Quelles sont les tâches essentielles de notre gouvernement?
Depuis des années, la Belgique est sur le podium des pays ayant les dépenses publiques les plus élevées. Malheureusement, cela va de pair avec un service médiocre. L’argent de nos impôts sert trop souvent à renflouer les mauvaises caisses. Il y a longtemps qu’un débat aurait dû avoir lieu, débat portant sur les tâches essentielles du gouvernement et sur le budget à dépenser pour celles-ci voient réellement le jour. Maintenant que les factures continuent de tomber, Trends a relevé le défi. Et ce premier exercice permet déjà de réaliser 17 milliards d’euros d’économies, et de mieux gouverner.
Envoi d’e-mails : impossible. Le réseau informatique : complètement à plat. Fin décembre 2021, l’armée belge a subi une importante cyberattaque. Celle-ci a été possible à cause d’une faille dans la sécurité du logiciel Apache Log4j, largement utilisé. Si les gens ont souvent ricané du mauvais fonctionnement de la Défense, une telle attaque soulève une question fondamentale : le gouvernement utilise-t-il ses ressources correctement ? Ne devrait-on pas consacrer plus d’argent à la cyber-sécurité ? Est-elle considérée comme une tâche essentielle ? La réponse est venue juste avant l’invasion russe de l’Ukraine. La ministre de la Défense Ludivine Dedonder (PS) a annoncé en février son plan Start afin d’investir plus dans la défense. La cyber-sécurité deviendra alors une composante à part entière de l’armée.
Au cours des derniers mois, l’irritation ne s’est pas limitée à une négligence vis-à-vis de la défense. Le débat s’est rapidement orienté vers le gouvernement en général. Surtout lorsque des avocats ont fait remarquer, avec un certain mépris qu’une cyberattaque contre notre système judiciaire n’était pas un grand risque… En effet, la majeure partie des jugements et des décisions ne peuvent toujours pas être consultés en ligne. Depuis fin novembre 2019, seuls les jugements des tribunaux de police sont en ligne, et cela se limite à cela pour le moment.
Depuis des mois, le gouvernement flamand s’énerve parce qu’il parvient à peine à organiser un transport public adéquat pour les élèves des écoles spéciales. Mais ce même gouvernement a perdu 30 millions d’euros qu’il avait placés dans le groupe de mode FNG aujourd’hui faillite. Et au début de cette année, on a appris que le gouvernement flamand avait consacré 4 millions d’euros à l’achat d’oeuvres d’art “pour soutenir les artistes pendant la période difficile du coronavirus”. La présidente du Sénat et députée flamande Stéphanie D’Hose a été critiquée pour avoir proposé de soutenir le secteur du cinéma avec des abonnements payés par le gouvernement. Et on pourrait continuer la liste pendant longtemps.
Fournir la même qualité avec plus de dépenses
On peut se demander si le gouvernement a encore un ordre de priorités. Et ce dans un pays qui, depuis des années, figure en permanence dans le classement des États européens ayant les dépenses publiques les plus élevées. Le gouvernement engloutit 53,8 % du PIB. Seules la France et la Norvège dépensent davantage l’argent de leurs citoyens.
Le classement des pays européens ayant les meilleurs services publics est très différent. La Belgique occupe la 17e place. “La France et la Norvège dépensent plus mais offrent une qualité légèrement supérieure”, déclare Bart Van Craeynest, économiste en chef du Voka, qui étudie depuis des années le lien entre les dépenses publiques et la qualité du gouvernement. “Aucun pays ne dépense plus pour une qualité aussi médiocre que la Belgique. On peut dire sans risque que la Belgique a des dépenses publiques semblables aux pays scandinaves, mais pour un service du sud de l’Europe.”
Il n’y a pas non plus d’amélioration en vue. “En 2023, les dépenses publiques primaires (sans les charges d’intérêt) seront de 2,8 % du PIB, soit 14 milliards d’euros de plus qu’en 2017”, note Van Craeynest. Et puis il y a les événements inattendus de ces deux dernières années. Crise sanitaire, guerre en Ukraine, accueil des réfugiés, augmentation des budgets militaires qui tirent toujours plus les dépenses vers le haut.
La question est de savoir quelle direction la Belgique doit prendre. Fournir la même qualité avec plus de dépenses ? Ou encore améliorer l’efficacité du gouvernement mais tout en maîtrisant les dépenses ? “Il n’y a pas de niveau idéal de dépenses publiques, bien que 50 % du PIB soit un objectif pertinent”, déclare M. Van Craeynest. “Compte tenu de l’état insoutenable des finances publiques, je suis favorable à l’idée de viser la même qualité avec moins de dépenses. Pour commencer.”
