Les leçons d’un accord social: analyse croisée de la FEB et la CSC

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Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Les syndicats ont tous validé, parfois sur le fil, l’accord conclu avec les organisations patronales sur le salaire minimum et les heures supplémentaires. Assez pour relancer durablement la concertation sociale?

“Je n’avais jamais vu un ministre de l’Emploi réagir aussi vite à un accord entre les partenaires sociaux.” Pieter Timmermans, 23 ans de concertation sociale au compteur, a été frappé par la rapidité avec laquelle Pierre-Yves Dermagne (PS) a réagi à l’annonce de l’accord le mardi 8 juin à l’aube et plus récemment après la validation par les instances syndicales. “Il y a manifestement un soulagement au gouvernement, constate le CEO de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB). Ils comptent, à juste titre, sur les partenaires sociaux pour avancer sur certaines matières.” A juste titre, vraiment? Analysons cela en compagnie de Pieter Timmermans et de la secrétaire générale de la CSC, Marie-Hélène Ska.

1. Peut-on vraiment se réjouir d’un accord validé de manière aussi serrée?

C’est la sanction démocratique: une loi adoptée à une voix près s’applique avec la même force qu’une loi votée à l’unanimité. On retiendra donc que l’accord conclu entre partenaires sociaux a été avalisé par toutes les parties et on finira par oublier qu’il s’en est fallu de quelques voix pour que la FGTB ne le rejette (49,06% de “oui” contre 49,01% de “non”, le solde étant les abstentionnistes). Le défi est maintenant sur les épaules du président de la FGTB Thierry Bodson, qui doit réussir à maintenir la cohésion de ses troupes.

Il y a beaucoup de commentaires sur les votes dans les organisations syndicales mais avez-vous les scores de validation du côté patronal?”

Marie-Hélène Ska (CSC)

“Une négociation, ça se prépare aussi en interne pendant des mois, analyse Pieter Timmermans. Il faut bien délimiter ce qui est possible à atteindre et ce qui ne l’est pas. Sinon, on crée des attentes irréalistes.” C’est peut-être ce qui s’est passé dans les rangs syndicaux. D’où le fort sentiment de déception, y compris du côté de la CSC, qui a ratifié l’accord avec un modeste 58,8%. “Il y a beaucoup de commentaires sur les votes dans les organisations syndicales mais avez-vous les scores de validation du côté patronal? nuance la secrétaire générale de la CSC Marie- Hélène Ska. Il y a un processus de consultation systématique du côté des représentants des travailleurs, avec la publication des résultats de cette consultation. Mais je ne vois guère d’interrogations sur la construction des positionnements patronaux et la validation de ceux-ci. Il n’y a jamais un mot sur la démocratie interne aux organisations patronales.”

>>> Lire à ce sujet: Feu vert syndical pour l’accord social

Les leçons d'un accord social: analyse croisée de la FEB et la CSC
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2. La concertation sociale est-elle effectivement remise en selle?

Obtenir un accord entre partenaires sociaux, même sur le fil, même après avoir mis de côté le dossier qui fâchait le plus (la norme salariale et la loi de 1996), cela reste a priori encourageant pour les étapes suivantes. “Nous avons vu un gouvernement qui fixe les balises, laisse jouer la concertation et s’engage ensuite sur les résultats de celle-ci, explique Marie- Hélène Ska. C’est quand même très différent de ce que nous avons connu sous le gouvernement Michel.” Les partenaires sociaux auraient en effet pu se quitter sur l’échec des discussions sur la norme salariale. Pierre-Yves Dermagne a mis de l’huile dans les rouages en amenant le salaire minimum et les heures supplémentaires sur la table.

“Les accords antérieurs ont souvent été dénoncés par l’un ou l’autre partenaire, reprend Pieter Timmermans. Ici, il est soutenu par tout le monde. Nous avons ainsi la base d’une entente de la société et cela permet d’avancer dans la sérénité. C’est très important pour nous, cette sérénité. Nous avions ressenti la tension monter, notamment après les déclarations de Paul Magnette (“sans accord sur le salaire minimum, il n’y aura pas de norme à 0,4%”, avait-il déclaré à L’Echo). Aujourd’hui, il y a moins de tension. Cela sera-t-il suffisant pour impulser un certain enthousiasme dans la concertation sociale? La conférence pour l’emploi prévue en septembre sera un bon test à cet égard.”

>>> Lire aussi: La FEB approuve l’accord social

3. Saucissonner les dossiers a-t-il aidé au compromis?

Manifestement oui. Les syndicats, y compris la CGSLB qui a approuvé l’accord social à 88%, restent farouchement opposés à la loi de 1996 et à la faible norme salariale qui en découle (0,4% hors index). La FGTB a même tenu à rappeler que l’engagement de paix sociale ne valait que sur les volets de l’accord social et qu’il fallait s’attendre à des actions contre la loi de 1996. L’option a donc été prise de retirer ce dossier de la discussion pour s’entendre d’abord sur la répartition de l’enveloppe bien-être et ensuite sur le salaire minimum, les heures supplémentaires, les fins de carrière et les pensions complémentaires.

Quand on saucissonne les discussions, on retire des ingrédients de la table. Le cocktail ne peut alors être aussi bon et bien équilibré.”

