Philippe Ledent

Les planètes ne restent jamais alignées

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

La zone euro a bénéficié de circonstances favorables, qui lui ont permis d’éviter le pire. Mais ne doit-on pas craindre de nouvelles poussées de fièvre?

Revenons un instant sur 2022. Après le déclenchement de la guerre en Ukraine, les prix des matières premières, qui étaient déjà sous pression suite à la pandémie, ont subi une nouvelle poussée de fièvre. Ensuite, lorsque les tensions ont mené à la réduction presque totale des livraisons de gaz de la Russie à l’Europe, le prix de ce dernier est devenu fou. Et pour cause, le risque était réel de ne pas disposer de suffisamment d’énergie pour passer l’hiver.

En toute logique, la zone euro allait tout droit vers la récession: les consommateurs voyant leur facture d’énergie multipliée par cinq ou six allaient fortement rogner sur d’autres dépenses de consommation, alors que de plus en plus d’entreprises signalaient des arrêts de production cet hiver compte tenu de prix trop élevés de l’énergie. Et pour couronner le tout, la Banque centrale européenne, s’inquiétant du risque d’une spirale inflationniste induite par la hausse des prix de l’énergie, poursuivait avec vigueur ses hausses de taux, contraignant le financement de l’économie et ralentissant dès lors l’activité.

Gaz: si la zone euro a évité le pire ne doit-on pas s’attendre à de nouvelles poussées de fièvre ?

Quelques mois plus tard, le choc et ses conséquences n’ont certainement pas disparu. Par contre, si récession il y a, elle devrait être moins prononcée qu’on ne pouvait le craindre. Il faut avouer que la zone euro a bénéficié de circonstances favorables, qui lui ont permis d’éviter le pire. Tout d’abord, la hausse du prix de l’énergie n’est pas restée sans conséquence: la peur d’une facture astronomique a changé le comportement de plus de consommateurs que tout adepte de la décroissance n’aurait pu rêver. Les températures clémentes en automne et au début de l’hiver ont par ailleurs accéléré la baisse de la consommation. Le rôle de la météo a donc été crucial!

Du côté de l’offre, l’Union européenne a pu presque entièrement compenser le manque de gaz russe par l’importation de GNL. Mais pour cela, il fallait des bateaux. Or, la Chine, engluée dans sa politique zéro covid, et à présent dans une énorme vague d’infections, tourne au ralenti et consomme donc moins de GNL. Baisse exceptionnelle de la demande et offre suffisante ont alors détendu le marché du gaz.

Mais ce n’est pas tout. J’ai précédemment évoqué le fait que la démographie joue actuellement en faveur du marché du travail: les très nombreux départs à la retraite provoquent une augmentation forte du nombre de postes vacants et incitent à la rétention d’emplois. Cela limite les dégâts sur le marché du travail, le revenu des ménages, et donc sur la consommation.

Enfin, il faut aussi rappeler que la suspension des règles budgétaires européennes (sans cesse prolongée depuis 2020) a permis aux gouvernements de dépenser sans compter… au sens littéral du terme. Bref, les planètes étaient bien alignées: des éléments structurels, conjoncturels ou simplement le fruit du hasard ont permis de détendre le marché du gaz et d’éviter le pire sur le plan économique.

Une telle situation laisse à présent de nombreuses questions sans réponse. En effet, lorsque la vague de covid aura reflué en Chine, on peut raisonnablement imaginer que les autorités feront tout pour relancer la machine économique. Mais cette machine a un besoin énorme d’énergie. Comment réagira le marché du GNL? Ne doit-on pas craindre de nouvelles poussées de fièvre?

A côté de cela, les interrogations au sujet de la soutenabilité des finances publiques commencent à refaire surface, notamment en Belgique. Cela pourrait très vite représenter un vent contraire pour l’économie. Gardons donc à l’esprit que si les tempêtes parfaites ont très peu de chance d’arriver, les planètes restent, quant à elles, rarement alignées bien longtemps…

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