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“Neuf ministres et une épidémie”

Il est de bon ton d’ironiser sur le nombre de ministres de la Santé dans notre pays. Avec neuf titulaires du poste, nous serions les champions du monde de la désorganisation institutionnelle. L’affirmation mérite pourtant de sérieuses nuances. A commencer par la plus évidente : toute décentralisation implique une multiplication des lieux de décision et son lot de zones grises où se croisent les compétences des uns et des autres.

C’est vrai en Belgique comme en Suisse, en Allemagne ou ailleurs : il y a toujours un moment où il faut discuter pour voir qui est effectivement compétent entre l’Etat, le canton, le länder ou toute autre entité.

Dans la plupart des Etats, fédéraux ou pas, le financement des infrastructures hospitalières ou la planification de l’offre de soins ont été décentralisés. Avec ou sans la nomination de ministres supplémentaires. Ne nous braquons pas sur ces titres de ministre : les responsables des agences régionales de soins en France disposent de pouvoirs et de budgets bien plus conséquents que la plupart des ministres belges. Cela dit, les titres ont aussi leur portée symbolique. Les francophones ont toujours avancé à reculons dans le détricotage de la sécurité sociale fédérale et ce n’est sans doute pas innocent qu’ils aient préféré éclater les compétences plutôt que d’installer fièrement un ” grand ” ministère régional ou communautaire de la santé… Dans le sens inverse, une ministre flamande (Zuhal Demir) porte désormais le titre de ” ministre de la Justice “, comme pour mieux affirmer l’objectif de régionalisation de cette compétence, toujours fédérale même si certains éléments mineurs ont été décentralisés.

Avec notre articulation Régions-Communautés, nous n’avons certainement pas choisi la voie décentralisatrice la plus simple. Même si les compétences communautaires en matière de santé ont été réduites à la portion congrue du côté francophone, il subsiste deux ministres avec des responsabilités sanitaires en Fédération Wallonie-Bruxelles. Est-ce pour autant inconvenant que les hôpitaux universitaires soient sous la tutelle de la ministre de l’Enseignement supérieur (Valérie Glatigny) ? Est-ce idiot que l’ONE et la Promotion de la santé à l’école dépendent de la ministre de la Petite enfance (Bénédicte Linard) ? Non. Il était effectivement envisageable de répartir autrement les portefeuilles ministériels mais cela aurait de toute façon impliqué des concertations avec des collègues pour gérer ces matières qui traversent la santé et l’enseignement, et qui les traverseront toujours, quelles que soient nos évolutions institutionnelles.

L’une des spécificités du fédéralisme belge est son absence de hiérarchie des normes. Il faut se concerter et, à défaut, renvoyer la balle à la Cour constitutionnelle pour trancher les litiges entre niveaux de pouvoir. D’où lourdeurs, lenteurs et blocages. Rien à voir avec le traitement politique de l’épidémie de coronavirus. Celui-ci ne révèle pas les dysfonctionnements du système mais, au contraire, le mode dans lequel il devrait fonctionner. En l’occurrence, le fédéral a pris résolument les choses en main, en convoquant des comités de concertation. Aucune entité n’a cherché à tirer la couverture à elle ni remis en cause la prédominance fédérale. On est loin des chamailleries continues sur le Plan Climat ou, pour rester dans le domaine de la santé, de l’absence de toute réunion en vue de réviser la liste des vaccins remboursés par la sécurité sociale (la vaccination dépend des Communautés, la sécurité sociale est fédérale). La leçon est limpide : quand la volonté politique est présente, la machine fonctionne. Et si ça patauge, ce n’est donc pas les institutions et leur découpage qu’il faut blâmer…

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