Pierre-Yves Dermagne : “La marque du PS, c’est un Etat protecteur, stratège et régulateur”
Le vice-Premier ministre fédéral, en charge de l’Economie et de l’Emploi, défend le bilan socialiste, de la pandémie aux réformes socio-économiques. “Le PTB s’agite. Au PS, on préfère agir”, souligne-t-il à Trends Tendances. Non sans tabous, dont l’indexation auomatique des salaires.
Pierre-Yves Dermagne, vice-Premier ministre PS au sein du gouvernement fédéral d’Alexander De Croo, est en charge des portefeuilles importants de l’Economie et du Travail. Surtout, au sein de cette coalition de sept partis, il a pour mission de défendre la touche socialiste. Ce n’est jamais évident, tant les tensions au sein de la coalition sont récurrentes, la pression radicale du PTB omniprésente et le contexte dantesque avec la pandémie, le défi climatique, la poussée inflationniste, la guerre en Ukraine… Il s’explique longuement à Trends Tendances.
Le PS dispose d’un volet socio-économique fort au fédéral : quelle est la “marque PS” a fortiori dans un contexte politique où votre parti est sous la pression du PTB?
La marque socialiste, c’est un Etat qui protège, d’abord, avec des mécanismes de sécurité sociale, des services publics qui sont là pour aider les citoyens et les entreprises quand ils en besoin, comme ce fut le cas pendant la crise Covid. Un Etat stratège, aussi: c’est en partie le coeur du plan de relance avec des éléments essentiels en matière de transition environnementale et énergétique. Et en matière économique, un Etat qui régule: c’est essentiel, on le voit aujourd’hui en matière énergétique.
La question du PTB, je ne l’élude pas, mais la meilleure manière d’y répondre, c’est en travaillant sur le terrain. Le PTB s’agite. Au PS, on préfère agir. Nous l’avons démontré avec ce que l’on a obtenu dans l’accord de gouvernement. Bien sûr, cela nécessite de faire des compromis, mais avec des résultats à la clé. Je préférerais évidemment être en majorité absolue avec nos amis de Vooruit, mais nous n’avons pas à avoir honte de ce que nous réalisons.
Après la pandémie, on prévoyait la montée en puissance des ministres socialistes. C’était sans compte l’inflation et la guerre en Ukraine…
… qui ont des impacts majeurs sur le socio-économique.
Vous êtes dès lors plus dans la gestion de crise et l’accompagnement social ?
Non, parce qu’on ne remise pas par devers nous les grandes réformes.
Il faut tout d’abord rappeler ce qui a été obtenu dans l’accord de gouvernement. L’augmentation des plus basses allocations et des pensions minimum a été mise en oeuvre dans les semaines qui ont suivi notre prestation de serment, avec les différentes étapes qui sont prévues et qui le sont toujours. On s’est battu, comme vous le savez, pour obtenir une augmentation du salaire minimum et le mettre dans la corbeille de négociation des partenaires sociaux afin qu’ils prennent leur part.
Par ailleurs, nous avons eu des gestions de crise qui sont en fait très socialistes ou sociales-démocrates.
Avec une forte intervention de l’Etat, voulez-vous dire ?
Oui, avec une intervention massive de l’Etat en soutien de l’économie, des entreprises, des indépendants ou des travailleurs avec le chômage temporaire corona. On a vu l’importance d’un Etat fort, de services publics forts et d’une sécurité sociale stable.
Tout cela paraît évident aujourd’hui, alors que ce ne l’était pas nécessairement ?
Non et on a quand même eu de vraies discussions de principe au sein du gouvernement pendant la gestion de la crise corona. Certains, autour de la table, soutenaient, après la première partie de la crise, que l’on devait arrêter de soutenir l’économie parce que certains secteurs étaient de toute façon appelés à se restructurer fondamentalement – une forme de darwinisme économique.
En ce qui concerne l’horeca, notamment ?
L’horeca, l’industrie du tourisme ou du tourisme d’affaires, voire même l’aéronautique : certains estiment que ce sont des business modèles qui vont devoir évoluer, voire en partie disparaître. J’étais contre ça : dès lors que l’on prend des mesures de restriction de l’activité économique, en allant même jusqu’à fermer certains secteurs, on devait les soutenir jusqu’au bout et, j’allais dire, presque sans compter. Je me suis toujours battu pour ça.
Et cela a fonctionné. Dès le dernier trimestre 2020, on a vu une reprise de l’activité économique bien plus forte qu’on eut pu l’imaginer, avec forcément une rechute par la suite. On a fait en sorte de conserver notre tissu industriel et économique., qui a pu traverser la crise sans trop de casse.
N’est-ce pas le plus dur qui commence maintenant ?
Je pense que les recettes qui ont été utilisées, plutôt keynésienne, ont fonctionné. Nous faisons face aujurd’hui à une deuxième crise qui me fait davantage parce qu’elle est d’une autre nature et qu’elle est beaucoup plus asymétrique dans ses effets.
