Vingt-cinq mesures pour doper l’entrepreneuriat féminin
Le gouvernement fédéral a rédigé un plan pour favoriser le développement des entrepreneuses. Les obstacles restent criants: accès au financement, équilibre avec la vie privée, etc. Objectif: faire enfin bouger les lignes.
L’entrepreneuriat féminin se développe mais il reste un plafond de verre qui empêche les femmes de prendre autant de risques que leurs homologues masculins. Voilà le constat objectif posé et relayé, notamment, par Isabelle Grippa, CEO de hub.brussels, l’Agence pour l’accompagnement des entreprises à Bruxelles. “Une révolution culturelle reste à opérer”, insistait-elle fin janvier dans notre émission Trends Talk sur Canal Z.
C’est la raison pour laquelle le gouvernement fédéral a initié voici un an une table ronde sur la question: il en résulte 25 mesures pour favoriser l’accès au financement des entrepreneuses, présentées cette semaine et appelées à être mises en oeuvre rapidement. “J’ai fait de l’encouragement à l’entrepreneuriat féminin l’une de mes priorités de la législature, insiste David Clarinval, vice- Premier ministre MR, en charge des Classes moyennes et des Indépendants. Et ce n’est pas qu’un slogan. Seule une entreprise sur trois est dirigée par une femme. Cela prouve qu’il y a un potentiel considérable.”
Trop longtemps dominé par les hommes, le monde économique doit se réinventer. Dans les esprits, mais aussi par l’entremise de petites mesures concrètes qui peuvent faire la différence.
Des obstacles conséquents
Les femmes aspirent de plus en plus à l’entrepreneuriat. Le constat est réjouissant… et objectif. Isabelle Grippa, qui accompagne de près l’entrepreneuriat à Bruxelles, chiffre l’évolution: “Nous analysons cela de près à travers notre plateforme Women in business, explique-t-elle A Bruxelles, nous sommes aux alentours de 30% de femmes entrepreneuses. C’est à la fois bien, parce que l’on a augmenté cette proportion de 8% ces dernières années, mais cela reste insuffisant dès lors que les femmes constituent 50% de l’humanité”.
Les obstacles restent bien trop importants et découragent de nombreuses vocations, selon elle. “Ils sont de trois natures, précise Isabelle Grippa. Le premier, c’est évidemment l’équilibre vie privée-vie familiale. Une récente enquête du Conseil supérieur de l’emploi a rappelé encore récemment que les femmes travaillaient 16 heures de plus par semaine pour la famille et la maison. Cela freine. Le deuxième, c’est l’action du réseautage qui est très facile pour les hommes, mais moins pour les femmes. La capacité de se vendre, de créer des contacts, de convaincre son interlocuteur…, cela ne fait pas partie des codes féminins. Des siècles de domination des hommes sur l’économique expliquent cela. Il faut coacher spécifiquement les femmes dans ce domaine.”
C’est la confiance du monde économique et financier, principalement masculin, envers les capacités des femmes qui est en question.
L’accès au financement est le troisième frein, sans doute le plus important, souligne la CEO de hub.brussels. “Des efforts sont réalisés, notamment par finance.brussels dans la Région. Mais on voit clairement qu’il y a des difficultés pour les femmes d’accéder à des financements et à des levées de fond. C’est la confiance du monde économique et financier, principalement masculin, envers les capacités des femmes qui est en question.”
Lors d’un débat avec David Clarinval organisé à l’initiative de Trends-Tendances en mars 2022, Muriel Bernard, CEO d’eFarmz, avait confirmé cette réticence du monde de l’argent: “J’ai constaté que la plupart de mes interlocuteurs financiers sont des hommes: je n’ai pas beaucoup de copines qui travaillent dans des banques ou qui sont des business angels. Les investisseurs qui ont mis de l’argent chez eFarmz sont des hommes – qui sont géniaux, je n’ai rien à redire – mais c’est effectivement un sujet qui mérite d’être étudié.”
Peu après cette rencontre, en avril 2022, le ministre David Clarinval initiait avec son collègue des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) une série de tables rondes réunissant entrepreneuses, institutions financières, organisations professionnelles, réseaux, académiques et décideurs politiques. Objectif: faire bouger les lignes en identifiant des priorités et en proposant des actions concrètes.
Lors de ces tables rondes, le professeur d’économie Rudy Aernoudt (UGent), par ailleurs chroniqueur pour Trends-Tendances, confirmait cette discrimination pressentie via plusieurs constats édifiants: “Une étude effectuée dans 34 pays a permis de constater a posteriori que les banques exigeaient des entrepreneuses 0,5% d’intérêt de plus pour un crédit et 5,2% de plus en garanties. Et aussi: seuls 1,1% des financements en capital-risque en 2021 sont allés à des entreprises dirigées par des femmes au niveau européen. En Belgique, seulement 1% du capital-risque entre 2017 et 2021 (0% en 2020 et 2021) a financé des entreprises dirigées par des femmes.”
Récolter les données
“Ces données, hallucinantes, prouvent la nécessité d’agir en concertation avec le secteur bancaire mais aussi de réorienter, au besoin, vers le microcrédit”, souligne David Clarinval. En guise de point de départ, toutefois, un constat: les données ne sont pas assez précises. Les premières de ces 25 mesures consistent donc à charger le SPF Economie de mettre en place un “focus group d’entrepreneuses” pour récolter les données et formuler des recommandations. En partenariat avec la Banque nationale, il s’agira aussi “d’identifier les améliorations réglementaires et pratiques qui lui permettraient d’obtenir des données genrées” pour mieux étudier la question. “Lors de ces tables rondes, nous avons déjà travaillé avec Belfius qui a libéré bien des données jusqu’ici confidentielles”, précise le ministre.
