Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur: “Chaque Etat doit être en capacité de sauver son tissu industriel”

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Alors que les Etats membres apportent des réponses budgétaires massives à la crise économique liée au coronavirus, le commissaire européen au Marché intérieur souligne l’importance pour chacun de sauver son propre écosystème.

Aucun pays ne devra être désavantagé dans la course au financement des plans massifs de sauvetage que chaque Etat membre est en train de mettre en place, explique Thierry Breton. S’agissant des matériels de protection contre le coronavirus, le commissaire européen au Marché intérieur fixe l’objectif d’une autonomie totale de l’Europe pour ses besoins de protection.

TRENDS-TENDANCES. Comment la Commission suit-elle l’évolution de la pandémie ?

THIERRY BRETON. Les politiques de santé relèvent exclusivement de la responsabilité des Etats membres mais, depuis 15 jours, la Commission s’est vu confier la coordination de la supervision des stocks et besoins de chaque pays pour ce qui concerne les produits de protection des personnels de santé et les matériels médicaux destinés aux patients. C’est une bonne chose car cela va nous permettre de mieux nous assurer de l’approvisionnement de ces matériels critiques et de la solidarité entre les Etats. Pour ce faire, et grâce notamment aux supercalculateurs de l’Union européenne, nous avons mis en place des modèles mathématiques pour suivre la pandémie, anticiper les pics et évaluer les besoins.

Contrairement à 2008, la réponse des Etats membres et de l’Union européenne a été extrêmement rapide.

Où en sommes-nous dans la production ?

Notre stratégie est claire. Aucun pays au monde n’était préparé à faire face, seul, à une crise d’une telle ampleur. En janvier, lorsque la Chine découvre l’importance de l’épidémie, elle nous appelle à l’aide et, avec Ursula von der Leyen, nous répondons présents en envoyant 56 tonnes de matériel tout en mettant sur la table plus de 250 millions d’euros. Elle nous aide aujourd’hui en retour comme nous l’avons aidée. Notre objectif est que l’Europe devienne totalement autonome pour ses propres besoins de protection des personnes. A cet effet, nous avons eu très vite des discussions avec les ministres de l’Industrie et les industriels de l’Union pour que des entreprises, notamment du textile, convertissent leurs outils pour produire des masques. J’ai eu des entretiens avec le président d’Inditex (Zara) en Espagne, H&M en Suède, et avec LVMH ou L’Oréal notamment, pour la production de gels. S’agissant des respirateurs, nous avons réuni les industriels les plus susceptibles de contribuer. La liste est longue : Daimler, BMW, Leonardo, PSA, Renault, Safran, Siemens, Thales, Thyssen-Krupp, etc. La réponse du secteur privé est extraordinaire de mobilisation et de solidarité. En trois mois, la Chine a su augmenter sa production à 150 millions de masques par jour. Nous nous donnons de même les moyens nécessaires pour satisfaire nos besoins en Europe.

La Chine ne pratique-t-elle pas surtout la ” diplomatie du masque ” ?

Notre seul ennemi dans cette guerre, c’est le virus ! Fin janvier, nous n’avions pas fait de publicité de l’aide apportée à la Chine. C’était inapproprié. Aujourd’hui, je constate que la France et l’Allemagne ont envoyé plus de masques que la Chine n’en a donnés à l’Italie. Je remarque aussi que la Chine dépend beaucoup de l’Europe pour la fourniture de composants critiques servant à fabriquer ses respirateurs artificiels. Nous travaillons ensemble pour accroître nos productions respectives afin d’en fournir davantage. Voilà la réalité.

La réponse économique des pays est-elle satisfaisante et faut-il une réponse proprement européenne ?

