Tinne Van der Straeten: “La sortie du nucléaire? Je suis sereine!”

Tinne Van der Straeten - Belga Image © belga
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le dossier, sensible politiquement, arrive à un moment décisif. Ecologistes et libéraux à couteaux tirés. Dans un entretien à Trends Tendances, la ministre se dit déterminée. Et convaincue que le virage est possible.

Tinne Van der Straeten (Groen), ministre fédérale de l’Energie, est en charge d’un dossier particulièrement sensible politiquement: la confirmation de la sortie du nucléaire en 2025. Il reste un débat, délicat, sur le maintien ou non de deux centrales dans le mix énergétique des prochaines années. Le MR fustige le choix de remplacer potentiellement le nucléaire par du gaz.

Vendredi, un rapport d’Elia, le gestionnaire de réseaux, doit objectiver la question. La décision politique devrait tomber dans les quinze jours, après la COP26 à Glasgow. Dans un entretien à Trends Tendances, en marge d’un dossier complet du magazine sur la question, Tinne Van der Straeten exprime sa détermination.

C’est un moment clé pour le mix énergétique belge et les objectifs climatiques. Sommes-nous prêts pour la sortie du nucléaire ?

Tout d’abord, la Belgique est prête pour réaliser un futur énergétique basé sur 100% d’énergie renouvelable.

Cela, c’est l’objectif à terme…

Oui, c’est l’objectif à terme, mais il faut penser à long terme et agir à court terme. Nous oeuvrons à une approvisionnement d’énergie sans CO2 et sans déchets. Les deux dimensions sont importantes. Dans ce contexte, la sortie du nucléaire n’est pas une fin en soi, mais un moyen.

Aujourd’hui, nous sommes dans un contexte où cinq de nos sept centrales nucléaires vont fermer en 2025:elles sont trop vieilles, nécessitent des investissements qui ne sont pas jugés rentables par l’opérateur et deux des cinq sont fissurées… Il n’y a personne aujourd’hui dans ce pays qui demande leur prolongation. Cela veut dire que l’on va en tout cas sortir du nucléaire. Il faut dès lors organiser le remplacement des capacités, quelque chose qui n’a pas été suffisamment organisé pendant les années précédentes.

La décision de sortie du nucléaire date en effet de 2003…

Oui, il y a près de vingt années qui se sont écoulées au cours desquelles on n’a pas fait assez. Dans tous les cas de figure, on aura besoin d’une capacité qui remplacera le nucléaire et qui nous prépare surtout à un futur avec 100% d’énergie renouvelable. Il nous faut beaucoup plus de flexibilité et un développement des énergies renouvelables.

Nous avons décidé avec le gouvernement de tripler notre capacité éolienne en mer du Nord. Entre 2027 et 2030, tous les ménages belges seront fournis par de l’électricité produite dans la mer du Nord. C’est cela le futur, le chemin et oui, nous sommes prêts parce que nous sommes un pays de pionniers. Nous sommes aujourd’hui le cinquième pays au monde dans ce domaine. Nous avons aussi le barrage de Coo qui est notre plus grande batterie.

Oui, nous sommes prêts pour faire ce changement.

Les libéraux sont plus critiques que vous, notamment par la voix de celle qui vous a précédé à l’Energie, en critiquant votre choix d’utiliser tant des nouvelles centrales au gaz que les anciennes. Est-ce le cas?

En tout cas, la sortie du nucléaire va se faire. Je constate aussi que l’opérateur nucléaire n’est pas prêt, quant à lui, à continuer dans le nucléaire. Il faut donc organiser le remplacement de ces capacités. Vu le fait que cela n’a pas été préparé, un système a été créé, le CRM, approuvé par la Commission européenne, pour organiser ce remplacement et sécuriser l’approvisionnement.

Nous avons précisément limité la capacité de gaz qui sera nécessaire. Avec les enchères qui sont en cours, nous sommes à la recherche d’une capacité de 2,3 GW, soit deux ou trois centrales maximum, tandis qu’avant mon arrivée, on parlait de sept ou huit centrales au gaz. Nous avons limité cela au strict nécessaire.

