Pandémie, pollution, climat… Notre modèle de développement à l’épreuve
La baisse de la pollution consécutive aux mesures prises pour endiguer l’épidémie épargnera plus de vies que le coronavirus n’en coûtera. Cela en dit long sur les fragilités et les impasses d’un développement fondé sur le tout-carbone.
La vérité des chiffres est brutale, surtout pour ceux que le coronavirus aura privés d’un proche, mais elle n’en est pas moins ” vraie ” : si horrible que cela soit à dire, la crise provoquée par la pandémie de Covid-19 aura, in fine, un impact sanitaire global positif – et même très largement positif.
Au nombre total de vies humaines emportées par l’agent pathogène (mi-avril, le compteur en était à plus de 88.000 décès à l’échelle mondiale), il conviendra en effet d’ajouter, ou plutôt de retrancher, le nombre bien plus grand de celles que la baisse de la pollution résultant des mesures d’arrêt de l’activité économique et de restriction des transports aura permis d’épargner.
La Chine, qui est en train de sortir de l’épidémie, déplore un peu plus de 3.300 décès. L’Organisation mondiale de la santé estime que la pollution de l’air cause chaque année dans ce pays 1,1 million de morts, l’estimation de l’Agence européenne pour l’environnement étant plutôt de 2,8 millions. Même disproportion en France : 10.000 décès à l’hôpital liés au coronavirus, 48.000 morts par an dus à la pollution de l’air, selon l’OMS, et 67.000 selon l’Agence européenne pour l’environnement.
La situation née de la pandémie, dans son étrangeté même, devrait nous amener à nous questionner sur quelle planète et quelle vie nous voulons laisser à nos enfants.
Les relevés au sol et les données satellitaires le montrent : au-dessus des pays industrialisés frappés de plein fouet par la pandémie, ces deux tueurs de masse que sont les particules fines et le dioxyde d’azote (NO2) ont sensiblement baissé sous l’effet de la mise sous cloche de l’activité ; les niveaux relevés au mois de février au-dessus de la Chine étaient en recul de, respectivement, 20 à 30 % pour les premières et 10 à 30 % pour le second par rapport à février 2019. Ces deux polluants, qui font chaque année mourir prématurément des millions de personnes dans l’indifférence générale, n’ont pas été les seuls à diminuer. Les gaz à effet de serre -dont les émissions mondiales, avant la crise, continuaient de progresser au rythme de 1% par an, au mépris de l’Accord de Paris de 2016- ont eux aussi baissé. Toujours en février dernier, la Chine a vu ses émissions de dioxyde de carbone (CO2) être inférieures d’un quart à ce qu’elles étaient un an plus tôt, soit un allégement de 150 à 200 millions de tonnes, l’équivalent de la moitié des émissions annuelles de la Grande-Bretagne.
Une bonne nouvelle ?
Si les polluants comme les particules fines et le dioxyde d’azote ont des conséquences sanitaires immédiates, celles du changement climatique, différées dans le temps, ne se révéleront pas moins lourdes en vies humaines. Les effets directs et indirects d’un changement climatique désormais devenu inéluctable sont tellement nombreux qu’il est impossible de tout prendre en compte. Familles subsahariennes dépendantes d’une agriculture de subsistance devenue impossible dans le nouveau climat, mégapoles construites dans des zones côtières ou deltaïques submergées par la montée des eaux, modification de l’aire géographique de maladies infectieuses véhiculées par les moustiques (malaria, dengue, chikungunya, etc.) ou les tiques (maladie de Lyme)… La liste est longue, hétéroclite et effrayante.
Les baisses observées des concentrations de particules fines, de NO2 et de CO2 constituent-elles, dans ces conditions, une bonne nouvelle ? Il serait bien léger de répondre par l’affirmative. Enseignant-chercheur en géopolitique du climat à l’université de Liège et à Sciences Po Paris et membre du Giec, François Gemenne ne cache pas ses craintes que la fin du confinement soit suivie d'” une reprise de la consommation sur un mode effréné “, engendrant une ” pollution de rétention ” qui viendra plus que balayer les moindres niveaux actuels, comme cela a déjà été observé après la crise financière de 2008.
Et ce, d’autant plus que les mêmes Etats qui ont su réagir avec force contre Covid-19 semblent très pressés de retomber dans leurs mauvaises habitudes : le Canada a annoncé un plan de relance de 15 milliards de dollars de son industrie pétrolière et gazière ; quant à la République tchèque et à la Pologne, elles en ont tout simplement appelé à profiter de l’occasion pour tirer un trait sur le Green New Deal européen. Autant de signes nous montrant que, si changement il y a dans le climat, il se fait toujours attendre dans l’esprit de beaucoup de dirigeants économiques ou politiques…
Modèle de développement
” Je crains fort que l’outil de planification massive dont les Etats se doteront avec leurs plans de relance ne serve davantage à sauver l’existant, c’est-à-dire les énergies fossiles et les industries carbonées, qu’à inventer du nouveau, regrette François Gemenne. Au lieu de laisser les vieilles industries s’éteindre doucement du fait du bas prix du baril, on fera tout pour les sauver. ”
Entre la pandémie de coronavirus et le changement climatique, il existe des différences profondes qui font que l’une ne doit pas être vue comme un avant-goût de ce que nous réserve l’autre : le second frappera plus durement les pays pauvres, tandis que la première sévit majoritairement dans les pays riches. En outre et surtout, contrairement à la pandémie, le changement climatique n’est pas une crise ponctuelle mais bien un processus irréversible appelant des mesures structurelles et non conjoncturelles. Mais il n’en demeure pas moins que la situation née de la pandémie, dans son étrangeté même, devrait nous amener à nous questionner sur quelle planète et quelle vie nous voulons laisser à nos enfants.
Par Yann Verdo.
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