Comment les fonds publics soutiennent la relance
Les outils économiques publics vont intensifier le financement direct dans les entreprises afin de les aider à saisir toutes les opportunités des plans de relance.
Quand le Covid-19 a brutalement mis en veilleuse des pans entiers de l’économie, la Commission européenne a très vite annoncé la mise en place d’un vaste plan de relance, doté d’une impressionnante enveloppe de 750 milliards d’euros. Cela a bien entendu aiguisé les ambitions des entreprises mais elles se sont heurtées à une fin de non-recevoir: pas question d’utiliser ces moyens pour financer directement des entreprises. “La FEB avait alors agrégé les projets de ses membres, des grandes entreprises comme des moins grandes, rappelle le secrétaire d’Etat à la Relance Thomas Dermine (PS). Il y avait vraiment des super-projets et il aurait été dommage de les oublier, faute de budget.” Ainsi naquit l’idée du Fonds de transformation, géré par la SFPI (Société fédérale de participations et d’investissement) et dans lequel l’Etat va injecter la coquette somme de 750 millions d’euros (dont 500 dès cette année). Des assureurs, fonds de pension et autres investisseurs institutionnels sont sollicités dans l’espoir de porter l’envergure de ce fonds au-delà des 2 milliards d’euros.
Nous souhaitons que la SFPI joue un rôle plus actif sur la consolidation de filières industrielles en Belgique.”
Thomas Dermine, secrétaire d’Etat à la Relance
Des initiatives similaires sont prises, dans des proportions évidemment plus modestes, dans les Régions. La Wallonie devrait libérer cet été une première tranche de 200 millions d’euros (sur un total a priori de 400 millions) pour le Fonds de solvabilité et de relance, soutenu par les outils économiques régionaux et dont les interventions seront, promet-on, bien articulées avec celles du fonds fédéral. “Le volet de la relance sera bien présent mais restons néanmoins attentifs aux problèmes de solvabilité des entreprises, confie Olivier Vanderijst, le président du comité de direction de la SRIW. Quand les aides publiques s’arrêteront et que les moratoires prendront fin, certaines entreprises pourraient être en difficulté. Je songe en particulier à celles qui auront diminué leurs stocks pour soulager leur trésorerie pendant la crise et qui doivent les reconstituer quand la croissance revient.”
Financer le trajet d’une entreprise
Finances.brussels a suivi la même option avec le prêt Oxygen et deux enveloppes de 40 millions d’euros destinées à des interventions en quasi fonds propres. “Ces outils ont très bien fonctionné, assure Pierre Hermant, CEO de Finances.brussels. Nous ne sommes pas intervenus juste pour combler des trous mais pour soutenir de vraies dynamiques de création de valeurs pour ces entreprises. Nous ne traversons pas une petite crise. Il faut porter un regard neuf sur le business plan, analyser ce que vont devenir les fournisseurs et les clients avant d’éventuellement intervenir dans une entreprise.” Son organisme a développé un modèle qui permet d’identifier pour chaque secteur quelles sont les variables qui auront effectivement le plus d’impact à long terme en fonction des évolutions attendues tant du marché que de la législation. “Nous ne demandons pas à l’entreprise de remplir tous ces critères mais de présenter un trajet en vue de les atteindre, poursuit Pierre Hermant. En intervenant en quasi capital, nous les accompagnons sur un plan d’action inscrit dans la durée.”
Olivier Vanderijst insiste également sur l’accompagnement des entreprises sur le chemin de la transition digitale et écologique. “Ce n’est pas de l’idéologie mais du pragmatisme économique, précise le patron de la SRIW. Le prix de la tonne de CO2 a doublé en quelques mois et il est inscrit dans les astres que ce prix continuera à augmenter. Les sociétés qui ne sont pas attentives à leur empreinte carbone seront confrontées à d’immenses problèmes à l’avenir. Sur ce plan, comme sur le digital, l’économie circulaire ou les circuits courts dans l’alimentation, la crise du Covid-19 aura été un formidable accélérateur de tendances. C’est pourquoi nous seront encore plus exigeants quant aux trajets empruntés par nos sociétés participées.” Il est ainsi convaincu que la lutte contre le gaspillage (énergie, eau, aliments, matériaux, etc.) va devenir un paramètre “extrêmement important” et c’est notamment pour cela que la SRIW investit dans des sociétés comme Opinum, qui développe un logiciel destiné à mesurer et optimiser les consommations.
Les sociétés qui ne sont pas attentives à leur empreinte carbone seront confrontées à d’immenses problèmes à l’avenir.”
Olivier Vanderijst (SRIW)
Ce souci de pragmatisme pousse aussi la SRIW à veiller à ce que les entreprises wallonnes puissent bénéficier au maximum des plans de relance déposés aux différents niveaux de pouvoir et dont les grandes lignes se recoupent largement. “Il y aura de très gros investissements publics dans la mobilité, le logement, l’énergie, poursuit Olivier Vanderijst. Si des entreprises wallonnes ont besoin de moderniser leurs équipements pour être compétitives sur ces marchés, c’est clairement notre rôle de les aider à financer cela. Dans l’analyse d’un dossier de financement, le positionnement de l’entreprise sur les opportunités offertes par les plans de relance sera un élément important. Cela dit, nous sommes un fonds d’investissement: dans nos dossiers, nous avons toujours une optique de rendement et d’équilibre des risques avec les autres actionnaires et les banques.”
