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Naïveté européenne versus “real politique” américaine

Lire la chronique d' Amid Faljaoui Amid Faljaoui, directeur des magazines francophones de Roularta.

La fin d’année est toujours propice à scruter l’avenir. L’exercice n’est pas simple et bien souvent les experts se trompent. On l’a encore vu l’an dernier.

L’année 2022 ne devait-elle pas être une année exceptionnelle en termes de croissance économique après le rebond lié à la sortie du COVID ? Mais il a suffi que le président russe décide d’envahir l’Ukraine en février pour que la physionomie du monde change. Souvenez-vous, à l’époque, les mêmes experts minimisaient l’impact de cette guerre en nous rappelant que la Russie était un nain économique. Aujourd’hui, avec le recul, nous découvrons que nous autres Européens nous sommes des naïfs. Vraiment ?

Récemment, Thierry de Montbrial, l’un des meilleurs spécialistes de la géopolitique se confiait à mes confrères des Echos. Et que leur disait-il ? Que nous autres Européens agissions “au premier degré, sous l’emprise de l’émotion, au nom du bien et du mal. Avec seulement deux instruments à notre disposition : les sanctions et les promesses d’élargissement de l’Union européenne“.

En clair, le bâton économique et la carotte de devenir membre de l’Union européenne, ce club privé que le reste de la planète envie. Seulement voilà, Thierry de Montbrial nous rappelle que “les sanctions nous blessent à chaque fois un peu plus et nous forcent à devenir de plus en plus dépendant des Etats-Unis, qui, eux, font leur stratégie en combinant, froidement les valeurs et les intérêts. Comme le disait de Gaulle : les Etats n’ont pas d’amis juste des intérêts. Et l’un des objectifs des Etats-Unis est devenir le maître du jeu dans le domaine de l’énergie”.

Quant à la carotte de l’élargissement, elle ne marche pas. C’est même un cadeau empoisonné. Les Etats-Unis le savent déjà, et quand la guerre en Ukraine sera terminée, ils pousseront avec d’autres à un élargissement de l’Union européenne. Pour quelle raison ? Mais parce que selon ce spécialiste de la géopolitique, l’Europe a un problème de gouvernance. Plus il y a de pays autour de la table, plus c’est la cacophonie et plus l’Europe sera impuissante politiquement. Le danger, c’est donc de voir l’Union européenne devenir un simple marché ouvert aux appétits des Chinois et des Américains qui eux protègent leur économie.

Au fond, c’est ce que prophétisait Alain Minc, il y a vingt ans, qui voyait l’Europe comme un musée visité par les classes moyennes chinoises. Mutatis mutandis, c’est ce que découvrent aujourd’hui les citoyens européens. Il n’y a plus qu’eux à être libéraux sur le plan économique. Il n’y a qu’eux qui s’offusquent du protectionnisme. Les autres n’en parlent pas, mais le pratiquent. D’ailleurs, le cimetière des entreprises qui ont voulu conquérir le marché chinois est rempli d’entreprises européennes.

Quant aux Etats-Unis, nos commentateurs avisés redécouvrent que les Démocrates sont en réalité beaucoup plus protectionnistes que les Républicains. Joe Biden, qu’on qualifie d’endormi (sleepy Joe), nous a, en réalité, endormis nous. Avec son dernier plan de relance dénommé Inflation Reduction Act, il a mis en place des milliards de dollars de subventions pour soutenir les entreprises qui viennent s’installer aux Etats-Unis. Mais attention : ces entreprises reçoivent des aides à la condition que les produits qu’elles fabriquent le soient sur le sol américain et qu’elles aient un syndicat maison. Résultat, les entreprises industrielles européennes arrivent en masse, pour profiter également sur place d’une énergie 5 fois moins chère qu’en Europe. Comme l’écrit si bien l’excellent Marc Fiorentino à propos de nos amis américains, “difficile de s’apercevoir à la veille de Noël que le père Noël n’existe pas, mais qu’en plus, celui qui se déguise en père Noël ne s’intéresse qu’à lui-même”. Dur retour à la réalité.

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