Quand on cherche des milliards d’euros pour la sécurité sociale, on a le choix entre plus d’impôts ou des réformes

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Alain Mouton Journaliste chez Trends  

Aucune autre dépense publique n’engloutit plus d’argent que la sécurité sociale. Les politiciens considèrent la préservation de ce système comme l’une des tâches essentielles du gouvernement. Mais les 18,8 milliards d’euros de la facture du vieillissement mettent notre sécurité sociale sous pression. Soit il faut y injecter encore plus d’argent, soit il faut faire des réformes afin de garantir son financement.

Dans les anciens manuels de finances publiques, les analyses comparaient souvent le budget belge à un coucou. Le coucou pond ses oeufs dans le nid d’un autre oiseau et ensuite, il pousse les oeufs de son hôte par-dessus bord, de sorte que le petit coucou a le nid pour lui tout seul. La même chose s’est produite dans les finances publiques pendant des décennies. Les déficits soutenus ont entraîné une hausse des charges et des intérêts sur la dette. Et ceux-ci prennent une marge croissante sur les autres dépenses.

La métaphore du coucou est tombée en désuétude au cours des vingt dernières années, car à ce moment-là, le poids des intérêts de la dette publique est devenu de moins en moins problématique, en raison de la baisse des taux d’intérêt.

Cependant, en Belgique, un autre coucou est apparu : la sécurité sociale. Cette dépense gouvernementale engloutit tellement d’argent qu’elle utilise des ressources dédiées à d’autres dépenses gouvernementales essentielles telles que la sécurité, la justice et les travaux d’infrastructure. La sécurité sociale belge est tout sauf autosuffisante, même si des chiffres apparaissent constamment pour montrer que le budget est équilibré.

Sur les 117,7 milliards d’euros servant à financer la sécurité sociale, 68,4 milliards d’euros proviennent des cotisations sociales. Cela ne représente que 58 %. C’est inquiétant, car notre système est financé par les cotisations sociales des travailleurs afin de payer les pensions et d’autres prestations, comme le chômage. Chaque année, 42,7 milliards d’euros du gouvernement fédéral sont versés à la sécurité sociale pour consolider ce système. Or, c’est bien plus que le budget de 17,4 milliards d’euros dont dispose le gouvernement fédéral pour mener à bien ses tâches essentielles.

Et les perspectives ne sont guère réjouissantes. En raison du vieillissement de la population et de l’augmentation du coût des retraites et des soins de santé, les dépenses sociales pèseront de plus en plus lourd dans le budget de l’État. Les dépenses sociales publiques sont déjà passées de 20,6 % du produit intérieur brut (PIB) en 2000 à 24,6 % en 2019. En 2026, cela sera 28 %. D’ici 2040, les dépenses grignoteront encore 2 % du PIB. La facture supplémentaire du vieillissement, entre 2022 et 2045, s’élèvera donc à 18,8 milliards d’euros.

Deux pistes

La question se pose de savoir comment les gouvernements peuvent encore assurer la viabilité de la sécurité sociale. Deux pistes émergent.

La première consiste à injecter de l’argent dans le système en faisant dépendre davantage encore son financement des revenus du travail. Mais en raison des charges élevées sur le travail, une grande partie d’une augmentation de salaire brute va au trésor public. Selon les syndicats, le financement du système de la sécurité sociale est défaillant.

Dans son baromètre socio-économique annuel, le syndicat socialiste FGTB lance un certain nombre de propositions. Elle s’attaque au tax shift du gouvernement fédéral précédent, et notamment aux formes alternatives de rémunérations sur lesquelles on prélève beaucoup moins de cotisations sociales. “Entre 2016 et 2018, le tax shift a permis de réduire les cotisations sociales des employeurs de 32,4 à 25 %”, indique le syndicat. “Cela a coûté 5,8 milliards d’euros, selon le Bureau du Plan, car ce transfert fiscal n’a pas été couvert et aucun financement alternatif concluant ne l’a suivi. Les contrats flexibles (intérim, horaires flexibles, emplois annexes) et les rémunérations alternatives (voitures de fonction, chèques en tous genres, actions) ont été encouragés fiscalement, ce qui a entraîné une diminution des recettes vers la sécurité sociale. Cette politique de réduction des recettes de la sécurité sociale apparaît clairement lorsqu’on compare la masse salariale et les cotisations sociales. Entre 2015 et 2021, la masse salariale a augmenté de 14 %, mais les cotisations de seulement 8 %. “

