroits pour installer ces bornes

Avec l’arrivée de véhicules électriques à plus longue autonomie, on installe des bornes de recharge de plus en plus puissantes : de 50 kW pour un chargeur rapide standard, en passant par 120 kW pour les ” super chargeurs ” de Tesla, et jusqu’à 350 kW pour la nouvelle génération de bornes. ” La demande de puissance est extrêmement élevée par rapport à une installation résidentielle “, commente Quentin Gemine, decision support systems engineer et cofondateur de BlackLight Analytics. Il est donc nécessaire d’accompagner le déploiement de ces bornes pour qu’elles ne déstabilisent pas le réseau. C’est un des objectifs de cette spin-off de l’ULiège. Lancée en janvier 2017, BlackLight Analytics développe actuellement un outil pour identifier les points du réseau les plus aptes à accueillir des bornes de recharge, mais aussi les endroits où des interconnexions sont nécessaires. Une application qui est en réalité le prolongement du logiciel GCAN, qu’ils ont développé pour aider les gestionnaires de réseau à intégrer les sources d’énergies renouvelables. Un logiciel déjà commercialisé et utilisé aujourd’hui par Ores. ” On détermine où l’on doit accepter les demandes de raccordement de production d’énergies renouvelables pour maximiser la quantité d’électricité que l’on peut intégrer dans le réseau “, poursuit Quentin Gemine. A terme, l’idée est aussi de suivre les capacités disponibles en termes de production d’énergie renouvelable et de recharge afin de les synchroniser le plus possible, et ainsi de recharger un maximum de véhicules avec de l’électricité verte. Des solutions que le jury a trouvé prometteuses puisque c’est BlackLight Analytics qui remporta le concours du jour.

L’intelligence artificielle remplace le cerveau de l’ingénieur

Datas, intelligence artificielle, algorithmes, et matériaux composites sont au coeur de cette révolution de la mobilité.

Soumis à ces flux importants d’électricité, les composants électroniques de ces bornes de recharge ont tendance à chauffer. Cet ” électronique de puissance ” doit être refroidie via l’air ou grâce à un liquide. Il faut donc développer des designs spécifiques pour gérer ces flux chauds et froids. Diabatix, une start-up basée à Louvain, a développé un logiciel qui permet de concevoir de manière autonome le design de ces pièces grâce à de l’intelligence artificielle. Sur base d’une simulation des flux de chaleur et de refroidissement, l’IA crée cette nouvelle pièce à partir d’une page blanche. ” Pour un ingénieur, humain, il n’y a qu’une manière de procéder : par essai-erreur “, explique Hans Clijsters, VP business development chez Diabatix. Chaque modification du design doit être testée. L’ingénieur procède ainsi de dessin en dessin, ce qui peut prendre plusieurs mois. Grâce à l’intelligence artificielle, une pièce peut être entièrement revue en un week-end. Et le logiciel ne revoie pas l’entièreté du design à chaque étape. Il identifie les défauts à ajuster. ” Chaque génération est une amélioration du dessin précédent. Ce n’est pas essayer 1.000 dessins différents et trouver finalement la meilleure configuration “, poursuit Hans Clijsters.

Autre application possible : améliorer les batteries en revoyant le design et l’agencement des pièces à l’intérieur de l’accumulateur. L’enjeu : utiliser moins de matériaux et ainsi diminuer le poids de la batterie. Ou encore doper sa durée de vie en réduisant les écarts de température entre ses cellules.

Des constructeurs comme Nissan, Jaguar ou BMW participent également au championnat du monde de Formule E.
Des constructeurs comme Nissan, Jaguar ou BMW participent également au championnat du monde de Formule E.© Pechon Bastien

Les algorithmes, moteurs des “smart cities”

Cette révolution de la mobilité et des smarts cities est aussi celle des algorithmes. Pierre Renson et Mathieu Jaspard, les fondateurs de Connect2Move, en sont parfaitement conscients. Ces géomaticiens (des géographes ayant acquis des compétences informatiques) ont notamment créé un algorithme pour la start-up de livraison de colis entre particuliers Hytchers. ” Il trouve le point commun entre des itinéraires différents “, détaille Mathieu Jaspard, project manager de Connect2Move. Concrètement : un utilisateur entre son itinéraire sur la plateforme, qui est ensuite confronté avec les colis en cours de livraison. Grâce à Connect2Move, l’utilisateur pourra adapter son trajet, prendre au passage le colis et le transporter d’une station à une autre en échange de carburant gratuit. Incubé au VentureLab, à Liège, la start-up ne s’arrête pas là. Elle a également développé un algorithme pour une autre société de livraison, qui gère une flotte de coursiers. Grâce à la géolocalisation, l’algorithme de Pierre Renson et de Mathieu Jaspard leur assigne automatiquement une commande. Ils proposent donc une solution surmesure à ces entreprises. Ils développent ainsi, au fil de ces projets, une boîte à outils d’algorithmes. Avec un objectif en tête : arriver à des solutions beaucoup plus standardisées, qui pourraient convenir à plusieurs clients. Autre projet en cours : Pierre Renson et Mathieu Jaspard développent une application intermodale, qui vise à proposer un trajet qui regroupe plusieurs moyens de transports comme le train, le bus, le vélo, ou encore la voiture partagée. Avec l’ambition de proposer une meilleure suggestion de trajet que ce qu’offrent actuellement des applis comme Citymapper. La start-up est sur le point de finaliser une levée de fonds, avec pour objectif de rassembler 125.000 euros afin de poursuivre ses développements.