La SFPI en fonds souverain
Le bras financier de l’Etat fédéral, la SFPI, est d’ordinaire sous la tutelle du ministre des Finances. La Vivaldi a choisi de la placer sous la double tutelle des ministres des Finances et de l’Economie. “C’est un signal très clair de notre volonté d’en faire un instrument de la relance”, affirme Thomas Dermine. Cela va même plus loin puisque que la SFPI regroupera bientôt toutes les participations de l’Etat, y compris dans les banques (Belfius, BNP Paribas), les assurances (Ethias, Credendo) ainsi que bpost et Proximus. Soit plus de 18 milliards d’euros d’actifs que la SFPI, promue au rang de fonds souverain, gèrerait de manière autonome.
“Nous souhaitons que la SFPI joue un rôle plus actif sur la consolidation de filières industrielles en Belgique, reprend le secrétaire d’Etat à la Relance. Je songe, par exemple, au démantèlement des centrales nucléaires. Il s’agit de contrats de plusieurs milliards d’euros et portant sur des dizaines d’années. Il serait très intéressant de développer une expertise belge en la matière, d’autant plus que cette expertise serait ensuite exportable car d’autres pays vont démanteler leur parc nucléaire. La SFPI peut donner les impulsions pour constituer des consortiums d’entreprises en ce domaine. La même idée peut certainement être menée pour l’éolien offshore, dans l’aérien ou la défense.”
Produits de rupture
La réflexion sur les filières industrielles existe aussi dans les Régions, en particulier en Wallonie où l’on aimerait bien rééditer dans d’autres domaines la réussite de plus en plus manifeste du secteur pharmaceutique. “Les outils publics ont un rôle crucial à jouer dans le financement de l’innovation, résume Olivier Vanderijst. Nous étions souvent un financement de dernier recours mais de plus en plus, nous devenons une source de premier recours pour les projets industriels.” Comme si le succès des biotechs et de tout l’écosystème qui les entoure avait renforcé la crédibilité de la sphère publique comme “assembleur des initiatives”. La SRIW a ainsi récemment investi aux côtés de la SFPI et de Safran Aero Boosters dans la construction d’un centre de tests de nouveaux compresseurs utilisés dans les moteurs d’avion afin de réduire leurs émissions. “Cet investissement doit bien entendu générer des revenus mais aussi permettre à nos industries et nos centres de recherche de conserver un avantage compétitif dans la révolution aéronautique qui se prépare, avec l’objectif d’atteindre la neutralité carbone, dit-il. Le partenariat avec Safran amène une compétence industrielle utile à plusieurs secteurs et consolide aussi une entreprise située en Wallonie qui irrigue un écosystème de sous-traitants de pointe.”
Nous ne manquons ni de moyens ni de projets innovants. Ce qu’il faut impérativement, c’est le retour de la confiance.”
Pierre Hermant (Finances. brussels)
La SRIW poursuit également sa politique d’appels à projets qui a permis de faire émerger de très beaux projets – avec parfois des partenaires internationaux – dans le traitement des plastiques usagés et la fabrication de masques. Cette fois, elle sollicite la créativité des entreprises dans la conception de matériaux de construction durables. “Si j’en crois le dernier livre de Bill Gates, le ciment est à l’origine de 10% des émissions mondiales de CO2, précise Olivier Vanderijst. Les défis sont immenses. Comme avec le recyclage des plastiques, nous espérons que notre appel va accélérer des projets de rupture, qui étaient dans les cartons des entreprises mais n’étaient jamais tout en haut de la liste.” Une manière de placer la balle dans le camp des entreprises, de leur faire confiance. “Ce qu’il faut impérativement, c’est le retour de la confiance, conclut Pierre Hermant. Les gens se disent encore un peu trop souvent: est-ce le bon moment? Mais nous ne manquons ni de moyens ni de projets innovants.”
Faut-il mobiliser l’épargne citoyenne?
C’est un refrain récurrent: il faut mobiliser l’épargne des citoyens et réinjecter dans l’économie réelle la grosse vingtaine de milliards d’euros supplémentaires qui sont venus gonfler les livrets d’épargne depuis un an. Les fonds d’investissement publics pourraient jouer un rôle en la matière en misant sur les envies de contribuer à la relocalisation d’une série d’activités.
L’idée ne suscite guère d’enthousiasme auprès de nos interlocuteurs. “Cela pourrait se révéler une fausse bonne idée, estime Thomas Dermine. On ne parle pas de bons du Trésor avec un rendement garanti mais d’investissements directs dans des projets d’entreprise, avec un niveau de risque relativement élevé. Il faut que chacun en soit bien conscient.” En outre, il existe déjà des produits conçus pour les “petits épargnants” qui souhaitent investir dans les entreprises de leur Région, comme le prêt Proxy à Bruxelles ou Coup de pouce en Wallonie. “Ils permettent à un entrepreneur de mobiliser son entourage et aux prêteurs d’obtenir un crédit d’impôt en plus des intérêts, explique Pierre Hermant. Ces dispositifs ont été mis en avant pendant la crise, ils sont bien utilisés et sont en fait totalement complémentaires à nos produits de financement classiques.”
Olivier Vanderijst pointe toutefois un domaine dans lequel l’appel à l’épargne privée serait possible: les énergies renouvelables. “En regroupant les actifs de la SRIW, d’Elicio (filiale de Nethys) et de la Socofe dans les éoliennes offshore, on atteint une masse critique d’actifs en fonctionnement, explique-t-il. Le risque est alors nettement moins élevé et pourrait dès lors intéresser des particuliers.” Des produits d’investissement avec un rendement calculé, par exemple, sur le nombre d’heures de vent durant une année seraient alors possible. “En élargissant ainsi le financement, on permet aux opérateurs de continuer à développer de nouveaux projets”, conclut Olivier Vanderijst.
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