Pieter Timmermans (FEB)

“Dans leur communication après la validation de l’accord social, les syndicats sont revenus sur la norme salariale, pointe cependant Pieter Timmermans. La dissociation des sujets n’a donc rien résolu. Au contraire, quand on saucissonne les discussions, on retire des ingrédients de la table. Le cocktail ne peut alors être aussi bon et aussi bien équilibré qu’avec tous les ingrédients.” La question est toutefois: si tous les ingrédients étaient restés sur la table, serait-on parvenu à s’entendre un jour sur leur dosage dans le mélange global? Il est permis d’en douter. “Nous ne sommes pas là pour tout mélanger ou pour troquer les choses, estime Marie-Hélène Ska. On peut faire des ensembles mais il faut qu’ils fassent sens. La vitalité de la concertation sociale dépend de la capacité à développer une vision commune sur certains enjeux. Avec la loi salariale, nous sommes très loin d’une vision commune. Vouloir à tout prix trouver un accord sur un tel sujet, c’est antinomique.”

4. N’est-ce pas un peu facile de renvoyer la facture à la sécurité sociale?

Pour augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs sans trop augmenter les dépenses des employeurs, la voie la plus directe est de raboter les prélèvements fiscaux et parafiscaux sur les salaires bruts. L’accord de début juin n’a pas failli à la règle, en prévoyant des dispositions fiscales pour rehausser le salaire minimum net. “L’accord de gouvernement prévoit une grande réforme fiscale qui doit, notamment, augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs les moins favorisés, dit Pieter Timmermans. Nous n’avons fait qu’inscrire des objectifs à atteindre dans une réforme fiscale annoncée.”

Pour Marie-Hélène Ska, l’intervention de la sécurité sociale est rendue inévitable par le fait que, d’une part, l’Etat intervient déjà beaucoup pour réduire le coût brut des petits salaires ; et que, d’autre, part, “il n’existe aucun mécanisme de solidarité patronale”. “On pouvait parfaitement envisager que de grandes entreprises alimentent un fonds pour financer une hausse du salaire minimum dans toutes les entreprises, dit-elle. Cela aurait témoigné d’une vraie solidarité à l’intérieur du monde patronal, comme cela existe déjà avec les fonds de pension sectoriels, par exemple.” La secrétaire générale de la CSC ajoute en outre que l’absence d’accord renvoie aussi la facture à la sécurité sociale: “Qui paie l’indécence d’un salaire minimum trop bas? Les CPAS, les banques alimentaires. C’est la collectivité qui paie le fait que des travailleurs ne gagnent pas correctement leur vie.”

Pieter Timmermans (FEB)
Pieter Timmermans (FEB)© BELGA IMAGE

5. La prochaine étape: la conférence pour l’emploi.

Le patron des patrons l’a confié, le vrai test pour la concertation sociale sera la conférence pour l’emploi prévue à la rentrée. “J’espère que ce ne sera pas l’une de ces grandes conférences où l’on parle beaucoup mais où l’on ne décide rien, dit-il. Après l’accord social engrangé maintenant, je pense qu’il sera un peu plus facile d’avancer.” A cette occasion, la FEB espère faire évoluer les positions sur l’activation des demandeurs d’emploi, sur la formation pendant la carrière ou sur l’accueil des jeunes enfants. Ce dernier reste, selon Pieter Timmermans, un vrai frein à l’accès au marché du travail, surtout dans les familles monoparentales. “Je sais bien qu’il ne s’agit pas d’une compétence fédérale au sens strict, précise-t-il. Mais c’est un piège à l’emploi et notre tâche, c’est de lever ce type de pièges. La compétence institutionnelle, c’est du back office. N’ennuyons pas les gens avec cela.”

Marie-Hélène Ska souhaiterait, elle, que les discussions ne restent pas cantonnées aux questions de redistribution des richesses mais concernent aussi “la distribution primaire des revenus”. Elle veut notamment aussi évoquer des problèmes de mobilité ou d’énergie. “On ne peut vraiment pas se contenter de la vieille recette patronale de la flexibilité pour faire face aux tensions du marché du travail, conclut-elle. Nous voyons tous que cette recette fonctionne mal et génère d’importants coûts collatéraux.”

>>> Lire aussi: La FGTB, divisée, sauve l’accord social, mais pourrait générer des tensions politiques

“Nous avons sauvé le 2e pilier de pension”

L’accord social peut sembler comme un deal entre la hausse du salaire minimum (voulue par les syndicats) et l’extension du nombre d’heures supplémentaires défiscalisées (demandée par les employeurs). Mais c’est pourtant un troisième élément qui réjouit le plus Pieter Timmermans. “Nous avons sauvé le 2e pilier de pension”, assure-t-il. Les partenaires sociaux ont repoussé l’harmonisation des régimes ouvriers et employés de pensions complémentaires à 2030 au lieu de 2025. Cet étalement rend les adaptations financièrement plus digestes et, surtout, l’harmonisation se fera par des efforts venant des deux côtés. “Il est prévu que 0,1% de la norme salariale puisse être consacré à cette harmonisation, explique le CEO de la FEB. Ce n’est peut-être pas beaucoup mais c’est un signal très important: pour la première fois, on reconnaît explicitement que ces efforts doivent venir aussi des travailleurs et pas uniquement des employeurs. J’espère que cela aura ouvert les yeux de chacun. C’est beaucoup plus sain ainsi: quand les bancs patronaux et syndicaux sont tous deux responsabilisés, cela ne peut être que bénéfique pour notre système de sécurité sociale.”

Pieter Timmermans se réjouit bien entendu des 120 heures supplémentaires additionnelles admises dans tous les secteurs en 2022. Cela ne va-t-il pas freiner la reprise des embauches? “C’est une mesure de très court terme, répond-il. La reprise sera plus forte qu’attendue, nous le sentons déjà. Si nous ne voulons pas casser le rythme de cette reprise, il est impératif d’organiser un système d’heures supplémentaires sur base volontaire. Au vu de la situation du marché du travail et de la pénurie dans toute une série de fonctions, les entreprises ne trouveront pas suffisamment de personnel à engager pour répondre aux opportunités de la relance.”

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