Les conséquences du Brexit pour la Belgique et l’UE

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Les entreprises belges ont exporté l’an dernier vers la Grande-Bretagne pour 31 milliards d’euros. Si leurs clients devaient sortir du marché unique, cela changerait considérablement la donne.

Ne vous fiez pas à l’image insulaire : l’économie britannique n’est pas coupée du continent et moins encore de la Belgique. La Grande-Bretagne est en effet le quatrième partenaire commercial de la Belgique, juste après nos voisins immédiats. Les exportations vers ce pays connaissent en outre une belle croissance ces dernières années, croissance portée par le matériel de transport, la chimie et la pharmacie.

Tout cela peut-il s’effondrer avec la victoire du leave, ce 23 juin ? De nombreux analystes ont tenté d’évaluer l’impact économique d’un Brexit. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) figure parmi les plus pessimistes en pointant un ralentissement de la croissance de près de 1 % en Europe et carrément de 3 % en Grande-Bretagne. L’assureur-crédit Eurler Hermes est plus mesuré avec un impact négatif de 0,4 à 0,6 % sur la croissance dans l’Eurozone. Malheureusement pour nous, la Belgique serait parmi les pays les plus touchés (après les Pays-Bas et l’Irlande) et subirait un ralentissement de 0,7 à 1 %, avec une chute des exportations de 2,6 milliards d’euros. “Même si l’impact devait se limiter à 0,1 ou 0,2 %, cela s’ajouterait à une croissance déjà peu dynamique”, souligne le commissaire au Plan Philippe Donnay. Quand on plafonne entre 1 et 1,5 %, un petit dixième de plus ou de moins, cela pèse effectivement dans la balance.

Les conséquences du Brexit pour la Belgique et l'UE
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Un référendum et deux ans d’incertitude

Ces chiffres reposent toutefois beaucoup sur une forme d’intuition. Deux années de négociations sont prévues pour déterminer les modalités de sortie, les règlementations, les droits et obligations de chacun. Exemple de “petit détail” amusant à régler : qu’adviendra-t-il des parts de la Grande-Bretagne dans la Banque centrale européenne ? Et si elle reprend ses billes, reprendra-t-elle aussi sa part des dettes grecques ?

Bref, ça va discuter ferme pendant deux ans. Avec sans doute un peu de rancoeur au départ et une volonté de la Commission de créer un exemple pour éviter que d’autres pays ne se laissent tenter par la porte de sortie. “Durant ces discussions, la Belgique pèsera un poids assez faible, craint Philippe Donnay, alors que nous supporterons les conséquences d’un Brexit bien plus lourdement que d’autres.” Sur le coup, une alliance Benelux serait très utile…

Ces deux années de négociation pourraient s’avérer plus dramatiques pour l’économie européenne que l’accord qui en sortira, quel qu’il soit. “L’économie a horreur de l’incertitude, confirme Bernard Keppenne, chief economist chez CBC. Nous le voyons déjà aujourd’hui avec la pression sur la livre. En cas de Brexit, les entreprises reporteraient sans doute des décisions d’investissement avant d’y voir plus clair.” “Je ne vois pas une entreprise qui ne se pose pas de questions sur ses investissements futurs, confirme Thomas Spiller, président de la Chambre de commerce britannique en Belgique. Même en cas de maintien dans l’Union, ce que nous souhaitons, l’interrogation subsiste : l’Europe repartira-t-elle sur un business as usual ou d’autres pays demanderont-ils des clauses particulières, comme la Grande-Bretagne en a obtenues ? C’est un autre facteur d’incertitude qui pèse sur l’économie européenne.”

Le retour des droits de douane ?

En dépit de cet horizon incertain, observons quelques conséquences prévues d’un Brexit. D’un point de vue très terre à terre, il y aurait le départ d’eurocrates britanniques qui vivent et consomment à Bruxelles. Cela peut avoir un impact sur l’économie de la capitale mais, en termes de PIB, on reste dans l’anecdotique à moins d’un important effet d’entraînement à la baisse dans l’immobilier.

Au-delà, la première interrogation concerne bien entendu les exportations. “A court terme, il y aura peut-être un peu d’attentisme mais, très vite, les flux commerciaux installés depuis des siècles entre l’Angleterre et le continent vont reprendre”, répond avec optimisme Pascale Delcomminette, directrice de l’Agence wallonne à l’exportation (Awex). La question est plutôt : ces flux reprendront-ils sous les mêmes conditions ? La sortie du marché unique implique une négociation sur les futures règles douanières, tarifaires, réglementaires et autres, comme c’est le cas avec les Etats qui ne sont pas membres de l’Union. Il existe alors une taxe à l’entrée sur le marché unique. Elle est modulée selon les produits et les pays. C’est clairement du sur-mesure, qui dépend de la négociation bilatérale. Souvent, on parvient à s’accorder sur un taux zéro mais le taux effectif moyen est de 2 % pour les produits manufacturés et de 2,48 % pour les produits pharmaceutiques, le secteur numéro 1 des exportations wallonnes…

La pression attendue sur la livre sterling en cas de Brexit pourrait aussi infléchir les échanges entre le Royaume-Uni et le continent. “Les prix vont monter un peu pour les entreprises et/ou pour les consommateurs, mais je ne pense pas que cela aura un impact gigantesque sur l’économie et sur les exportations”, relativise Geert Gielens, chief economist chez Belfius.

