Les universités wallonnes, là où naissent des pépites économiques
Les universités représentent une des clés pour le redressement wallon. Des “success story” entrepreneuriales y ont vu le jour. Mais leur sous-financement représente un risque majeur, comme l’explique notamment Vincent Blondel, recteur de l’UCLouvain.
Si la Wallonie retrouve le chemin de la prospérité, elle le devra à la proximité de deux pôles de richesse: Bruxelles et Luxembourg. Puis aux moyens de communication: la ligne de chemin de fer reliant les deux capitales, et les aéroports de Liège et Charleroi. Mais aussi, surtout, à la force de ses universités, de leurs centres de recherche et leur capacité d’innovation d’où émergent des entreprises susceptibles de devenir de vrais succès tels IBA ou Odoo. Voilà, sans doute, le trio gagnant.
Lorsque l’on scrute les statistiques du redéploiement régional, les zones de redressement se situent principalement le long de cette dorsale belgo-luxembourgeoise. Puis, en ouvrant la toile d’araignée, vers Liège et Gosselies. Mais un centre d’attraction retient l’attention: Louvain-la-Neuve, son campus, son parc scientifique et son histoire singulière. Comme une métaphore d’une Région qui pourrait se relever en prenant son destin en main face à la Flandre.
Le modèle de la “Wallifornie”
Remontons un peu dans le temps. Au début des années 1960, la Flandre dépasse le niveau de richesse de la Wallonie, après des décennies de galère. En 1968, le ” Walen buiten” de Leuven contraint les francophones à quitter la ville pour construire une université au milieu de nulle part, en bordure d’Ottignies. Rapidement, cette cité nouvelle devient un vecteur important de développement au coeur d’un Brabant wallon rebaptisé “Wallifornie”, en comparaison avec la Californie d’où ont surgi nombre de pépites américaines.
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“Cette évolution de notre université aurait de toute façon eu lieu, nuance Vincent Blondel, recteur de l’UCLouvain. Au moment de la scission, il y avait 20.000 étudiants à l’université de Louvain, 10.000 francophones et 10.000 néerlandophones. Aujourd’hui, si l’on additionne les deux entités, nous sommes à 100.000, soit autant que la population entière de la ville de Leuven. Mais cette scission a fait de l’UCLouvain une université tout à fait particulière, c’est vrai, puisqu’elle est à la fois dotée d’une tradition forte de 600 ans et extrêmement jeune.”
Vincent Blondel ne cache pas l’ambition plus large de l’UCLouvain. “Le destin de notre université, c’est celui de jouer un rôle global et de contribuer au développement de toute la Fédération Wallonie-Bruxelles, soutient-il. Nous avons 35.000 étudiants en tout. Même s’il y a la success story du Brabant wallon, l’université se voit jouer ce rôle économique global. Nous avons un parc scientifique établi dès la conception de Louvain-la-Neuve, mais nous avons aussi des infrastructures pour accueillir les entreprises à Bruxelles et une contribution au développement sur tous les sites.”
L’université doit donc contribuer au déploiement économique et à la création d’emplois.” Vincent Blondel (UCLouvain)
Le lien entre l’université et le monde économique au sens large n’a jamais été aussi intense, souligne le recteur. “Il y a 30 ou 40 ans, quand un chercheur – y compris un ingénieur – développait une petite entreprise, il était dans le fond de la cave. Aujourd’hui, chez les ingénieurs, si vous n’êtes pas impliqués d’une manière ou d’une autre dans un projet, on se demande ce que vous faites. C’est aussi l’héritage d’une attente sociétale: les universités sont financées de manière publique, il est naturel que ceux qui financent fixent des objectifs. L’université doit contribuer au déploiement économique et à la création d’emplois.”
Dès la naissance de Louvain-la-Neuve, ses concepteurs s’étaient rendus aux Etats-Unis pour y chercher de l’inspiration. C’est dans cet esprit qu’ils ont construit un parc scientifique réunissant aujourd’hui entre 200 et 250 entreprises, avec plus de 6.000 emplois. “Nous avons rapidement mis sur pied une formation interdisciplinaire de création d’entreprises (CPME), qui réunit des étudiants ingénieurs, juristes, communication, management, etc. Nous avons octroyé à des étudiants le statut d’étudiant-entrepreneur qui leur permet d’aménager leurs cours, leurs sessions d’examens… avec des espaces de coworking pour développer leur activité économique. Et des cours d’entrepreneuriat sont présents dans le cursus. Il y a une attention à cette ambition partout, là où ce n’était pas le cas auparavant – cela aurait même été perçu comme une perversion.” La révolution culturelle a en effet suscité des débats internes. Mais elle est aujourd’hui en marche.
Des licornes et des inspirations
Vincent Blondel ne s’en cache pas: les universités ont évolué. “L’exemple emblématique, c’est la création d’IBA. C’est formidable que cette spin-off soit devenue le leader mondial en protonthérapie: elle est sortie il y a 35 ans de ce Cyclotron que les concepteurs de Louvain-la-Neuve avaient construit en premier parce qu’ils craignaient ne plus en avoir ensuite les moyens. Yves Jongen, bidouilleur, y a imaginé une société dont le chiffre d’affaires est comparable aujourd’hui à celui de l’université tout entière.”