En même temps, nous avons déjà bétonné la sortie du gaz en obligeant déjà tous ceux qui veulent construire de nouvelles centrales à gaz de venir avec un plan concret pour que leurs centrales soient neutres en carbone d’ici 2050, avec des objectifs intermédiaires. C’est la raison pour laquelle la Commission européenne nous a félicités parce que ce n’était pas nécessaire de le faire. Ce que l’on a décidé est en lien avec les objectifs du Green Deal.

Au sujet du débat sur le fait de savoir si l’énergie nucléaire peut faire partie de notre mix pour le futur. Bill Gates a fait tout un discours à ce sujet en affirmant que le nucléaire a bel et bien sa place s’il ne produit pas de déchets, s’il est sûr, s’il n’y a pas de risque d’erreur humaine et s’il n’y a pas de risque de prolifération. J’ai écrit une carte blanche quand son livre a été publié pour lui dire que j’étais d’accord avec lui.

Mon problème avec le nucléaire, ce n’est pas qu’il s’agit d’un mot qui commence par un N et se termine par un E. Mais je dois aussi gérer le dossier des déchets nucléaires. Pendant quarante années, les gens les plus intelligents ont cherché des solutions à ce sujet. Aujourd’hui, il n’y a pas de solution fixe, stable, que je puisse implémenter. Il y a un coût pour la gestion de ces déchets: si on part du principe que cela peut être fait en 24 heures, ce coût est de 18 milliards. En coûts nominaux, sur une période de cent ans, cela représente 41 milliards.

Si le nucléaire fera partie, oui ou non, de notre mix énergétique dans le futur, il faut que la technologie soit sans déchets et sans risques pour la sécurité. Si on arrive à cela, volontiers!

Nous n’en sommes pas là pour le moment…

Il y a des recherches qui se font à ce sujet, voyons ce qu’il en sort. Mais nous devons résoudre un problème ici et maintenant, et ce n’est pas une solution à court terme.

Il y a un cap à fixer: l’énergie est un domaine où le développement prend du temps…

C’est tout à fait vrai. Quand on parle d’énergie, on parle d’investissements et la transition énergétique, cela nécessite beaucoup de milliards d’euros et il faut que le climat soit serein pour les acteurs privés viennent. En décidant de tripler la capacité dans la mer du Nord, c’est ce que l’on fait. Tout cela sera complet en 2030: on prend des décisions aujourd’hui permettant aux entreprises – surtout les entreprises belges – de préparer leurs investissements.

C’est aussi la raison pour laquelle avec Thomas Dermine, en charge de tout ce qui concerne la Relance, mais aussi avec le Premier ministre et le ministre en charge de la mer du Nord, on a préparé ce plan de relance avec un focus sur la mer du nord et les infrastructures. Cela nous permettra d’avoir accès à une énergie dont les coups ne cessent de baisser.

Les deux autres clé de la transitions, ce sont les énergies renouvelables terrestres et les interconnexions?

Oui, il y a tout le volet terrestre dont vous parlez.

Et ce n’est pas toujours simple avec le Nimby en Wallonie, notamment?

C’est vrai, mais la Wallonie est la seule à atteindre ses objectifs, ce qui est remarquable en soi.

Les autres défis consistent à verdir tout ce qui est molécule, donc l’hydrogène, surtout pour nos industries qui ont une forte demande en ce sens, qui va encore grandir. Mais aussi pour verdir l’industrie de base: nous aurons besoin, dans la transition, de tonnes de matériaux comme l’acier ou le ciment. Verdir cette production, on est capable de le faire via l’hydrogène: il s’agit de créer une dorsale hydrogène dans le nord et le sud du pays.

De l’autre côté, les interconnexions et la flexibilité sont essentielles. L’énergie renouvelable, cela signifie une source intermittente. Il y a des moments où il y a beaucoup de vent et d’autres où il y a moins de vent. Cela signifie qu’il faut investir dans des technologies de stockage, de batterie et de mainsite management. Dans le soutien à l’investissement, on a encouragé les projets de batterie.