Contrairement à 2008, la réponse des Etats membres et de l’Union européenne a été extrêmement rapide. Pour assurer les besoins en trésorerie des entreprises, la priorité absolue, chaque pays a immédiatement mis en place les plans de garantie nécessaires, supportés par les décisions appropriées et rapides de la Banque centrale européenne (BCE). Dans le même temps, en moins d’une semaine, avec ma collègue Margrethe Vestager ( commissaire à la Concurrence, Ndlr), nous avons assoupli les règles permettant désormais aux Etats d’intervenir, directement ou indirectement, en soutien des entreprises. Concernant les déficits, avec mes collègues Valdis Dombrovskis ( vice-président de la Commission, chargé de l’euro, Ndlr) et Paolo Gentiloni ( commissaire à la Fiscalité et à l’Union douanière, Ndlr), nous avons levé les règles encadrant les critères de Maastricht, conformément aux traités qui autorisent à le faire en cas de force majeure. Il revient maintenant à chaque Etat membre de préparer un plan destiné à préserver ses écosystèmes industriels, à les accompagner dans cette phase critique tout en les aidant à préparer la sortie de crise. Il est crucial que l’intégralité de ces plans soit finalisée dans les jours qui viennent afin que les prochaines réunions de l’Eurogroupe puis de l’Ecofin puissent comptabiliser les montants nécessaires pour que chacun des Etats de l’Union soit en capacité de sauver son tissu industriel. Aucun Etat européen ne sera laissé au bord de la route.

Mais on voit bien que les pays européens sont divisés sur la manière de financer ces dépenses…

En Allemagne, le Bundestag vient d’approuver un plan de 356 milliards d’euros, à emprunter sur les marchés, pour sauver l’industrie allemande. En ordre de grandeur, on notera que ce montant équivaut à la moitié du plan mis à disposition par la BCE (750 milliards d’euros) en soutien de l’économie européenne. Maintenant, chaque Etat membre va présenter son propre plan – comme l’Allemagne vient de le faire – et il faudra voir ensuite comment financer l’ensemble, sans que personne ne soit laissé pour compte. Dans l’hypothèse où chacun des plans proposés par les Etats correspondrait peu ou prou, comme en Allemagne, à 10 % de leur PNB, il faudra bien évidemment réfléchir à des financements complémentaires, sous forme d’endettement accessible à tous dans des conditions similaires, d’outils existants à mobiliser ou de nouveaux mécanismes à base d’obligations mutualisées. Dans un marché européen intégré, il est de l’intérêt de tous de contribuer solidairement.

Cette crise est un accélérateur des mutations du monde, de notre manière de vivre, de produire, à l’ère de la numérisation de la société.

Quel sera l’impact de cette crise sur la mondialisation ?

Cette crise est un accélérateur des mutations du monde, de notre manière de vivre, de produire, à l’ère de la numérisation de la société. Elle nous incitera évidemment à repenser les chaînes de valeur mondiales et la relocalisation de certaines industries critiques en Europe, notamment dans la santé mais pas seulement. Ce n’est pas la fin de la mondialisation bien entendu, mais nous nous devons d’être plus autosuffisants dans certains domaines. Le tout sans naïveté.

Une partie du tissu industriel sera-t-elle nationalisée ?

Je note que l’Allemagne a prévu jusqu’à 100 milliards d’euros pour prendre des participations, partielles ou totales, dans ses entreprises en difficulté passagère. Beaucoup d’entreprises vont avoir l’Etat à leur capital et je vois plusieurs autres Etats membres se doter d’outils pour cela. Personne n’aurait pu l’imaginer il y a quelques mois. Mais il faut se préparer à cette phase qui, je l’espère, sera transitoire, et mettre en place les gouvernances adaptées, notamment pour éviter tout aléa moral.

Avec 3 milliards de personnes confinées dans le monde, les réseaux de télécommunication vont-ils tenir le choc ?

Nul n’a l’expérience de trois continents en situation de confinement ! Avec ce que cela implique : des centaines de millions de personnes en télétravail, l’éducation en ligne, une explosion des jeux en réseaux, une offre massive de streaming vidéo, etc. Les réseaux télécoms n’ont pas été conçus pour cela. En Espagne, la consommation de Netflix a été multipliée par quatre. Le trafic sur YouTube a été multiplié par trois et par dix sur des applis comme Facetime ou Skype… Dans certains pays, Netflix et YouTube représentent près de la moitié de la bande passante totale. J’ai donc pris l’initiative de leur demander de libérer de l’espace en limitant quelque peu la qualité de diffusion, avec un impact d’ailleurs peu perceptible pour le consommateur. Ils ont ainsi libéré 25 % de leur bande passante, pour permettre aux autres applications de se déployer. Là encore, cette crise est globale. Et j’ai la conviction que nous ne la surmonterons que si nous agissons tous ensemble.

Par Catherine Chatignoux et Nicolas Barré.

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