Avec le coronavirus, je dirais cyniquement que l’Europe, l’Occident ont été touchés plus ou moins de la même manière, il n’y a pas eu trop de concurrences ou de “profiteurs de crises”. La difficulté ici, c’est que les pays sont ou seront impactés différemment.
C’est le cas au niveau des salaires ou de l’énergie…
D’abord de l’énergie. Si on devait aller demain vers des sanctions plus dures en matière énergétique, gaz et pétrole, on sait que l’Allemagne sera durement impactée et la Belgique le sera par ricochet parce que nous sommes fort dépendants de l’économie allemande.
Comment faire, alors, au-delà des mesures prises en soutien aux ménages, aux chèques… ?
Il y a tout d’abord un véritable enjeu pour plaider en faveur de la poursuite d’une approche européenne, que ce soit au niveau militaire ou économique. On a franchi des étapes plus rapidement qu’on ne l’aurait fait sans cette crise. Ensuite, il y a la nécessité d’une approche européenne par rapport à l’énergie.
Pour construire notre autonomie énergétique ?
Oui, mais il faut aussi une approche différente au niveau du marché de l’énergie. Moi, je me réjouis que le Premier ministre ait plaidé pour une régulation du marché au niveau européen. C’était encore totalement inimaginable il y a quelques mois. On se rend compte que les recettes néolibérales ne fonctionnent pas, avec des aberrations en matière de calcul des prix, avec de la spéculation qui est insupportable quand on voit combien elle pèse sur la vie des entreprises et des ménages.
Notre salut ne viendra que d’une logique européenne. Ce n’est pas la petite Belgique, seule, qui peut peser de manière significative.
Il y a, par ailleurs, une inquiétude plus spécifique à la Belgique relative à un déficit de notre compétitivité. Avec un souci plus spécifique lié à l’indexation automatique des salaires. Qu’en pensez-vous ?
D’abord, la question de l’inflation est européenne, voire même mondiale. Elle a plusieurs causes : la reprise économique, plus rapide que prévu après la pandémie, les chaînes d’approvisionnement qui sont défaillantes, la reprise du Covid en Chine, l’explosion des coûts de l’énergie accentuée par la guerre en Ukraine…
Et l’indexation automatique des salaires ?
Oui, mais la Banque nationale, dans sa dernière analyse, souligne que nous ne sommes pas aujourd’hui dans une spirale salaires-prix. Il y a effectivement un point d’attention, c’est normal, c’est déjà arrivé par le passé, mais ce n’est pas encore une situation à ce point préoccupante.
En ce qui concerne le déficit de compétitivité, c’est l’éternel débat sur ce que l’on prend en compte. Le tax shift n’a pas été pris en compte dans ce calcul de différentiel de compétitivité : c’est 3% de la masse salariale qui a été amputée, soit un saut d’index et demi… Il y a des éléments méthodologiques qui posent question et, objectivement, on ne peut pas parler aujourd’hui de déficit de compétitivité. La préoccupation est davantage liée à l’explosion des coûts de l’énergie et au fait que cela se répercute chez nous de manière plus forte que dans d’autres pays. C’est vraiment quelque chose que l’on doit mieux cerner et que l’on doit essayer de corriger.
En ce qui concerne l’indexation automatique des salaires, cela fait plus de cent ans que cette mesure de soutien du pouvoir d’achat a été mise en place – elle a bien sûr évolué au fil des temps – et elle a montré son efficacité et sa plus-value. C’est un des piliers de notre modèle social et y toucher maintenant en période de crise et d’incertitude, ce serait une faute et une erreur.
C’est une mesure de soutien au pouvoir d’achat et on a vu l’importance de la consommation des ménages lors de la reprise forte au sortir de la première vague du Covid.
Même des ajustements ne sont pas souhaitables ? La FEB demande que l’on s’inspire du modèle luxembourgeois…
… c’est un saut d’index qui ne dit pas son nom. Ce serait une erreur économique, une faute politique et pour le parti socialiste, c’est totalement impensable.
Le taux d’emploi atteint désormais 71,6%. Vous vous en êtes félicité. Mais nous sommes encore loin de l’objectif des 80% qui conditionne beaucoup d’engagements pris par la Vivaldi. Comment espérer l’atteindre dans un contexte compliqué ?
Il faut d’abord rappeler que les chiffres sont meilleurs qu’avant la crise du coronavirus. Cela veut dire que les tendances lourdes sont bonnes et c’est le cas dans les trois Régions – ce dont je me réjouis car c’est un élément de stabilité du pays, même s’il reste bien sûr un déficit important entre la Flandre, la Wallonie et Bruxelles. Une série de mesures prises portent aujourd’hui leurs fruits au niveau des Régions et on a intérêt à continuer dans cette voie-là. La réforme de l’accompagnement des chômeurs en Wallonie, tout récemment, est une étape importante.
Au niveau du fédéral, les mesures du job’s deal sont importantes.
Avec davantage de flexibilité et de formation ?