Si on combine les énergies renouvelables avec le stockage et les batteries, avec une pensée ‘out of the box ‘, si on peut charger les voitures électriques de manière bidirectionnelles, on arrivera à stabiliser le système et à réduire le coût. L’intelligence artificielle et la digitalisation joueront un grand rôle.

Les interconnexions, bien sûr, sont indispensables: la Belgique est un pays qui est fort connecté avec la France, avec l’Allemagne, bientôt avec le Danemark qui va développer un grand réseau éolien en mer du Nord d’ici 20322 – 2033. Ce projet, dans sa totalité, peut approvisionner dix millions de ménages européens. Il y a un accord avec le Danemark pour mettre en place cette connexion en vue d’assurer la sécurité d’approvisionnement.

Nous étions jusqu’ici en position de surcapacité, ce qui a peut-être empêché de faire les changements nécessaires, à part peut-être quelques moments plus insécurisants. Y’a-t-il des risques pour l’avenir?

Le moment où nous avons eu beaucoup de souci dans la sécurité d’approvisionnement, à l’hiver 2018, c’était inattendu, et c’était avec le nucléaire. Tout ce que l’on peut prédire à l’avance, on peut le gérer.

Mais les énergies renouvelables, par définition, sont moins prévisibles, non?

On sait que l’on doit être attentif à cette fluctuation, c’est pour cela que l’on prévoit cette capacité de back-up, de flexibilité, de stockage. La centrale de Coo, par exemple, est impressionnante: je l’ai visitée quand le bassin du bas était vide, pour la première fois depuis cinquante ans. J’ai eu une réunion avec les équipes qui m’ont montré un slide avec les prédictions et leur variation: ce qui m’a beaucoup frappé, c’est la façon dont la centrale de Coo réagit, elle peut stabiliser.

Les centrales à gaz, que l’on va construire maintenant dans un souci d’approvisionnement, on va aussi les utiliser en soutien pour les énergies renouvelables.

Il y a eu une hausse de la facture importante ces derniers temps. On va vivre un basculement énergétique important ces prochaines années, dans un contexte global : comment sécuriser les gens par rapport à cette inquiétude?

C’est une inquiétude générale que je partage à 100%. Il faut agir à court terme et à long terme. A court terme, ce sont des mesures à travers lesquelles on cible les plus vulnérables, comme le conseillait la Commission européenne. De manière structurelle, on travaille en deux temps. Tout d’abord, via une grande réforme de la facture énergétique tout d’abord, qui était jusqu’ici une deuxième feuille d’impôt, en stabilisant la contribution fédérale. Deuxièmement, en investissant dans les énergies renouvelables, on réoriente notre politique vers des énergies dont le prix ne cesse de baisser.

Cela contribue aussi à renforcer notre indépendance énergétique: la mer du Nord va devenir la plus grande centrale d’électricité d’Europe. Beaucoup de surplus va arriver là où on en a le besoin, notamment en Belgique avec notre territoire limité. Quand le Premier ministre a quitté le Sommet européen, récemment, il a insisté sur la nécessité de faire davantage pour le renouvelable : si on avait davantage investit les années précédentes, on serait mieux protéger aujourd’hui contre ces hausses de prix. C’est pourquoi il faut continuer sur cette lancée.

La Belgique est un pays complexe. N’est-ce pas compliqué à gérer, notamment avec une majorité différente en Flandre? Il y a notamment des difficultés avec les octrois de permis…

En tout cas, la sécurité d’approvisionnement et le maintien de prix abordables, c’est une responsabilité commune et partagée par toutes les entités du pays, tant les Régions que le fédéral. Ce n’est pas une surenchère : chacun de nous doit travailler dans ses compétences, avec un esprit constructif.

Vous être diplomate, là…

Non. Dans la transition énergétique, énormément d’investissements doivent être effectués. La politique doit être prévisible pour nos citoyens, nos entreprises et nos industries qui n’ont pas besoin de cette surenchère. Ils ont besoin de responsables politiques qui travaillent ensemble dans un esprit constructif et coopératif. Toutes les entités et tous les ministres ont des compétences pour y contribuer.

