Relancer l’économie depuis un secrétariat d’Etat
N’est-ce pas un vice-Premier ministre qui aurait dû empoigner un enjeu aussi crucial que la relance? Eh bien, peut-être pas. L’option d’un secrétaire d’Etat entièrement dédié à cette cause présente aussi de réels atouts.
Dans la lutte contre le Covid-19, le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (sp.a) occupe résolument le devant de la scène. Il présente, explique et assume les mesures prises par le gouvernement fédéral. Mais demain ou après-demain, quand le gros de la crise sanitaire sera derrière nous et que la remise en route de la machine économique deviendra la priorité, qui prendra le relais pour présenter, expliquer et assumer les mesures de relance? D’après l’organigramme gouvernemental, cette tâche devrait incomber au… secrétaire d’Etat à la Relance Thomas Dermine (PS). Un “simple” secrétariat d’Etat pour un enjeu aussi crucial, est-ce bien sérieux?
En théorie, une mission aussi fondamentale devrait effectivement être dévolue à un vice-Premier ministre. Nos vice-Premiers sont toutefois tellement absorbés par l’urgence et la multiplication des kerns (conseils restreints), que les sept partis de la coalition Vivaldi ont décidé de déléguer la matière à un secrétaire d’Etat. Un vrai choix, et non un enterrement de première classe, nous assure-t-on. “J’ai connu des secrétaires d’Etat avec l’amplitude d’action d’un vice-Premier”, glisse ainsi Jean-Marc Nollet, coprésident d’Ecolo et, à ce titre, négociateur de l’accord gouvernemental. Ce fut le cas de Melchior Wathelet (cdH), secrétaire d’Etat au Budget dans les gouvernements Leterme et Van Rompuy, associé à quasiment tous les kerns, y compris au plus fort de la crise financière. On peut aussi se souvenir que c’est à un secrétaire d’Etat (Olivier Deleuze, Ecolo) que nous devons la loi de sortie du nucléaire ou, plus récemment, que le secrétaire d’Etat Theo Francken (N-VA) n’a pas été le membre le plus discret du gouvernement Michel (il a même fait tomber l’exécutif! ). Bref, il ne faudrait pas se focaliser sur le titre pour ironiser sur l’intérêt véritable que la coalition fédérale accorde à la relance de l’économie. N’oublions pas qu’un secrétaire d’Etat est de toute façon relié à un ministre, en l’occurrence Pierre-Yves Dermagne, vice-Premier en charge de l’Economie et de la Formation.
J’espère qu’ils seront plus rapides et plus efficaces que le gouvernement wallon pour trouver un plan de relance.”
Maxime Prévot, président du cdH
Le tempo de l’action politique
Mais l’argument ne convainc guère l’opposition. “La première relance, c’est celle des cabinets ministériels et singulièrement celle des secrétaires d’Etat, ironise le président du cdH Maxime Prévot. Cela représente quand même presque 50% de cabinets en plus par rapport à l’ancienne législature. Non seulement cela crée des dépenses supplémentaires mais cela pose des questions d’efficacité.”
Eh bien justement, l’efficacité ne se loge peut-être pas là où l’on croit. L’apparent second rang du secrétaire d’Etat pourrait se révéler bien plus un atout qu’un handicap pour mener la mission de relance. Cette formule permet en effet de combiner les différentes temporalités de l’action politique: les vice-Premiers et les ministres fonctionnels tentent de répondre à l’urgence de la crise sanitaire, tandis que quelques autres s’attellent déjà à la préparation des étapes suivantes. “Dans l’immédiat, il faut aider les secteurs les plus impactés, analyse Mikael Petitjean, professeur de Finance à la Louvain School of Management et membre du conseil stratégique de Get Up Wallonia. Mais à moyen terme, nous avons besoin d’une réflexion stratégique sur la manière de rendre notre économie plus résiliente en cas de choc. C’est sur cet élément que nous pourrons faire la différence et je trouve a priori positif d’avoir un secrétaire d’Etat totalement concentré sur cette tâche.” Le politologue Pierre Vercauteren (UCLouvain) partage ce point de vue. D’autant plus, ajoute-t-il, que “la relance nécessite un gros travail de préparation, compte tenu notamment de toutes les ramifications du dossier et de la nécessité d’assurer des courroies de transmission efficaces avec les Régions”.
4,7 milliards en euros, l’enveloppe prévue par l’accord de gouvernement pour la relance de l’économie.
Attention, toutefois, à ne pas confondre temps de préparation et surplace prolongé. C’est la crainte de Maxime Prévot, qui espère que l’échelon fédéral se montrera ” plus rapide et plus efficace que le gouvernement wallon, qui est toujours en train de consulter pour trouver un plan de relance alors que la Flandre a déjà mis le sien en application… ” Le calendrier est à la fois serré – l’Europe réceptionne les différents plans nationaux depuis le 15 octobre – et relativement souple, puisque les mesures de relance ne sont clairement pas pour l’immédiat. “Mener un plan de relance dans la situation économique actuelle, quand on doit fermer des secteurs, n’aurait probablement que très peu d’impacts rapides et importants sur l’économie, a expliqué à la Chambre le gouverneur de la Banque nationale Pierre Wunsch. Aujourd’hui, l’essentiel, ce sont les mesures d’absorption du choc.” Les dernières données de la BNB indiquent une contraction de l’économie un peu moins forte que prévu pour 2020, mais une reprise moins ferme au premier semestre de 2021.