Les Britanniques, qui n’ont eu de cesse de pester contre les réglementations diverses qui entravent le libre-échange, ne devraient pas non plus se muer du jour au lendemain en champions des tracasseries administratives. “Ils ont un besoin vital de ces échanges, je ne vois pas comment ils pourraient mettre en place des mesures protectionnistes”, estime Pascale Delcomminette. C’est d’autant plus vrai que les chaînes de production sont très intégrées. Il y a, dans les exportations belges, pas mal de composants importés de Grande-Bretagne et d’ailleurs (80 % de nos exportateurs utilisent des produits importés). Personne n’a donc intérêt à ce que de telles chaînes internationales ne soient brusquement coupées.

Introduisons ici un petit bémol belge : quand vous expurgez du calcul les étapes d’import-export sans réelle valeur ajoutée dans le pays (un bien intermédiaire est simplement inséré dans la chaîne de production), quel est le secteur économique qui présente la balance commerciale la plus positive avec le Royaume-Uni ? L’alimentation. Avec un gain net de 1,2 milliard en 2015, elle drible les transports, l’industrie du plastique, la pharma et les autres. Or, s’il existe un secteur friand de normes réglementaires, c’est bien celui-là (n’est-ce pas l’Afsca ? ). Qui plus est, l’Angleterre aura sans doute envie de protéger ses producteurs qui n’auront plus accès aux subsides de la politique agricole commune. “En cas de Brexit, nous aurons donc intérêt à tenir à l’oeil le sort du secteur de l’alimentation”, résume Geert Gielens.

Sièges sociaux : Bruxelles plutôt que Londres ?

A côté des exportations, il y a l’accueil des investisseurs étrangers. L’an dernier, les investissements directs de Britanniques en Belgique s’élevaient à 4,4 milliards d’euros, selon la BNB. Le baromètre annuel de l’attractivité de la Belgique, réalisé par E&Y, avait montré l’an dernier une nette accélération du nombre d’investissements britanniques dans notre pays : avec 18 dossiers, ils réalisent leur meilleur chiffre en 10 ans et rejoignent l’Allemagne et les Pays-Bas sur le podium (derrière les Etats-Unis et la France). Il n’y a a priori aucune raison qu’un Brexit freine ces flux ou ne pousse des groupes comme GSK, Shanks, Mc Bride ou autres à retirer leurs billes de notre pays.

Au contraire : des groupes actifs en Grande-Bretagne pourraient si pas délocaliser, à tout le moins privilégier le continent pour de futurs investissements afin de disposer d’une implantation au sein du marché unique. La Belgique et Bruxelles en particulier disposeraient alors de beaux atouts pour attirer des entreprises actives dans les services, la consultance, le droit… C’est nettement moins vrai dans l’industrie. ” Avec les prix de l’énergie et de la main-d’oeuvre chez nous, je ne vois pas quelle carte nous pourrions jouer dans ce cadre, explique Bernard Keppenne. Soixante pour cent des voitures produites en Grande-Bretagne sont exportées dans l’Union. Si certaines usines sont délocalisées, ce sera plutôt vers des pays comme l’Espagne, la Pologne ou la Tchéquie.” Une telle évolution aurait un impact négatif sur l’activité de nos ports.

L’un des moteurs de l’économie britannique est localisé à la City. “Beaucoup de banques non européennes y sont installées et utilisent ensuite le passeport européen, rappelle Geert Gielens. En cas de Brexit, elles risquent de chercher un autre port d’attache. La Belgique n’a toutefois pas grand-chose à espérer ici, au contraire de Francfort et Paris, voire Amsterdam. “Il faudra voir aussi si le gouvernement britannique, très critique envers la régulation européenne, n’en profiterait pas pour assouplir les règles à Londres afin de capter une partie de l’activité financière, nuance Philippe Donnay, qui juge par ailleurs la City suffisamment forte pour résister seule. Il ne serait pas exclu, dans ces circonstances, que des sièges sociaux de multinationales basculent vers Londres.”

Cela ne ferait que s’inscrire dans une tendance bien réelle puisque le Royaume-Uni était déjà la destination favorite pour l’installation d’un siège social en Europe dans le dernier baromètre de l’attractivité réalisé par E&Y. Si les prescrits européens devaient, au contraire, pousser les entreprises à implanter leur siège social au sein de l’Union, Bruxelles aurait une belle carte à jouer. C’est le pari de la secrétaire d’Etat bruxelloise au commerce extérieur, Cécile Jodogne (DéFI). “Londres est un concurrent direct de Bruxelles, notamment pour attirer des investisseurs indiens ou chinois qui y pensent spontanément pour implanter un QG européen. En cas de Brexit, Londres perdra forcément de l’attractivité. Bruxelles sera alors en bonne place pour les accueillir. ”

L’Ecosse et l’effet domino

Enfin, il faudra mesurer l’impact politique d’un Brexit. D’une part sur le fonctionnement même des institutions et leurs priorités d’action. ” L’Angleterre, c’est la locomotive pro-business au sein de l’Union européenne, estime Thomas Spiller. C’est elle qui se bat pour modérer les réglementations. Le monde des entreprises en a donc besoin au sein de l’Europe.”

D’autre part, sur le comportement des autres pays. On l’a vu, certains pourraient exprimer aussi des velléités de départ. Mais, le risque existe aussi au sein du Royaume-Uni. Il est parfaitement envisageable que l’Ecosse refuse le Brexit et choisisse la voie de l’indépendance pour rester membre de l’Union. “Il faudrait sans doute gérer ensuite d’autres demandes, celle de la Catalogne par exemple, redoute Bernard Keppenne. Cela conduit à des interrogations sur le positionnement des régions. Et, bien entendu, nous pensons alors à la Belgique.” “Une nouvelle période d’incertitude – celles que l’économie n’aime pas – s’ouvrirait alors pour l’Europe, ajoute Philippe Donnay. Avec l’intégration économique et monétaire, on avait voulu diminuer les primes de risque dans le commerce européen. Tout cela risque d’être mis à mal.”

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