D’autres sociétés emblématiques ont suivi, comme Iris, n-side ou Odoo qui vient de s’installer dans le parc scientifique. “Fabien Pinckaers d’Odoo, voilà quelqu’un qui ne manque pas d’ambition, continue Vincent Blondel. Je me souviens de Trends-Tendances titrant il y a quelques années: ‘Fabien Pinckaers, le futur Bill Gates’. Cela a dû en faire sourire l’un ou l’autre, mais aujourd’hui, sa société est une licorne, avec une valorisation boursière de 2 milliards d’euros. Sans université, Odoo ne resterait plus en Belgique, c’est fini. Ce serait donc trop caricatural de dire que la Wallonie manque d’ambition. Regardez cet ancien diplômé qui a créé Aerospacelab à Mont-Saint-Guibert et qui veut couvrir la Terre avec des microsatellites…”
Les grandes ruptures d’innovation viendront des universités, comme en Flandre.” Didier Paquot, “chief economist” de l’Institut Destrée
L’ambition est réelle… “Les outils de financement et de soutien, et en particulier de capital risque, sont-ils pour autant à la hauteur de cette ambition? Je laisserai d’autres, plus compétents, en juger. Mais c’est une vraie question. Je parle d’un vrai capital à risque. Quand Google s’est lancé, émanant de Stanford, ses fondateurs n’ont pas généré le moindre profit pendant trois ans. Et ils avaient des investisseurs. Cet appétit pour le risque, mais aussi l’acceptation de vrais échecs – pas des semi-échecs que l’on maquille en succès – manque encore.”
Et au niveau des entreprises, les attentes sont grandes. “Je crois fort en nos universités, elles constituent l’un des atouts majeurs de notre économie, souligne Didier Paquot, chief economist de l’Institut Destrée et ancien détenteur de ce poste au sein de l’Union wallonne des entreprises. Elles sont non seulement de grande qualité mais elles s’orientent de plus en plus vers la valorisation de la recherche. Ceci dit, les projets sont sans doute trop saucissonnés. Ne faudrait-il pas prévoir des programmes sur cinq ans ou plus, avec beaucoup d’argent sur un thème ou un domaine? Pas des projets de 2 ou 3 millions mais 10 fois plus. Ces programmes seraient ensuite l’amorce de petits centres de recherche, comme en Flandre.”
“L’idée de bâtir un Imec ( Institut de microélectronique et composants, centre de recherche qui emploie plus de 3.000 personnes à Louvain, Ndlr) wallon à partir des petits centres de recherche existants est pour moi un mythe, tempère toutefois Didier Paquot. En revanche, construire des Imec de plus petite taille à partir des recherches universitaires, j’y crois plus. Les centres flamands ont été créés à partir des recherches universitaires bien financées. Nos petits centres de recherche sont certes de qualité, ils ont des apports ponctuels intéressants, mais je ne pense pas que les grandes ruptures d’innovation pourront venir de là, à part peut-être pour Materia Nova ( Centre de recherche agréé par l’UMons pour la mise au point des matériaux de demain, Ndlr). S’il doit y avoir des ruptures d’innovation, elles viendront des universités, comme en Flandre.”
L’angoisse du financement
Les promesses universitaires sont toutefois suspendues aux difficultés budgétaires francophones. “La situation de la Fédération Wallonie-Bruxelles est, pour nous, une vive préoccupation, souligne le recteur de l’UCLouvain. A la fois parce qu’il y a un endettement très important et un déficit à caractère structurel, mais aussi parce que malgré cette réalité, certains veulent s’embarquer dans des réformes – je pense à celle de la formation initiale des enseignants – qui vont être très coûteuses.”
S’il reconnaît les efforts des derniers ministres de tutelle, Valérie Glatigny (MR) et Jean-Claude Marcourt (PS), Vincent Blondel les estime toutefois largement insuffisants. “Notre niveau de financement installe un différentiel énorme avec des voisins immédiats, en particulier la Flandre, dit-il. Il y a un définancement par étudiant de l’ordre de 20%, en raison de la croissance extrêmement importante du nombre d’inscrits. Il y a des auditoires où on ne sait même plus s’asseoir. Mais il y aussi un définancement du soutien à la recherche – donc aussi à des infrastructures comme le Cyclotron, celui qui a mené à IBA…”
Le risque d’une spirale négative est réelle. “Les questions du taux d’encadrement et du nombre de professeurs par étudiant sont des éléments de mesures du niveau de qualité, également pris en compte pour l’évaluation des universités. Quand les rankings internationaux sortent et qu’on y voit que les universités flamandes s’en tirent mieux, je suis toujours courroucé que le monde économique nous demande comment cela est possible…. Mais dans les premiers critères pour les rankings, on trouve celui du nombre d’étudiants par prof ou par assistant! Et cela est directement lié au financement.”
La situation de la Fédération Wallonie-Bruxelles est, pour nous, une vive préoccupation.” Vincent Blondel (UCLouvain)
Une réalité qui a aussi des conséquences sur l’attractivité des institutions car dans un système européen de type Bologne, la mobilité des étudiants est aujourd’hui une réalité. Vincent Blondel signe de nombreuses lettres de recommandation pour ses meilleurs étudiants. “Ce sont souvent les plus brillants, les plus dynamiques et les plus entreprenants qui s’en vont à l’étranger. Attention, je ne veux pas que l’on m’interprète mal: cette mobilité est une bonne chose. Mais il faut alors de la mobilité dans les deux sens, avec des étudiants étrangers positivement intéressés par le système universitaire belge… Le sous-financement des universités met à mal les fondations sur lesquelles on va construire la Wallonie dans le futur. Le jour où le fondateur de l’IBA de demain ira à Genève parce qu’il est mieux encadré et qu’il pourra s’asseoir dans l’auditoire, on aura perdu énormément.”
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