Un test pour le fédéralisme belge
Thomas Dermine ne doit donc pas absolument lancer le sprint dès aujourd’hui. Mais il doit être prêt à enclencher le grand braquet dès que le ciel s’éclaircira. “Ce qui compte vraiment, c’est la manière dont il va habiter sa fonction et coopérer avec ses collègues”, estime Jean-Marc Nollet. Côté pile, le secrétaire d’Etat manque d’expérience politique pour naviguer dans les subtils jeux de pouvoir entre les partis et les entités belges ; côté face, il arrive sans passif à l’égard de ses interlocuteurs et avec une excellente connaissance du contenu d’un accord gouvernemental dont il fut l’un des grands artisans (il était le chef de cabinet de Paul Magnette). Les négociations lui ont par ailleurs permis de nouer d’utiles relations de confiance avec quelques ténors des autres partis, y compris au sein de l’opposition N-VA, avec laquelle le PS a abondamment discuté cet été.
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“Cette gestion de la relance sera aussi un test majeur du fonctionnement du fédéralisme belge, estime Pierre Vercauteren. Il faudra coordonner l’action des exécutifs régionaux et arbitrer entre les priorités des sept partis de la coalition. Nous verrons si les chevaux courent en ordre dispersé ou si l’attelage parvient à avancer de manière bien coordonnée.” On donnerait peu d’espoir à l’attelage si, en réalité, l’Europe n’en tenait pas la plupart des rênes: il faudra s’inscrire dans les priorités européennes (numérisation, transition vers une économie décarbonée, etc.) pour bénéficier des financements européens. On parle de 5,1 milliards d’euros pour la Belgique, tous niveaux de pouvoir confondus. Ces priorités, ainsi que la volonté de relancer les investissements publics, sont clairement repris dans l’accord de gouvernement. “J’espère sincèrement que derrière le terme ‘relance’, il y aura une réelle politique d’innovation et de dynamisation de notre tissu socio-économique, confie Mikael Petitjean. Ce n’est que comme cela que nous pourrons parler, à moyen terme, de destruction créatrice.”
“Cette crise peut accélérer la transition de notre économie”
Sur fond de crise sanitaire, plus personne n’exige que les règles budgétaires soient appliquées telles quelles ni ne doute de l’importance de relancer les investissements publics, estime le secrétaire d’Etat.
1. La France et l’Allemagne ont déjà annoncé leur plan de relance. Dans quels délais peut-on attendre le plan belge?
A court terme, le meilleur plan de relance, c’est celui qui consiste à combattre le virus. Sur le plan économique, nous vivons un choc de l’offre. Mieux nous préservons l’appareil productif, mieux nous serons positionnés demain pour la relance. Il faut avoir l’humilité de reconnaître que personne ne sait quand l’épidémie sera maîtrisée. Ce sera cet hiver, au printemps, plus tard encore… Mais à un moment donné, il faudra substituer aux mesures temporaires de soutien des mesures de relance plus structurelles. We are late but not too late. Nous ne partons pas d’une feuille blanche. Nous avons des orientations claires, établies dans l’accord de gouvernement: investir dans les infrastructures de mobilité et de transition énergétique, dans le numérique et dans des programmes inclusifs, tant en matière de soins de santé que de compétences. Mais nous avons aussi le plan national d’investissement élaboré par le précédent gouvernement, qui ciblait déjà largement les mêmes domaines. Ce plan n’a pas pu être concrétisé, notamment en raison du carcan budgétaire européen. Le Covid-19 est passé par là et, aujourd’hui, plus personne ne demande que les règles budgétaires soient appliquées telles quelles, plus personne ne doute de l’importance de relancer les investissements publics.
2. L’accord de gouvernement prévoit 4,7 milliards d’euros pour le plan de relance. Que couvre ce montant exactement?
Il couvre une partie des financements dans le cadre du plan de relance européen, des investissements propres à l’Etat fédéral et les moyens octroyés à la SFPI (Société fédérale de participations et d’investissement) pour constituer un fonds souverain. La relance, c’est en fait un processus beaucoup plus large. Si nous voulons une efficacité maximale des moyens utilisés, il faut partir d’une réflexion commune avec les Régions, qui privilégiera les projets avec de réels effets multiplicateurs. Le plan que nous remettrons à l’Europe ne pourra pas être la simple juxtaposition des plans de chaque entité ; nous avons intérêt à travailler la main dans la main, entre niveaux de pouvoir, mais aussi avec le secteur privé.
3. Le plan Catch à Charleroi dont vous avez eu la responsabilité, c’est déjà une opération de reconversion. Qu’en retenez-vous à propos des choses à faire et à ne pas faire en matière de relance économique?
Le périmètre et le contexte ne sont pas vraiment comparables. Ici, nous sommes dans un processus déjà très fortement balisé par l’accord de gouvernement et par les orientations de la Commission européenne. Il faut maintenant parvenir à l’organiser d’une manière rigoureuse et transparente pour que chaque acteur – l’Europe, l’Etat, les Régions – ait confiance. C’est vraiment là le maître-mot de la reprise. Cette crise peut être le vecteur d’une accélération de la transition vers une économie plus durable et plus numérique. Dans 20 ou 30 ans, nos enfants et petits-enfants nous jugeront là-dessus, sur notre capacité à changer de logiciel pour répondre à la crise sanitaire et économique provoquée par le Covid-19.
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