Daan Killemaes

“Ne plus acheter de pétrole aux pays soutenant l’islam radical ? La Belgique n’en a pas les moyens…”

Daan Killemaes Economiste en chef de Trends Magazine (NL)

Un embargo sur le pétrole des pays qui soutiennent le radicalisme musulman ? Personne n’ose le suggérer. L’économie occidentale est beaucoup trop vacillante encore pour faire face à une nouvelle perte du pouvoir d’achat causée par une hausse rapide des prix de l’or noir. La Belgique, surtout, en souffrirait.

Depuis l’arrivée du gouvernement Michel voici une bonne année, le pouvoir d’achat des ménages a augmenté de manière significative. En soi, le gouvernement n’en a aucun mérite. Les effets du tax shift – plus d’emplois et un salaire net plus élevé – sont surtout à attendre dans la seconde partie de la législature. Non, remerciez en plutôt les pays producteurs de pétrole qui, pour défendre leur part de marché, ont ouvert en grand le robinet du pétrole et fait baisser le prix de l’or noir.

Ce bonus n’est pas négligeable. En 2014, notre facture de pétrole a diminué d’environ 6 milliards d’euros, et de 600 millions supplémentaires en 2015. Si, au cours de cette même période, l’euro n’avait pas été aussi sévèrement affaibli par rapport au dollar, l’avantage aurait été encore plus grand. “La forte chute des prix du pétrole depuis la seconde moitié de 2014 entraîne, selon les estimations, une hausse de 0,3% de la croissance économique cette année et de 0,6% l’an prochain”, chiffre Johan Van Gompel, économiste chez KBC.

Les entreprises font aussi une bonne affaire : “L’avantage d’une facture de pétrole plus basse est au bénéfice des employeurs pour près des trois quart, des familles pour environ un quart et de l’État pour le solde”, estime encore Johan Van Gompel. L’effet du refroidissement des prix du pétrole sur l’inflation donne également le champ libre à la Banque centrale européen pour mener une politique monétaire extrêmement souple.

Sur le plan mondial, on observe un transfert de 2.000 milliards de dollars de revenus des pays exportateurs de pétrole vers ceux qui importent le pétrole. Cela donne un coup de pouce à l’économie mondiale, parce que les importateurs dépensent généralement plus cet argent que les exportateurs. Bref, sans le crash des prix du pétrole, l’image de l’économie occidentale aurait encore l’air moins favorable.

L’économie occidentale est beaucoup trop vacillante pour faire face à une hausse rapide des prix pétroliers. La Belgique, surtout…

Ce cadeau laisse cependant un arrière-goût amer. L’Arabie Saoudite est connue depuis longtemps déjà pour la propagation de l’islam radical et pour les flux d’argent – surtout privé – qui partent vers Daech et le terrorisme international. Le rapport entre l’Occident et le royaume saoudien est double. En échange d’un approvisionnement relativement stable en pétrole, les États-Unis garantissent, depuis la Seconde Guerre mondiale déjà, la sécurité de l’Arabie Saoudite. Le pays pourrait maintenant être symboliquement réprimandé par la résiliation des conventions fiscales ou la remise en question des investissements dans le port d’Anvers. Mais un embargo pétrolier par lequel l’Occident n’achèterait plus de pétrole provenant de pays qui soutiennent le radicalisme musulman, personne n’ose même le suggérer.

L’économie occidentale est beaucoup trop vacillante encore pour faire face à une nouvelle perte du pouvoir d’achat causée par une hausse rapide des prix pétroliers. La Belgique, surtout, en subirait des répercussions. De par sa haute intensité énergétique, elle est en effet sensible, comme nulle autre économie européenne, à la volatilité des prix de l’énergie. Notre inflation augmenterait alors plus vite que celle des pays voisins, et l’amélioration de notre compétitivité par le fruit du saut d’index et du tax shift serait vite érodée. On pourrait ensuite faire d’emblée un trait sur les calculs qui promettent jusqu’à 100.000 emplois supplémentaires.

Nous n’en sommes toutefois pas encore là. Le marché pétrolier est, jusqu’à nouvel ordre, un marché où le pouvoir se trouve entre les mains des acheteurs, qui peuvent faire jouer la concurrence entre les vendeurs. Les jeux ont démarré lors du crucial sommet de l’Opep de l’an dernier. L’Arabie Saoudite a alors échangé des limitations de production volontaires contre la défense de sa part de marché. Les Saoudiens ont ouvert les robinets pour, grâce à des prix plus bas, porter préjudice à la concurrence du pétrole de schiste américain. Ils craignent aussi, tout comme les autres pays producteurs de pétrole, de rester un jour avec leurs réserves de pétrole. Beaucoup de clients investissent massivement dans les énergies renouvelables et une consommation d’énergie plus basse, et le réchauffement climatique s’intègre difficilement dans le business plan des producteurs d’énergies fossiles.

C’est pourquoi la nouvelle stratégie des producteurs de pétrole est de convertir le plus possible les réserves en cash tant que c’est possible. Cela résulte en une offre excédentaire persistante sur le marché du pétrole, et des réserves occidentales pleines à craquer.

Cette stratégie fait mal. La plupart des pays exportateurs de pétrole, l’Arabie Saoudite comprise, ont besoin de prix pétroliers plus élevés pour joindre les deux bouts. Des ballons d’essai sont lancés pour à nouveau limiter la production, mais il y a peu de chance que le prochain sommet de l’Opep génère un compromis. Les participants peuvent aussi envisager d’attendre la fin de la tempête. La demande de pétrole continue de grossir, alors que d’énormes investissements sont nécessaires pour maintenir la production à niveau. Celle-ci est maintenant réduite.

Il y a donc une chance que le marché du pétrole se stabilise l’an prochain et que les prix augmentent à nouveau légèrement. Dans ce cas, le gouvernement Michel ferait bien de se tenir prêt.

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