Oui, c’est un paquet équilibré en terme de souplesse, de prise en compte d’éléments de la vie en société : la question des compositions familiales, des gardes alternées, de certains choix individuels au niveau du travail avec une demande de plus de télétravail ou de souplesse… Il est essentiel aussi de développer une culture de la formation tout au long de la vie : c’est vraiment une force, on l’a vu lors de la mission royale au Danemark. Dans ce pays, les entreprises y voient la formation comme une élément d’intérêt général et participant au bien commun.
Que répondez-vous à ceux que l’on pourrait aller plus loin dans les réformes tant en matière de flexibilité, où ce ne sont pour l’instant que des expériences pilotes, que de formation, où cela va nettement moins loin que l’exemple danois, voire – au niveau régional – sur un accompagnement des chômeurs avec davantage de sanctions pour ceux qui refusent des métiers en pénurie ?
L’accord que nous avons conclu au niveau fédéral prévoit l’évaluation de certains mécanismes. On devrait d’ailleurs le faire systématiquement. Ce n’est pas encore ancré dans la politique belge. On a vu dans certains cas combien c’était difficile de modifier une décision, comme le “zéro cotisation” où la Cour des comptes critiquait le dispositif en disant que l’on était passé en grande partie à côté de la cible, avec un dispositif coûtant très cher. Le job’s deal prévoit de telles évaluations.
Pour poursuivre l’objectif d’un taux d’emploi à 80%, l’accord de gouvernement ne prévoit pas uniquement des mesures en matière de travail, mais aussi des mesures fiscales. On a fait un premier pas avec le mini tax-shift et la suppression de la cotisation spéciale de sécurité sociale. On l’a fait aussi avec l’augmentation du salaire minimum et le werkbonus pour éviter les pièges à la promotion. On l’a fait encore avec le plan de relance et d’investissements. Ce sont tous des éléments qui doivent permettre d’augmenter le taux d’emploi en Belgique.
C’est une responsabilité collective de l’ensemble du gouvernement, c’est aussi une responsabilité partagée avec les Régions et les Communautés.
Je me réjouis aussi de la collaboration qui s’accentue entre les ministères de l’emploi et les organismes publics : le Forem, le VDAB et Actiris. On a mis en place une plateforme interfédérale, il y a des échanges réguliers entre techniciens, puis entre politiques : c’est important de pouvoir échanger au sujet des besoins existant dans les Régions et la capacité d’y répondre dans le cadre institutionnel. Franchement, on avance bien pour rendre cela structurel.
Nous avons beaucoup à gagner d’un fédéralisme de coopération mâture.
Le prochain jalon dans vos compétences, n’est-ce pas la réforme des pensions ?
Si l’on veut continuer à augmenter le taux d’emploi l’enjeu des travailleurs plus âgés est fondamental : faire en sorte qu’ils puissent rester plus longtemps au travail en bonne santé. Il y a énormément de choses à faire sur l’amélioration des conditions de travail. Le plus gros problème, aujourd’hui, c’est moins le nombre de chômeurs que le nombre de malades de longue durée. C’est un élément de préoccupation.
L’amélioration des conditions de travail doit concerner toute la carrière. On a lancé le processus avec les partenaires sociaux suite à la première conférence annuelle sur l’emploi. Nous voulons avoir un réel monitoring des causes d’incapacité.
Un autre élément, c’est évidemment la question des pensions. Il y a des éléments supplémentaires dans le cadre de la réforme de Karine Lalieux comme le bonus pensions pour inciter les gens à travailler un peu plus longtemps.
Où en est sa réforme ?
Avant les vacances de Pâques, il y a eu des concertations bilatérales entre Karine Lalieux et les différentes familles politiques. Un travail de synthèse a eu lieu pendant les vacances et l’objectif, c’est d’aboutir pour l’été.
La stratégie de relance est importante pour la Belgique. Un outil de suivi des projets va être présenté ce vendredi. Où en est-on ?
Rappelons tout d’abord que si nous avons utilisé le cadre de l’enveloppe européenne, nous avons également voulu aller plus loin. C’est fondamental si on veut respecter l’engagement pris dans l’accord de gouvernement d’augmenter significative le pourcentage de notre PIB consacré aux investissements, parce que notre pays en besoin après le sous-investissement des dernières décennies.
Tous les projets sont de qualité, ils méritent d’être menés rapidement même si les timings d’exécution sont différents. On va effectivement présenter ce vendredi un outil de monitoring : c’est important pour la réalisation des projets, pour leur crédibilité, mais aussi pour être dans les temps et conformes aux engagements par rapport à la Commission européenne.
On sait et on commence à l’entendre chez certains pays voisins qu’il y a une volonté d’entendre les échéances de réalisation des projets vu le contexte : les difficultés d’approvisionnement, le coût de certains matériaux, les pénuries dans certains secteurs… Le tout est renforcé chez nous par l’impact des inondations en Wallonie et la nécessité de reconstruire. Les demandes commencent à émerger pour obtenir un peu de souplesse.
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