La FGTB est allergique à ces formes alternatives de rémunération, telles que les voitures de fonction, les chèques-repas et les primes de résultat, qui prennent une part de plus en plus importante de la masse salariale. Une étude du Service public fédéral Sécurité sociale, sur les prestations extra-légales les plus fréquentes, a montré que les 6,8 milliards d’euros de la masse salariale ne contribuent pas à la sécurité sociale. Si l’on y applique les taux normaux (25 % de cotisations patronales et 13,07 % de cotisations personnelles ONSS), il s’avère que la sécurité sociale perd au moins 2,6 milliards d’euros de recettes.

Mais il y a là un paradoxe : si ces formes alternatives de rémunération devaient être taxées comme des salaires normaux, les coûts salariaux belges, déjà élevés, augmenteraient encore et la compétitivité des entreprises serait encore plus menacée. Avec le risque de destruction d’emplois et, à terme, moins de ressources aussi pour la sécurité sociale.

La deuxième piste pour que la sécurité sociale reste abordable est d’un tout autre ordre : mettre en oeuvre une politique afin d’augmenter le taux d’emploi. Le gouvernement ne peut pas créer d’emplois d’un coup de baguette, mais il peut créer un cadre qui stimule l’embauche. Il s’agit d’une tâche essentielle du gouvernement, qui permet de maintenir, à un niveau abordable, le système social. Selon des études internationales, la Belgique a encore une énorme marge d’amélioration dans ce domaine. Bart Van Craeynest, économiste en chef de l’organisation patronale flamande Voka, a conclu, à partir de simulations de l’OCDE, que quelques réformes du marché du travail (une baisse des coûts salariaux et des incitations à relever l’âge effectif de départ à la retraite) pourraient accroître l’activité économique de 16 % au cours des 40 prochaines années. Aucun autre pays européen ne dispose d’un tel potentiel.

En euros d’aujourd’hui, cela représente 80 milliards d’euros supplémentaires. Le budget de l’État belge étant de 50 %, cela signifie que quelque 40 milliards d’euros de cette manne supplémentaire peuvent alimenter le trésor public. Et que donc les ressources, qui sont actuellement détournées du trésor fédéral vers la sécurité sociale, ne seraient plus nécessaires et pourraient être utilisées pour d’autres tâches gouvernementales. La Commission européenne est encore plus optimiste et parle de 100 milliards d’euros supplémentaires grâce aux réformes structurelles.

Quatre bouées de sauvetage

Concrètement, il existe quatre bouées de sauvetage pour la sécurité sociale, qui concernent un taux d’emploi plus élevé et des carrières plus longues.

1. Augmenter les procédures d’activation des chômeurs

Dans son dernier rapport annuel, la Banque nationale propose un certain nombre de mesures. L’objectif n’est pas l’ambition politique d’atteindre un taux d’emploi de 80 % en Belgique d’ici 2030, la plupart des experts du marché du travail estiment que ce n’est pas réaliste, car cela impliquerait de créer 700 000 emplois nets. Plus concrète, il s’agit de la mise en relation des postes vacants avec la main-d’oeuvre disponible. À la fin de l’année dernière, la Belgique comptait 196 000 emplois vacants. En revanche, il y avait 332 000 demandeurs d’emploi. Selon la Banque nationale, la pénurie de main-d’oeuvre serait résolue en faisant travailler tous les chômeurs, car il y aurait alors deux candidats potentiels pour chaque poste à pourvoir.

