Muriel Bernard, CEO d’Efarmz: le pari payant de l’e-commerce bio et local

MURIEL BERNARD, CEO D'EFARMZ © ©Sierakowski Frédéric
Gilles Quoistiaux Journaliste Trends-Tendances

Le bio et le local, ce n’est plus un marché de niche. Muriel Bernard l’a compris avant tout le monde. Son entreprise a franchi un cap en 2020, année de tous les records pour le commerce en ligne.

Pour Muriel Bernard, 2020 a été une année exceptionnelle. Ses chiffres de vente ont explosé, son entreprise s’est structurée et sa chaîne logistique s’est automatisée. Le tout en pleine crise sanitaire. Il faut dire que les confinements n’ont pas eu le même effet sur tous les secteurs. Pour l’e-commerce, cette période a été synonyme de forte croissance des activités. Alors que des pans entiers de l’économie étaient à l’arrêt, l’entrepreneuse Muriel Bernard a vu son business plan validé à une vitesse inouïe: “La croissance qu’on avait prévue sur trois ans, nous l’avons faite sur trois mois”, résume la patronne d’eFarmz.

Quand la crise sanitaire déboule et impose ses premières mesures de restriction des déplacements, les clients affluent et commandent en masse sur la plateforme bruxelloise spécialisée dans l’alimentation bio et locale. Certains se mettent même à faire des stocks insensés et vident littéralement des rayons entiers du site d’e-commerce. Toute l’infrastructure informatique d’eFarmz ayant été remise au goût du jour en 2019, celle-ci tient le choc. Mais Muriel Bernard se rend vite compte qu’à ce rythme, c’est sa chaîne logistique qui risque d’être débordée. “On était prêts au niveau IT, mais on n’a jamais pensé que le problème viendrait de nos mètres carrés disponibles”, indique l’entrepreneuse, qui décide dans l’urgence d’imposer une limite aux commandes – si les volumes sont multipliés par trois, ça tiendra, mais pas au-delà.

Au moment de faire le bilan de 2020, c’est bien sur ce chiffre record qu’elle conclut cette année folle. Le chiffre d’affaires a triplé, le nombre de clients a doublé. Quel entrepreneur n’en rêverait pas? Et ce n’est pas fini. En 2021, l’entreprise poursuit sur sa lancée, avec une croissance de 30% à 40% du chiffre d’affaires aux mois de septembre et d’octobre. Mais l’ambitieuse CEO ne se satisfait pas de ces indicateurs plutôt flatteurs. Elle vient de présenter à son conseil d’administration un plan de développement qu’elle n’hésite pas à qualifier d'”agressif”. La priorité, pour eFarmz, c’est aujourd’hui d’attaquer son expansion géographique, notamment sur le marché flamand, et de continuer à faire grandir sa base de clientèle sur le marché belge francophone. “Il y a encore beaucoup de potentiel”, assure l’entrepreneuse, qui vient de remporter le “Bold Woman Award” décerné par la Maison Veuve Clicquot.

MURIEL BERNARD, CEO D'EFARMZ
MURIEL BERNARD, CEO D’EFARMZ© ©Sierakowski Frédéric

La locomotive

Muriel Bernard, qui se définit comme une “locomotive”, semble bien lancée sur la voie du succès. Le pari n’était pourtant pas gagné d’avance. En 2013, lorsqu’elle lance le projet eFarmz avec son associée, elle s’adresse clairement à une clientèle de niche. La vente en ligne de produits alimentaires n’est pas encore entrée dans les moeurs. Les early adopters – des urbains à la recherche d’une autre manière de consommer – constituent un premier socle de clients. Avec une centaine de commandes par semaine, le site tourne. Mais pour durer dans le commerce virtuel, il faut faire plus de volume. Pour y arriver, l’entrepreneuse doit faire passer l’activité à la vitesse supérieure. Commence alors le processus de professionnalisation, et de structuration d’eFarmz en une plateforme de commerce en ligne performante. “La logistique, c’est la clé. Au cours de ma carrière dans de grandes entreprises, j’ai fait de l’opérationnel, donc je sais ce que c’est”, souligne Muriel Bernard.

L’entrepreneuse sait mettre les mains dans le cambouis. Elle sait aussi comment rendre son offre attractive. Son parcours l’a en effet menée à différents postes à responsabilités dans l’univers du marketing. Avant de créer eFarmz, elle a travaillé pour Gillette, Mobistar, Levi Strauss. Elle a géré le développement marketing de marques comme Oral-B ou Duracell. Elle a lancé, au niveau européen, un concept de jeans Levi’s en marque blanche pour la grande distribution. Elle s’est aussi occupée du positionnement marketing des 150 magasins de l’opérateur Mobistar (devenu Orange). Après ce parcours riche et diversifié dans de grandes entreprises, Muriel Bernard a eu “envie d’autre chose”. Cette “autre chose” s’est concrétisée dans ce projet entrepreneurial axé sur les produits bios et locaux. L’idée: combiner la tendance en faveur d’une alimentation saine et la facilité de la livraison à domicile.