Même quand surviennent des événements inattendus, M. Van Craeynest estime que ce n’est jamais un mauvais moment pour examiner les dépenses et réfléchir à ce qui est une tâche essentielle du gouvernement et ce qui ne l’est pas. “En période de crise, on a tendance à ne pas prêter attention à l’augmentation des dépenses. Les dépenses supplémentaires ne sont en effet pas un problème si elles vont à des interventions ciblées. Des millions d’euros pour l’accueil des réfugiés, des compensations pour réduire les factures d’énergie : aucun problème tant que c’est temporaire. Mais en Belgique, on a tendance à rendre ces dépenses structurelles.
Une autre raison de passer les dépenses au crible est la charge fiscale élevée en Belgique : 45 % du PIB. Cela nous place, depuis des années, dans le top 5 des pays de l’OCDE. En Europe, seuls les Français, les Danois et les Suédois paient plus d’impôts en pourcentage. Les recettes fiscales s’élèvent à 130 milliards d’euros, les postes les plus importants étant 50 milliards d’euros pour les impôts sur le revenu des personnes physiques et 38 milliards d’euros pour la TVA. “Il est logique que les citoyens veuillent savoir où va leur argent, et ce qu’ils obtiennent en retour”, dit-il.
Des choix sociaux à faire
Les dépenses peuvent être mises en lumière par le biais d’examens. Vous comparez certaines dépenses belges avec celles de pays de référence de l’Union européenne. Les pays comparables sont les Pays-Bas, le Danemark, la Suède, l’Autriche, etc. Si les dépenses sont nettement plus élevées que les recettes, il est en principe possible de réaliser des économies sur ce poste.
Parallèlement, un contrôle de la qualité est effectué. Ces dépenses publiques conduisent-elles à une politique plus efficace ? Si la réponse est oui, alors les dépenses élevées ne sont pas un problème. Mais s’il y a une combinaison de dépenses élevées et de qualité inférieure, il est bon de faire des coupes et des économies. Cependant, un tel examen des dépenses ne signifie pas seulement chercher des économies, la technique peut aussi être utilisée pour redistribuer à d’autres postes ces dépenses. Par exemple, certains investissements publics peuvent être augmentés parce qu’ils favorisent la croissance économique. En bref, il s’agit d’un test de l’efficience et de l’efficacité de certaines dépenses publiques. Van Craeynest : “Les pays qui ont leurs comptes en ordre, comme l’Allemagne, peuvent mieux réagir que nous en cas de crise. Non seulement les Allemands maitrisent le débat sur les tâches essentielles, mais ils peuvent également intervenir rapidement. Là-bas, il est plus facile de dépenser soudainement 100 milliards supplémentaires pour la défense si nécessaire.”
Les revues de dépenses n’existent pas en Belgique. Mais le centre de connaissances du Voka a déjà comparé nos dépenses publiques avec celles de pays de référence de l’UE. Ces pays sont le Danemark, l’Allemagne, la Finlande, la France, la Grèce, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Autriche, le Portugal, l’Espagne, le Royaume-Uni et la Suède.
Première constatation : la Belgique débourse beaucoup plus en dépenses sociales que les pays de référence (4,5 % de plus du PIB). Cela représente environ 22 milliards d’euros. Les dépenses pour les salaires du secteur public sont également plus élevées (1,5 %, 7 milliards d’euros), tout comme les dépenses pour les subventions (2,5 %, 10,5 milliards d’euros). En bref, si la Belgique ramène ses dépenses publiques à la moyenne des pays de référence, nous serons non seulement bien en dessous de 50 % du PIB, mais nous aurons également éliminé le déficit budgétaire de 4 %.
Malheureusement, ce n’est pas aussi simple que cela. “Ces différences de dépenses reflètent en partie des choix sociaux”, explique M. Van Craeynest. “La Suisse, par exemple, préfère organiser et assurer de nombreuses choses de manière plus individuelle, comme l’éducation et les soins de santé. Il faut toujours mettre ces comparaisons en perspective. En outre, les autres dépenses publiques sont beaucoup plus faibles en Belgique que dans les autres pays de référence.”
Trop peu d’investissements
Par exemple, les frais de fonctionnement des administrations publiques sont inférieurs de 2,2 % du PIB (10 milliards d’euros) à ceux des pays de référence. Les investissements publics sont également plus faibles (0,4 % du PIB, 2 milliards d’euros). Nous arrivons ici à l’essence même du débat : l’investissement est vraiment une fonction essentielle du gouvernement, et elle a été négligée en Belgique ces dernières années. Un indicateur pertinent est le rapport entre les investissements et les dépenses primaires (dépenses sans les charges d’intérêt). En Belgique, ce ratio est de 6,4 %. La moyenne des pays de référence est de 7,8%. Seuls l’Espagne et le Portugal font moins bien que nous. De nombreux pays dont le budget public est plus modeste investissent donc davantage. Selon Van Craeynest : “Opter pour davantage d’investissements publics est judicieux, car cela stimule la croissance économique. Depuis la crise du covid et la politique de relance qui l’a suivie, on a pris conscience que nous devions faire quelque chose. Il y a bien le plan de relance européen mais restons vigilants. Certains politiciens ont tendance à tout qualifier d’investissements. Désolé, mais les dépenses supplémentaires pour les soins de santé ne le sont pas.”