Oui, la situation institutionnelle de ce pays est complexe. Et la matière de l’énergie est complexe. Mais il ne revient pas à des individus de rendre cela plus complexe encore.

Mais quand Zuhal Demir (N-VA), ministre flamande de l’Energie, envoie un message pour dire que l’on n’y arrivera pas sans nucléaire…

Oui, mais sur la sortie du nucléaire, c’est le fédéral qui décide.

Voilà qui est clair.

Oui.

Quand nous avons eu le débat parlementaire sur le budget, c’est le chef de groupe de la N-VA, Peter De Roover, qui a lui-même dit que l’on avait besoin des centrales à gaz dans notre mix énergétique. Pour cela, il faut un système de soutien à l’investissement, ce que la Commission européenne a elle-même indiqué. Donc, faisons-le. Ne prenons pas de risque avec la sécurité d’approvisionnement.

Etes-vous sereine à la veille de ces semaines qui s’annoncent chargées et cruciales ? Vous dites-vous que ce sont les trois semaines clés de votre mandat ?

Non. Je comprends que l’on raisonne comme ça. Mais pour moi, en tant que ministre, les mois les plus importants ont eu lieu l’année passée. C’était une course contre-la-montre pour préparer ça. Je suis devenue ministre le 1er octobre 2020.

Avant cela, le 21 septembre, la Commission européenne avait ouvert l’enquête approfondie pour évaluer si le CRM était en accord avec les règles de la concurrence. Le 21 octobre, je devais déjà réagir à cette première décision. Dix jours après ma nomination, je me suis rendue chez la commissaire Vestager : il restait énormément de travail, d’arrêtés à rédiger… Sans tout cela, on ne pouvait pas organiser les enchères. Nous n’avions pas une minute à perdre. Il y a eu des moments où j’ai vraiment eu peur de ne pas y arriver. Le moment le plus décisif, c’était celui-là. Maintenant, le cadre est prêt : les enchères ont été réalisées par Elia, le rapport donnant le résultat sera là en fin de semaine, il y aura une évaluation du gouvernement. Tout le reste, c’est de la spéculation.

Oui, je suis sereine. Nous évaluerons le résultat des enchères en étant attentif à la sécurité d’approvisionnement et aux prix. Nous ne prendrons aucun risque.

La COP26 à Glasgow est un moment important, une évaluation intermédiaire?

J’y serai présente les premiers jours, pour les Energy days. Ce n’est pas un moment intermédiaire parce que chaque jour compte dans la lutte contre le réchauffement climatique. Le cadre est fixé. Nous y partons avec cette décision de tripler notre production éolienne dans la mer du Nord qui aura un grand impact. Cette décision va nous permettre d’économiser 5,8 tonnes de CO2 par an. N’oublions pas non plus qu’Arcelor Mittal a annoncé un grand investissement pour le climat sur son site de Gand, d’ici 2025-2026, qui permettra d’économiser 3,9 tonnes de CO2 par an.

Ce que l’on applique, c’est une stratégie de “more” sans CO2 et sans déchets pour garantir le futur de nos enfants. C’est une responsabilité des politiques, mais aussi des milieux économiques et des citoyens.

C’est ce que vous vous dites quand vous voyez qu’il y a des résistances?

Je n’ai pas de douter sur notre capacité d’arriver à 100% de renouvelable et je n’ai pas peur d’avancer. Quand j’étais chez Vestager, en avril dernier, nous avons un peu échangé au sujet de nos politiques et elle me disait: “Move forward without drama”. Je répète cela souvent maintenant: il faut avancer, sans théâtre. Parfois, le monde politique fait un peu trop semble d’être dans une pièce de théâtre et ce n’est pas nécessaire.

On parle souvent de l’énergie de manière négative, mais c’est aussi et surtout un domaine de solutions. Il y en a énormément. Lors des grandes réformes du passé comme la révolution industrielle, c’est toujours via l’énergie que l’on a créé une société prospère et nouvelle. C’est une clé, un catalyseur, qui mérite davantage qu’un débat en noir et blanc sur un sujet limité.

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