Au départ, les banques ne croient pas au projet, qui sera donc financé sur fonds propres. En 2015, Trends-Tendances épingle eFarmz dans son “top 50 des start-up dans lesquelles il faut investir”. “Nos investisseurs nous ont repérés grâce à cet article”, se souvient Muriel Bernard. Dans la foulée, l’entrepreneuse reçoit le soutien de BeAngels et d’un investisseur privé pour une première levée de fonds. Elle rachète ensuite un petit acteur local de la livraison de paniers bios.

200 producteurs, 1.500 références

Le point de bascule est atteint en 2016, lorsque l’acteur allemand HelloFresh débarque sur le marché belge francophone avec son concept de box repas livrées à domicile. “HelloFresh a lancé une nouvelle dynamique sur le marché de l’e-commerce alimentaire, qui était encore une niche. J’ai décidé de positionner eFarmz dans le sillage de cette grande entreprise afin de prendre sa lumière tout en proposant une alternative bio et locale”, poursuit Muriel Bernard.

Bingo: la nouvelle offre d’eFarmz cartonne, au point que les box repas représentent aujourd’hui la moitié environ du chiffre d’affaires de la société. L’autre moitié est assurée par le magasin en ligne, qui compte aujourd’hui plus de 1.500 références venant de 200 producteurs. La gamme s’est élargie, de même que les catégories de prix. Le site marchand propose désormais des produits bios “basiques” à prix plancher, mais aussi des produits premium, comme du gin fabriqué à Liège.

L’explosion des commandes en 2020 a encore fait évoluer l’entreprise, qui s’est largement professionnalisée. L’équipe est désormais composée d’une cinquantaine de personnes, dont 30 ouvriers chargés de la confection des commandes. Ils sont basés dans un nouvel entrepôt situé à Anderlecht, deux fois plus grand (1.800 mètres carrés) que le précédent. Les processus sont de plus en plus automatisés afin d’améliorer la productivité lors de la phase d’emballage des commandes.

Le rôle de la patronne a lui aussi pas mal évolué. Après avoir été longtemps au four et au moulin, comme la plupart des entrepreneurs, elle peut désormais se permettre d’engager, et donc de déléguer certains rôles clés, comme les ressources humaines et les finances, qu’elle gérait elle-même récemment encore. Cette nouvelle phase dans l’évolution de sa société n’est pas pour déplaire à cette CEO adepte de l’esprit d’équipe et du management collaboratif. “Mon job a fondamentalement changé, observe Muriel Bernard. Aujourd’hui, mon rôle, c’est de piloter la stratégie de croissance de l’entreprise.”

Profil

– Née en 1975

1998. Diplôme d’ingénieur commercial et de gestion à l’UCLouvain.

1998.Business manager puis Trade marketing manager pour Gillette Group Benelux.

2003. Rejoint Levi Strauss en tant qu’ European marketing manager.

2007.Retail marketing manager chez Mobistar.

2013. Fonde eFarmz avec son associée et devient CEO de l’entreprise.

2020. eFarmz double le nombre de ses clients et triple son chiffre d’affaires.

Le management au 21e siècle selon Muriel Bernard

“Le management moderne est un management féminin, expose Muriel Bernard. Pour assurer le futur de leurs entreprises, les managers doivent être attentifs à l’impact de leurs choix sur l’environnement et sur l’écosystème humain qui les entoure. Ils ne doivent pas forcément viser l’hyper-croissance, mais prendre des décisions pour le bien commun: pour les collaborateurs, pour les clients, ou encore, dans le cas d’eFarmz, pour les producteurs locaux. Il faut aller vers un style de travail plus collaboratif que compétitif. Je suis favorable aux organisations libérées, avec peu de hiérarchie. Aujourd’hui, il faut être agile, être capable de prendre des décisions rapides et d’avancer. Les femmes ont une inclination naturelle pour ce type de management. Elles sont multi-tâches, elles sont capables de gérer la complexité. Les femmes et les hommes qui possèdent ces qualités ont le profil idéal pour incarner le management de demain.”

X3

En 2020, le chiffre d’affaires d’eFarmz a été multiplié par 3, pour atteindre 10 millions d’euros.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content