Ivan Van de Cloot, économiste en chef d’Itinera, est du même avis. Dans son livre “Overheid & Markt” (Gouvernement et marché), il plaide en faveur d’une restriction des dépenses de consommation courante au profit des investissements. “S’il y a une tâche essentielle où le gouvernement échoue aujourd’hui, c’est bien l’infrastructure publique, qui va des transports à l’énergie en passant par le numérique”, explique M. Van de Cloot. “Selon des simulations de modèles, une augmentation des investissements dans l’infrastructure de 0,5 % du produit intérieur brut augmenterait le PIB de plus d’un point de pourcentage après trois ans, et de 8 points de pourcentage après cinq ans.”
Toutes les subventions ne sont pas mauvaises
Le centre de connaissances du Voka a également calculé que les ressources de fonctionnement de notre gouvernement sont inférieures à celles des pays de référence, alors que la masse salariale des fonctionnaires est relativement beaucoup plus élevée. Il y a donc énormément d’argent pour le personnel, mais nettement moins pour l’exécution des tâches essentielles. En conséquence, les enfants bénéficiant d’un enseignement spécial doivent parfois passer des heures sur la route pour se rendre à leur école et la police ne dispose pas d’un équipement adéquat. Bart Van Craeynest et Karl Collaerts, également du centre de connaissances du Voka, écrivent à ce sujet dans leur étude sur la viabilité des finances publiques : “Une réflexion est nécessaire dans ces domaines sur la relation entre les frais salariaux et les frais de fonctionnement. Le Royaume-Uni, par exemple, investit désormais massivement dans la justice numérique afin de réduire l’arriéré judiciaire dans certaines régions. Les gains d’efficacité sont ainsi considérables.”
Les salaires des fonctionnaires en Belgique représentent 12,3 % du PIB (près de 60 milliards d’euros). C’est 1,5 point de pourcentage ou 7 milliards d’euros de plus que la moyenne de l’UE-13. Ces dernières années, cependant, l’augmentation des salaires n’a pas été aussi forte que celle du PIB. À différents niveaux, par exemple, les fonctionnaires, qui ont pris leur retraite, n’ont pas été remplacés. Une opération (prudente) de faire des économies dans la fonction publique est donc déjà en cours. Réduire davantage les dépenses est l’un des moyens évidents de réduire le budget de l’État et d’améliorer la qualité des services publics.
Outre la fonction publique, les partisans d’une administration plus efficace considèrent également le système de subventions comme un obstacle. Selon le groupe de réflexion Itinera, la Belgique consacre 3,4 % de son PIB aux subventions (16 milliards d’euros). C’est 1,5 point de pourcentage de plus que la moyenne des pays de référence. En 2004, la différence était de 0,5 point de pourcentage. Les économies sont-elles à portée de main ? “Oui et non”, commente Bart Van Craeynest. “La marge d’économie n’est pas aussi importante qu’il n’y paraît. Il y a, par exemple, les subventions salariales pour réduire les coûts de la main-d’oeuvre. Ce choix n’était peut-être pas optimal à l’époque, mais il était nécessaire. Tout comme les ressources qui sont libérées pour promouvoir la recherche et le développement.”
Une grande partie des subventions va aux transports et à la mobilité. Selon la Banque nationale, la Belgique y consacre 2,9 % de son PIB (plus de 14 milliards d’euros). Dans les pays voisins, la moyenne est de 2 %. Mais l’efficacité de nos dépenses publiques en matière de mobilité est inférieure à la moyenne. Dans un classement de 23 pays de l’UE, la Belgique occupe la 16e place. Une raison suffisante pour examiner de près les ressources en matière de mobilité. De cette façon, nous pouvons économiser 7 milliards d’euros.
Moins de dépenses sociales
Enfin, le niveau élevé des dépenses sociales est frappant. Il n’est pas facile de les réduire, compte tenu du coût croissant du vieillissement de notre pays. La Belgique dépense 90 milliards d’euros pour les pensions et la maladie plus l’invalidité. D’ici 2045, cela représentera près de 20 milliards d’euros supplémentaires, en euros d’aujourd’hui sans tenir compte de l’inflation.
Pourtant, il y a des gains d’efficacité qui peuvent être réalisés. Pour la maladie et l’invalidité, la Belgique dépense 0,55 point de pourcentage (2,5 milliards d’euros) de plus que la moyenne de l’UE. Au cours des 22 dernières années, les dépenses ont doublé en termes réels. Mais dans des pays comme les Pays-Bas et le Danemark, ils ont été maintenus sous contrôle par des mesures ciblées.
“Ici, vous pouvez obtenir des résultats grâce à une politique à long terme”, explique M. Van Craeynest. Il suffit de penser à une vraie réforme du marché du travail ou à une réforme des retraites digne de ce nom. Lier l’âge de la retraite à l’espérance de vie peut réduire la facture des retraites de 1,3 % du PIB, selon la Commission européenne.”
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