La SP7 de Saroléa, une moto électrique 100 % belge.
La SP7 de Saroléa, une moto électrique 100 % belge.© Pechon Bastien

Sur la piste, une moto 100 % belge

Dans les stands, un pilote s’est installé dans la seconde monoplace bleue et grise. Jérôme D’Ambrosio, pilote en Formule E chez Dragon Racing et ancien pilote de Formule 1, donne ses derniers conseils à l’homme assis dans le bolide. La voiture fait de timides premiers pas, avant de s’élancer pour de bon. Les claquements des changements de vitesse interrompent le bruissement électrique du moteur. La monoplace gagne en rapidité, puis disparaît à la sortie des stands pour s’engager sur la piste.

Dans le garage, un autre monstre sommeille. Une moto de course noire en carbone et 100 % belge : la SP7 de Saroléa. Un superbike d’une autonomie de 350 km environ en usage réel (ville, périurbain et autoroute). Créée en 1850 à Herstal, cette entreprise produisait historiquement des vélos avant de concevoir des vélomoteurs, puis des motos à l’aube du 20e siècle. Une histoire qui s’interrompit en 1973. Jusqu’au jour où deux frères jumeaux, Torsten et Bjorn Robbens rachètent la marque en 2008 et décident de concevoir des motos 100 % électriques. Aujourd’hui, les deux Belges tentent de récolter 5 millions d’euros, avec l’idée de commercialiser 500 motos en 2019. Ce qui n’est pas irréaliste : en 1929, une septantaine de deux-roues sortaient tous les jours des ateliers de Herstal. Un superbike qui devrait coûter 52.000 euros, TVA incluse, pour le modèle de base.

Après plusieurs tours de piste, la seconde monoplace décide finalement de rentrer aux stands. Une nuée de photographes se pressent au nez du bolide, le pilote enlève son casque, Bertrand Piccard apparaît. Le pilote de l’avion solaire Solar Impulse est aujourd’hui un des plus importants ambassadeurs de ces technologies propres. Quelques jours auparavant, le Suisse lançait ” L’Alliance mondiale pour les solutions efficientes ” lors de la COP23, à Bonn (lire l’encadré ” Les Etats peuvent être beaucoup plus ambitieux dans leur réglementation ” plus bas). Avec un objectif : sélectionner 1.000 solutions écologiques et rentables pour les présenter aux décideurs politiques lors de la prochaine grande conférence sur le climat en Pologne, en 2018.

“Les Etats peuvent être beaucoup plus ambitieux dans leur réglementation”

De passage à Spa-Francorchamps lors du Spark E#Day, Bertrand Piccard, le pilote de l’avion solaire Solar Impulse, revient sur la création de “l’Alliance mondiale pour les solutions efficientes”, lancée ce 14 novembre à l’occasion de la COP23, à Bonn. “D’ici la COP24, en décembre de l’année prochaine, notre but est de sélectionner 1.000 solutions pour protéger l’environnement de façon économiquement rentable”, détaille le pilote suisse. Une alliance qui rassemble des entreprises, des start-up, des universités et des décideurs politiques avec l’objectif de mettre en avant ces solutions.

“L’innovation, on la pousse avec beaucoup de subsides. Mais une fois qu’il y a des brevets, on ne sait pas ce qu’ils deviennent car, souvent, ces inventions ne trouvent pas d’utilité immédiate, explique-t-il. Il faut tirer l’innovation en créant une nécessité, en créant un cadre légal qui est ambitieux. 130 grammes de CO2 par kilomètre en voiture, c’est ridicule. Il faudrait mettre 60 grammes. En maximum, deux à trois ans, toutes ces solutions, qui existent, arriveront sur le marché.” Au-delà de la promotion de ces innovations, c’est donc le cadre légal des Etats qui doit évoluer.

En Belgique, un vif débat a lieu actuellement au sujet de la prolongation des centrales nucléaires. Pour beaucoup, cette énergie est une des solutions pour lutter contre le changement climatique. Pour Bertrand Piccard, ce n’est pas une solution efficiente. “Le nucléaire n’est pas rentable. Si vous comptez l’entièreté de ses coûts (de la construction des centrales à leur démantèlement, en passant par la production du combustible et la gestion des déchets, Ndlr), vous vous apercevez que c’est plus cher que l’entièreté des coûts des renouvelables. Il ne fait donc pas partie de nos solutions. Ce n’est pas une question de dogme écologique.”

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