Roland Gillet , économiste: “optimisons au mieux l’argent de la relance”

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Au vu de la hauteur de notre dette et des défis à relever, nous ne pouvons pas nous permettre de dépenser l’argent public dans des projets non rentables, souligne l’économiste.

Professeur d’économie financière à la Sorbonne à Paris et à l’ULB (Solvay), conseiller auprès de différentes autorités publiques et privées, Roland Gillet observe avec une attention matinée d’intérêts multiples ces plans de relance qui doivent nous sortir de la crise. Sa principale crainte: dépenser l’argent public dans des projets non rentables qui viendraient alors alourdir un endettement déjà bien mis à contribution. “Nous sortons d’une crise telle que nous n’en avions plus connu depuis la guerre, dit-il. Les efforts des Etats pour sauver des pans entiers de l’économie qui avaient été ébranlés sont en train de s’achever.” Il a donc fallu intervenir et ajouter une couche de dette supplémentaire alors que nos marges de manoeuvre budgétaires étaient déjà limitées avant crise. “Tous les problèmes qui étaient sur la table auparavant – je songe entre autres à la problématique des pensions – vont revenir”, avertit l’économiste.

TRENDS-TENDANCES. On ne prend pas suffisamment en compte ces “vieux problèmes”?

ROLAND GILLET. Lorsque je parle avec des jeunes, dont ma fille, ils me disent: “Vous nous avez enfin compris en pointant diverses dépenses sociétales dont certaines associées au green deal“. C’est vrai, mais je dois aussi leur dire: ne soyez pas dupes. Avec la crise sanitaire, nous n’avions pas la capacité de financer budgétairement à court ou moyen terme ces mesures associées aux plans de sauvetage. Nous nous sommes donc endettés à long terme pour leur totalité. J’ai 58 ans: ma génération ne contribuera donc que très peu à cet accroissement de dette qui dépasse 10 ans de maturité. Mieux: comme cet endettement s’est fait à taux zéro, voire négatif, elle ne devra rien supporter en termes d’intérêt. Par contre, ce sont les plus jeunes qui devront assumer plus tard le coût final de ces mesures. Je ne sais pas s’ils doivent autant nous remercier.

Autant certaines dépenses sociétales m’apparaissent importantes par leur objet au sein d’un budget, autant leur présence dans des plans de relance ne me semble pas maximiser une reprise économique récurrente.

Mais avions-nous le choix?

Raison de plus pour ne pas affaiblir les plans de relance d’après-crise par des dépenses one shot aux effets non récurrents sur l’activité. La Belgique y avait inclus un moment le financement de la rénovation du palais de justice de Bruxelles. Le gouvernement l’a ensuite judicieusement retiré. Cela ne signifie pas qu’il ne faut (et même ne fallait) pas le rénover, mais alors via un budget ad hoc.

Que mettre alors dans ces plans de relance?

De véritables investissements qui contribueront à une relance durable et à un réel autofinancement du fait de leur rentabilité. L’argent de la relance n’est pas sans limite. Certains diront: ce n’est pas grave puisque ces montants sont financés à taux zéro. Mais ils sont à ce niveau en raison de la politique exceptionnellement accommodante des banquiers centraux. Cependant, si l’on pousse la monétisation de l’endettement trop loin, c’est la question de la crédibilité de la monnaie elle-même qui finira par se poser. Les taux remonteront et le problème de la soutenabilité des dettes de certains Etats ressurgira. Ce risque sera d’autant plus prégnant que des dépenses sociétales, non assumées budgétairement, seront “camouflées” en investissement de relance devant générer des cash-flows, pour permettre de rembourser les montants investis et rassurer alors les citoyens qui sont aussi des contribuables. C’est essentiel pour renforcer la soutenabilité des dettes publiques, et permettre de s’attaquer à nombre de défis à venir, comme le vieillissement de la population.

Vous craignez une réaction sociale?

Aujourd’hui, les épargnants actifs ou passifs (via leur fonds de pension) ont en partie dans leur portefeuille des obligations d’Etat, un actif qui les appauvrit en termes réels et absolus, en raison de taux inférieurs à l’inflation et de plus négatifs. Ils perdent d’office de l’argent. Ces épargnants restent admirablement passifs jusqu’à présent, espérant qu’un jour ces obligations jouent leur rôle supposé d’amortisseur en cas de crise. Mais mesurent-ils bien que, vu le niveau exceptionnellement bas des taux, si ceux-ci devaient remonter de quelques pour cent seulement, les actions baisseraient sans doute certes, mais la valeur des portefeuilles obligataires baisserait, elle aussi, de manière significative? Avec peut-être un effet négatif supplémentaire sur d’autres actifs dont leur immobilier. Cet appauvrissement collectif ressenti risquerait de créer un ralentissement économique. C’est d’ailleurs un grand point d’attention des banquiers centraux à l’heure actuelle. D’autant plus qu’avec la démographie et le papy-boom, toute cette épargne qui permet aujourd’hui de financer les déficits publics se tarira progressivement. Lorsque les gens prendront leur pension, ils consommeront sans soute une part de cet argent. Si nous n’avons pas mis en place des investissements publics qui, dans cette période de rétropédalage, pourraient donner du souffle à l’économie, le cap risque d’être difficile à franchir.

Mais qu’est-ce qu’un véritable investissement? Rénover les routes ou construire un vélodrome, comme on l’envisage en Wallonie?

Un vélodrome est un bon investissement si une étude robuste montre que celui-ci générera chaque année un flux de nouveaux adeptes assurant des revenus directs et indirects, publics ou privés, qui permettent de le rationnaliser, même si cela demande 20 ans. Ce retour sur investissement permettra en outre, en récupérant le montant investi, de le réinvestir ailleurs et d’enclencher alors un cercle vertueux.

Pour les routes, le raisonnement est similaire. Dès avant la pandémie, l’Allemagne a réalisé et réalise encore des investissements gigantesques sur son réseau autoroutier dans lequel le pays avait sous-investi, ce qui engendrait des files interminables. Population active et transporteurs y perdaient des heures. L’Allemagne a pu et peut se le permettre parce qu’elle sélectionne ses projets prioritaires au travers d’un cadre budgétaire bien contenu. Au sein des plans de relance, ce type de travaux devrait donc être mené en priorité sur des routes où il y a une déperdition de temps d’activité très élevée. Et donc où la contribution à l’économie est la plus grande.

Certains militent aussi pour mettre en place des incitants visant à encourager le capital à risque, comme les lois Monory Declercq du début des années 1980.

J’opterais davantage pour un tax shelter renforcé pour les PME. Inciter davantage les créateurs et principaux actionnaires qui supportent le risque principal avec une partie de leur épargne dans un contexte difficile a encore davantage de sens aujourd’hui que certains secteurs sont plus fragiles ou plus risqués.

“Concentrons-nous sur les vrais investissements”, tel est donc le message?

Oui. Autant certaines dépenses sociétales m’apparaissent importantes par leur objet au sein d’un budget où leur coût est pleinement assumé et réparti dans le temps, autant leur présence dans des plans de relance ne me semble pas maximiser une reprise économique récurrente, et donc le PIB, l’assiette imposable et les recettes fiscales. Et dès lors permettre d’avoir les effets de vrais investissements autofinancés et donc facilement conciliables avec un endettement accru.

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