Des plans, il y en a déjà eu, mais celui-ci entend changer les choses en mobilisant tous les acteurs concernés.”
Une autre mesure s’inspire du Royaume-Uni. En 2019, le gouvernement y a lancé l’initiative Investing in Women Code, un engagement des sociétés de services financiers et du Trésor britannique à améliorer l’accès aux outils, ressources et financements pour les entrepreneuses. Les signataires (privés) s’engagent aussi à fournir des données au Trésor sur les entreprises dirigées par des femmes ou des équipes mixtes, à des fins de recherche. Encore faut-il définir l’entrepreneuriat au féminin.
Au Royaume-Uni, il s’agit d’une entreprise “détenue majoritairement (avec une majorité relative) par au moins une femme ayant une part significative (plus de 25%)”. En Belgique, le SPF Economie est lui aussi invité à définir un indicateur de cet entrepreneuriat féminin, basé sur les entreprises contrôlées par une ou plusieurs femmes. La sixième mesure propose par ailleurs d’inscrire cette notion également dans un cadre européen, preuve que cette thématique est méconnue et a été sous-analysée.
Mobiliser les acteurs privés
Le deuxième volet du plan se penche sur le nerf de la guerre: l’argent. Il est impératif de mobiliser les acteurs privés pour soutenir le financement des femmes, que ce soit le secteur bancaire, des investisseurs privés et des organismes de financement alternatif.
“Il n’y a pas de discrimination intentionnelle au niveau de l’octroi de crédit, soutient le rapport. L’entretien est balisé par un questionnaire qualitatif qui doit être respecté indépendamment du sexe du client. Le secteur bancaire est déjà relativement féminisé : les femmes représentent 52% de l’ensemble des travailleurs, 45% des cadres moyens et 28% de la direction.” “Mais les comités d’octroi de crédit restent masculins à 90% environ”, regrette David Clarinval.
On encouragera donc les banques à “développer un trajet de formation contre les biais de genre inconscients” et on élargira les dispositifs de lutte contre les préjugés éventuels aux investisseurs privés. En outre, on mettra l’accent sur les alternatives existantes, notamment en ce qui concerne le microcrédit. “J’y crois beaucoup, prolonge le ministre. Cela permet de soutenir des petites entreprises qui peuvent grandir par la suite et accéder à d’autres types de crédit.”
0%
Part des financements en capital-risque versés en Belgique à des entreprises dirigées par des femmes en 2020 et 2021.
Sur la question des financements, la table ronde a également “mis en avant l’importance du coaching personnalisé et le plus accessible possible (voire gratuit). Il devrait, par exemple, augmenter les compétences financières et de négociations du prêt. Il ne devrait pas être limité aux aspects financiers et entrepreneuriaux mais également intégrer une dimension psychologique pour que les entrepreneuses puissent analyser leurs propres schémas de pensée et leur propre fonctionnement (pour contrecarrer la sous-estime de soi), identifier et surmonter les obstacles psychologiques, et contrer l’aversion excessive au risque.”
Ensuite, la table ronde préconise de “développer des opportunités de networking pour les entrepreneuses entre elles et avec d’autres entrepreneurs”. Si des cercles d’affaires pour femmes existent, il s’agit aussi d’encourager de nouveaux réseaux et d’améliorer les possibilités de garde d’enfants “via des horaires d’ouverture flexibles et une meilleure accessibilité financière”.
“J’ai moi-même été entrepreneur, je sais l’importance du réseau dans la réussite, cela compte autant que le produit”, insiste David Clarinval.
Créer un storytelling positif
Dernier aspect, et non des moindres: la nécessité d’aborder la question de l’entrepreneuriat féminin de façon positive pour participer à la révolution culturelle. “Afin de mobiliser les acteurs privés, financiers et de l’accompagnement, la table ronde a appelé à privilégier un storytelling (narration) positif au lieu du blame and shame (blâmer et faire honte), souligne le rapport. La promotion des rôles modèles, mais aussi le choix des mots, des photos, des intervenants dans les panels ou dans la presse ont été évoqués.”
“C’est fondamental de véhiculer une image positive, ce qui n’est pas suffisamment le cas, tant pour les femmes que pour les hommes qui créent leurs entreprises, d’ailleurs”, souligne le ministre.
Le gouvernement fédéral veut croire que ces 25 mesures seront de nature à oeuvrer à une plus grande égalité entre les hommes et les femmes, mais aussi à servir l’économie. “Il y a un potentiel énorme, estime David Clarinval. Si l’on parvenait à la parité entre entrepreneurs et entrepreneuses, cela reviendrait à créer des centaines de nouvelles entreprises. Ce serait magnifique pour le dynamisme de notre pays. Et pour les femmes, ce serait un formidable vecteur d’émancipation.”
La politique a-t-elle la capacité d’encourager une telle révolution culturelle? “En tout cas, nous avons voulu traiter le sujet en profondeur, défend le ministre. Des plans, il y en a déjà eu, mais celui-ci entend changer les choses en mobilisant tous les acteurs concernés.” Désormais, à chacun d’agir pour faire davantage de place aux femmes.
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