“Les entreprises conjuguent le verbe ‘licencier’ au futur très proche”

Pierre-Frédéric Nyst (UCM) "Il est important que la Wallonie fasse elle aussi un effort." © belgaimage
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

La situation économique est “pleine de paradoxes”, dit Pierre-Frédéric Nyst, président de l’UCM. “C’est le calme avant la tempête”. Son message aux indépendants et PME: “comptez sur vous, pas sur l’Etat”.

Pierre-Frédéric Nyst, président de l’Union des classes moyennes (UCM), explique met en garde : s’il y a bien des signaux d’optimisme cet été, sur fond de volonté de profiter du retour à la vie et du soleil, les nuages pourraient rapidement obscurcir le ciel. Autant s’y préparer, confie-t-il à Trends Tendances. Non sans reconnaître que les organisations patronales ont bien de la peine à tenir un discours clair en cette période confuse.

Nous vivons une période charnière, avec des indicateurs économiques qui restent bons, mais des perspectives inquiétantes. Est-ce votre avis ?

Je pense que votre ressenti est assez correct. Pour le moment, la position des organisations patronales est vraiment difficile. Quand on prend le pouls des indépendants ou des PME, on reçoit des messages très contradictoires. Il est très difficile d’élaborer une ligne de conduite. Et nos chers amis les économistes se retrouvent dans la même situation. C’est le règne des paradoxes et des contrastes.

Dans l’Horeca, certains m’interpellent pour me demander la prolongation des mesures de chômage temporaire pour cas de force majeure parce qu’ils n’en peuvent plus, mais d’autres sont complets en permanence et traversent très bien la crise. De même, les agences de voyage ont bien vendu, les soldes se sont bien passées, il y a des messages positifs, mais ce sont peut-être des messages à court terme. C’est comme s’il y avait un emballement parce qu’il fait beau, que les gens veulent ne profiter…

Nous sommes toujours dans la période post-Covid où les gens ont besoin de revivre, non ?

Oui, mais cela va-t-il continuer ?

Un autre paradoxe : nos indépendants et nos PME indiquent qu’ils ne sont plus autant impactés sur le chiffre d’affaires que durant la période Covid, mais qu’ils le sont désormais sur les coûts. Le premier poste qui explose, c’est l’énergie. Des mesures ont été prises pour les ménages et les personnes les plus précarisées, mais il n’y a rien pour les entreprises et pour les indépendants. Or, les prix passent parfois du simple au quadruple.

Mon pessimisme est lié aussi au fait que nous ne ressentons encore aujourd’hui que le début des effets de la crise énergétique, pas encore la totalité. De même, les conséquences des pénuries de matières premières commencent à produire leurs effets, mais c’est loin d’être fini.

Cet été insouciant cache un hiver qui sera difficile ?

J’ai un peu l’impression que nous sommes en train de vivre les dernières soirées des vacances, quand tout le monde se prépare à revenir au pays où il fait mauvais, par principe. C’est le calme avant la tempête. On avait besoin de cette euphorie, c’est incontestable, les gens n’arrêtent pas de faire des fêtes. Mais la crise énergétique va s’installer dans le temps, de même que la crise géopolitique, et imaginez qu’arrive un nouveau variant du Covid à la rentrée ?

La fin du soutien public “quoi qu’il en coûte” et du moratoire sur les faillites annonce-t-il d’autres difficultés ?

Nous avons vu en juin le nombre de faillites augmenter, c’était un effet de rattrapage attendu. Mais il est évident que si nous étions demandeurs d’aides publiques pour tout le monde dans un premier temps, on devra désormais demander des soutiens plus ciblés et accompagner certains à atterrir en douceur.

Un autre paradoxe du moment, c’est qu’il n’y a désormais plus de sous, l’Etat a déjà beaucoup donné. Sauf situation d’urgence, bien sûr : s’il devait y avoir de nouvelles inondations ou s’il devait y avoir un problème grave pour l’agriculture en raison de la sécheresse, il pourrait y avoir une intervention. Mais nous ne sommes plus dans la même situation. Notre message aux indépendants et aux PME, désormais, est très clair : “comptez sur vous, plus sur l’Etat”.

Il ne fait pas oublier non plus qu’il y a que des mesures de reports de paiements : ceux qui n’ont pas payé leur ONSS ou leur TVA en 2020 et 2021 devront les payer en 2022 et risquent de ne pas y arriver. Nous avions attiré l’attention de nos membres sur l’importance de payer ce qu’ils pouvaient en 2020 et 2021, pour limiter les dégâts. Mais ceux qui ne l’ont pas fait risque de se casser la figure.

Nous sommes, en réalité, au milieu du gué, ente le passif de la pandémie et la crise énergétique ?

C’est tout à fait ça. Et je n’ai pas encore parlé de ce qui va nous occuper à l’automne : la question des coûts salariaux. Pour le moment, tout le monde est dans le dogmatisme : les syndicats veulent revoir la loi de 1996 et négocier davantage de marge salariale, nous répondons que l’on ne peut pas pousser le bouchon trop loin. C’est une discussion de principes.

Or, que constate-t-on ? L’indexation automatique des salaires existe, mais elle n’a pas encore été totalement mise en place. Nos collègues de la FEB n’arrêtent pas de dire que c’est la cata dans les grandes entreprises, mais je pense que le débat serait un peu plus serein si l’on reconnaissait qu’il y a aussi des secteurs où, effectivement, il y a des surprofits. Nous sommes, là encore, dans des paradoxes. De même, nous avons des pénuries de main-d’oeuvre, un débat sur la limitation des allocations de chômage dans le temps est audible en Belgique en 2022, mais en même temps, les chiffres du chômage s’améliorent quand même.

Dans ce domaine salarial, d’une entreprise à l’autre, les messages sont contradictoires. Cela tire dans tous les sens ! C’est pour cela que notre position, aujourd’hui, est franchement difficile. Je pense que l’on doit revenir à des fondamentaux. Premièrement, travailler doit être davantage récompensé que le fait de ne pas travailler. Deuxièmement, il faut aider les chefs d’entreprise à avoir une vision pérenne de leur société, même s’il faut faire des modifications sur leur business modèle.

Mais au-delà de ces messages contradictoires, il y a beaucoup pessimisme. Dans notre dernier sondage, qui date du mois de juin, beaucoup de membres nous disent qu’ils n’ont qu’un mot en tête, c’est le licenciement. Avec l’augmentation des coûts et les pénuries de matières premières, quatre sondés sur dix nous disaient qu’ils conjugueraient ce verbe ‘licencier’ au futur très proche. Et six sur dix ajoutent que leur problème, c’est qu’ils ne disposent pas des liquidités pour procéder à ces licenciements. Cela signifie une cessation de paiement et une faillite inéluctable.

Nous devrons limiter l’impact des licenciements. Moi, mon objectif, c’est que le travailleur malheureusement licencié reçoive son indemnité le plus rapidement en poche. Par contre, on pourrait imaginer un délai ou une exonération temporaire les cotisations sociales sur l’indemnité de licenciement si cela permet de sauver d’autres emplois.

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