Mais ce n’est pas si simple car 41 % des demandeurs d’emploi sont au chômage depuis plus d’un an et il est difficile de les engager. Selon la Banque nationale, la politique d’activation peut être améliorée. Ces derniers mois, le gouvernement fédéral a pris des mesures dans ce sens, telles que la combinaison du travail à temps partiel avec l’allocation de chômage ou un revenu d’intégration, l’orientation des demandeurs d’emploi vers les métiers en pénurie et l’activation et la réintégration des malades de longue durée, mais la mise en oeuvre concrète se fait toujours attendre.

2. Rendre travail et salaire plus attrayants

Ces dernières années, des mesures ont été prises pour rendre le travail plus attrayant, telles que la prime de travail (réduction des cotisations de sécurité sociale, réduction convertie en salaire supplémentaire), la dégressivité des allocations de chômage et la réduction de l’impôt sur le revenu des personnes physiques.

Mais il est certain que pour les revenus les plus faibles, il existe encore des pièges au chômage. Dans certains cas, la différence entre le salaire net et le chômage est très faible, ce qui n’incite pas le chômeur à accepter un emploi. Par exemple, les personnes qui retrouveraient un travail à temps partiel 2/3 temps, avec deux tiers du salaire brut moyen de 3 700 euros, celles-ci verraient leur revenu augmenter d’à peine 5 % s’ils acceptent cet emploi après deux mois de chômage. Après un an de chômage, cette différence est de 15 %. C’est donc une incitation à rester plus longtemps au chômage, avec le risque de perdre des compétences.

La Banque nationale met en garde contre un autre problème : “Jusqu’en 2024, les prestations les plus basses continueront d’être augmentées en plus de l’indexation et de l’enveloppe sociale. Ces ajustements sont souhaitables d’un point de vue social, mais ils augmentent le risque de pièges au chômage pour les travailleurs peu qualifiés et faiblement rémunérés.”

3. Réduire les périodes assimilées

Selon une étude du Bureau fédéral du Plan, 34 % des carrières des jeunes retraités sont constituées de périodes assimilées. Il s’agit de périodes pendant lesquelles aucun travail n’est effectué, mais leur droit à pension a néanmoins été maintenu. Cela signifie qu’au cours d’une carrière “classique” de quarante ans, il n’y a pas eu de cotisation pendant plus de treize années pour ce droit à la pension. Un déséquilibre qui fait peser une lourde charge sur le système des retraites et qui sape sa légitimité.

Ces dernières années, les réglementations relatives aux périodes assimilées ont déjà été renforcées, mais selon les experts en matière de travail, il reste encore une grande marge de progression.

4. L’âge de la retraite en lien à l’espérance de vie

Une proposition qui apparaît dans presque tous les rapports sur la Belgique, produits par l’OCDE et la Commission européenne, est de lier l’âge de la retraite à l’espérance de vie. Cette mesure permettrait de réduire l’enveloppe des retraites de 1,3 % du PIB et de générer 6,5 milliards d’euros. Concrètement, cela signifie, qu’une personne peut arrêter de travailler entre 62 et 67 ans, mais que le montant de sa pension sera adaptée en fonction de l’âge de sortie.

La Suède dispose d’un tel système. Et ce système fonctionne dans plusieurs directions. Par exemple, le gouvernement suédois a décidé l’année dernière d’enquêter pour savoir si la pandémie du covid avait réduit l’espérance de vie. Cela se traduirait alors par des prestations légèrement plus élevées.

Un gouvernement meilleur et moins cher (conclusion)

La guerre en Ukraine et la menace russe ont obligé de nombreux pays européens, et certainement la Belgique, à se rendre à l’évidence : il faut consacrer plus d’argent à la défense, mais en raison des dépenses publiques déjà élevées, cela ne peut se faire comme cela. La marge de manoeuvres des gouvernements est limitée.

Mais même sans ces dépenses supplémentaires, la triste réalité est que le citoyen reçoit un service médiocre de la part de l’État en échange de l’importante somme d’argent qu’il lui verse.

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