“Paradoxalement, le ralentissement de l’économie peut avoir des conséquences positives”

Invasion de l'Ukraine - Les prix du pétrole atteignent leur plus haut niveau depuis 2008 © belga
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

L’économiste Philippe Ledent (ING) insiste sur l’analyse dynamique de la conjoncture économique compliquée des mois à venir. Un contexte à ce point incertain, c’est du jamais vu.

L’économiste Philippe Ledent analyse pour Trends Tendances les paradoxes de cette rentrée économique qui s’annonce folle.

L’économie européenne devrait ralentir cet automne-hiver, sur fond de crise énergétique. Mais les paradoxes sont nombreux et ce ralentissement annoncé pourrait avoir d’autres impacts, non?

Tout à fait. La situation économique actuelle est en effet très complexe. Mais elle est l’illustration parfaite du fait que l’on ne peut appréhender l’économie que dans une perspective dynamique. Des chocs se produisent, on peut essayer de déduire quelles en seront les conséquences, mais il faut aussi garder à l’esprit que ces conséquences représentent elles-mêmes des chocs qui eux-mêmes auront des conséquences.

Cela pourrait modifier les paramètres, notamment au niveau de l’inflation ou de l’énergie?

Oui, exactement.

Aujourd’hui, la situation est complexe à plusieurs égards.

En Europe, les indicateurs conjoncturels annoncent une deuxième partie de l’année plus compliquée: la confiance des consommateurs reste faible, celle des entreprises s’est plutôt dégradée ces derniers mois… Tout cela est induit par l’incertitude de la guerre en Ukraine et ses conséquences directes sur le prix de l’énergie.

C’est la ligne d’analyse la plus évidente?

Oui, mais très clairement, on ne va pas s’arrêter là. Dans le même temps, aux Etats-Unis, l’économie – en tout cas le marché du travail – reste très solide, mais elle devrait commencer à ralentir. C’est normal: elle était en surchauffe, avec des tendances inflationnistes, mais en réaction, la Banque centrale a modifié ses taux de façon assez agressive pour faire ralentir l’inflation et on commence a en ressentir les effets, notamment dans le secteur de la construction et de l’immobilier.

A l’autre bout du monde, la Chine n’allait pas très bien en tout début d’année. Tout le monde se rappelle des problèmes des grandes sociétés immobilières comme Evergrande, le pouvoir chinois essaye de régulier davantage le secteur des technologies, sans oublier leur politique du zéro Covid. Si les prix du pétrole ont reflué ces dernières jours, c’est essentiellement en raison de cette faiblesse économique chinoise. Les autorités ont promis un grand plan de relance avant le congrès du parti communiste en novembre, mais pour l’instant, cela ne semble pas fonctionner.

Qu’est-ce que cela induit pour nous?

Je reviens à la zone euro. L’économie mondiale est en train de se refroidir, le situation est complexe en raison de la guerre en Ukraine, le prix du gaz augmente comme nulle part ailleurs dans le monde: a priori, les ménages devront couper dans d’autres dépenses, des entreprises craignent des pénuries… Mais, si on réfléchit en terme de dynamique, cela signifie que la capacité de la Banque centrale européenne à continuer à augmenter ses taux est de plus en plus limitée.

Jusqu’en juin, les marchés s’affolaient à l’idée que la BCE ferait augmenter fortement ses taux et anticipaient de multiples hausses des taux, avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir, mais la dégradation de la situation économique pourrait ralentir l’inflation de manière endogène et ne rendrait pas nécessaire un politique agressive des taux.

Il reste l’explosion de l’énergie…

Il est vrai que l’inflation est essentiellement liée à l’énergie, contre laquelle la BCE ne peut rien faire. Mais il faut faire attention à cet argument parce qu’il n’y a pas que l’énergie: on percevait le début d’une pirale inflationniste. Celle-ci pourrait s’éteindre d’elle-même avec ce ralentissement économie.

Les ralentissements de l’économie en Europe, mais aussi aux Etats-unis et en Chine, pourrait donc changer les perspectives?

Oui. Et c’est un élément qui devient moins négatif. Paradoxalement, ce ralentissement pourrait avoir des conséquences positives.

Nous vivons une période de paradoxes incroyables: on annonce une forte crise, mais les entrreprises et le marché du travail sont plutôt en bonne santé, les perspectives négatives pourraient induire des effets positifs…

Oui, il y a énormément de paradoxes.

Premièrement, je viens de le dire, les conditions de taux pourraient être moins mauvaises que prévu.

Deuxième paradoxe: comme tout le monde anticipe un ralentissement de l’économie mondiale, les prix des matières premières sont plutôt orientées à la baisse, ce qui est aussi une bonne nouvelle. C’est aussi le paradoxe chinois: quand la Chine va moins bien, ce n’est pas très bon pour l’économie mondiale, parce qu’il s’agit de la deuxième voire la première économie, mais cela détend la pression sur le prix des matières premières. Or, nous en avons énormement besoin parce que cela permet de ralentir l’inflation. Cette bonne chose est la conséquence d’une mauvaise chose.

L’économie, en réalité, doit retrouver son point d’équilibres au milieu de multiples crises…

Exactement! C’est d’ailleurs le coeur de l’analyse économique: tout cela doit se rééquilibrer et c’est normal après les chocs du Covid et de la réorganisation gépolitique.

Un troisième paradoxe, c’est ce marché du travail qui reste pour l’instant en bonne santé. J’ai un petit modèle qui tente de prévoir les créations d’emplois en fonction de la croissance et à chaque trimestre, elles sont supérieures à ce qu’elles devraient être. Autrement dit, les économies génèrent plus d’emplois avec un même module de croissance. C’est aussi un élément perturbant parce que l’on est en droit de se demander si le choc énergétique est aussi grave qu’on ne le pense dès lors qu’avec autant de créations d’emplois, a priori, plus de gens voient leurs revenus augmenter. Et pas seulement, chez nous, par l’indexation automatique des salaires.

Je parle bien d’un point de vue macroéconomique, parce que des situations individuelles peuvent bien sûr être difficiles. Mais quand je fais des prévisions de consommation des ménages plutôt à la baisse, en raison d’un doublement de la facture de l’énergie, peut-être que je me trompe, que je suis trop pessimiste?

Là encore, il faut tenir compte d’une perspective dynamique: en raison de ce ralentissement, je dois quand même surveiller ce marché du travail qui pourrait lui aussi ralentir, certainement si des entreprises, notamment dans la chimie, s’inquiètent des coûts du gaz. Dans l’interim, cela ralentit déjà. Mais s’il y a des pertes d’emplois, peut-être que l’inflation réduira…

La ralentissement pourrait être une bonne nouvelle…

Il pourrait avoir des conséquences positives. D’autant que, par ailleurs, l’économie ne demande qu’à croître tant les investissements sont nécessaires en matière d’énergies renouvelables, de lutte contre le changement climatique…

Attention, toutefois, trouver un nouvel équilibre, cela ne se fait pas en un mois, et pas sans difficultés. Il ne faut pas s’attendre à ce que ce soit le cas avant le printemps 2023.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content