Les années Trump: la leçon du Haut-Karabakh

Manifestation en faveur du Haut- Karabakh, octobre 2020. N'importe quel autre président américain se serait efforcé de prévenir la guerre dans le Caucase par tous les moyens possibles. © photos: Getty Images

Les Etats-Unis ont commencé à se replier sur eux-mêmes du temps de Barack Obama. Mais le slogan “America First” cher à Donald Trump a renforcé la probabilité de conflits à divers endroits de la planète.

Il y a 15 jours, affirme le président russe Vladimir Poutine, près de 5.000 personnes, des militaires pour la plupart, avaient été tuées depuis l’entame des hostilités au Haut-Karabakh, fin septembre. Les tirs de mortier y sont légion, et les drones turcs sillonnent le ciel avant de faire exploser leurs cibles au sol et de filmer la destruction, ensuite mise en ligne sur YouTube. Ce conflit est bien plus qu’une simple guéguerre dans un trou perdu: il implique de grandes puissances et pourrait dégénérer en véritable bain de sang.

Le Haut-Karabakh est une enclave très disputée, peuplée d’Arméniens (chrétiens) majoritairement. Détaché de la république (musulmane) d’Azerbaïdjan au moment du démembrement de l’Union soviétique, il a été annexé à l’Arménie, qui en a profité pour s’approprier une bonne partie du territoire de l’Azerbaïdjan à l’issue d’une guerre qui s’était soldée par des dizaines de milliers de morts et le déplacement d’un million de civils.

Malgré le cessez-le-feu de 1994, plusieurs flambées de violence ont été observées depuis, dont celle-ci, la plus meurtrière à ce jour. Les Azerbaïdjanais tentent une fois de plus de reprendre possession de leur territoire par la force. La Russie a conclu un accord de sécurité collective avec l’Arménie. La Turquie soutient l’Azerbaïdjan, dont la population est ethniquement et culturellement proche. Le président turc Recep Tayyip Erdogan voit dans ce conflit l’occasion de se positionner en leader régional et musulman, un rôle qu’il endosse déjà en Syrie et en Libye. La Russie a laissé faire jusqu’à présent, mais pourrait bien revoir sa position. L’Iran, qui a des frontières communes avec les deux belligérants et abrite une importante minorité azérie, risque de se trouver impliqué. Et comme si cela ne suffisait pas, les gazoducs qui transportent le gaz de la mer Caspienne longent pour ainsi dire les lignes de front.

Sous la présidence de Donald Trump, les Etats-Unis ont négligé l’effort de longue haleine de maintien de la paix.

Grain de sable

Un début de solution a été esquissé par des puissances étrangères il y a un peu plus d’une dizaine d’années. Le Haut- Karabakh devra obtenir le statut de région autonome légalement garanti, dans l’attente d’une décision définitive basée sur un référendum. En contrepartie, l’Arménie devra restituer les territoires azerbaïdjanais annexés au début des années 1990 et ne pourra conserver qu’un étroit corridor la reliant au Haut-Karabakh. Bien que ces principes aient été entérinés par les deux gouvernements concernés, aucun d’eux n’est disposé à accepter un quelconque compromis à l’heure actuelle.

Les mécanismes permettant de régler ce genre de crise semblent s’être enrayés, au grand dam de tous. Le coronavirus est un des grains de sable qui se sont glissés dans le processus. En temps normal, des négociateurs revêtus de leurs plus beaux atours de gardien de la paix, ainsi que des représentants des pays concernés, auraient été dépêchés en grand nombre afin de rétablir la confiance au niveau local et régional. Mais la pandémie ne facilite pas la diplomatie douce, dans les zones de conflit.

Reste que le plus gros grain de sable est en fait l’absence de leadership mondial. L’Amérique et la Russie, qui avaient contribué à l’instauration du cessez-le-feu de 1994, ont toujours veillé à apaiser les tensions. L’Amérique a commencé à se replier sur elle-même du temps de Barack Obama. Si sous la présidence de Donald Trump, elle a, dans l’intérêt de sa situation domestique, favorisé l’amélioration des relations entre les dirigeants arabes et Israël, elle a carrément négligé l’effort de longue haleine, plus ingrat, de maintien de la paix. N’importe quel autre occupant de la Maison-Blanche se serait efforcé de prévenir la guerre dans le Caucase par tous les moyens possibles mais Donald Trump s’est désintéressé de la question, avant, pendant et après sa contamination par le Covid-19. La Turquie est pourtant un allié de l’Otan, forum qui, dans le passé, aurait pu empêcher Recep Tayyip Erdogan de s’immiscer dans les affaires d’un autre pays et contraindre les belligérants à déposer les armes.

Posture distraite

Autrefois, la Russie aurait elle aussi tout fait pour brider le président turc mais à l’instar de Donald Trump, Vladimir Poutine est trop préoccupé par ses problèmes domestiques pour tempérer les ardeurs machiavéliques de l’homme fort d’Ankara. En fait, tout ce qui peut creuser un peu plus le fossé entre la Turquie et ses alliés de l’Otan est considéré d’un bon oeil par le Kremlin.

Les conflits larvés sont légion de par le monde. Nombreux sont les endroits qui ne sont pas en guerre mais où les tensions sous-jacentes n’ont pas été résolues, où les doléances historiques ou territoriales sont bien réelles. Or le problème des conflits larvés, c’est qu’ils peuvent s’embraser à tout moment. Dans un monde où la superpuissance démocratique n’adopte qu’une posture distraite, voire brille par son absence, la prévention des conflits armés est devenue quasi impossible.

Un article de The Economist.

Un monde peuplé de losers

Revenge politics. C’est une nouvelle mode, lancée par les personnalités, multiples, qui ont été évincées de la Maison-Blanche par son irascible occupant et qui, pour se venger, écrivent des brûlots politiques. Le dernier est celui du sulfureux John Bolton. L’ancien conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump s’y répand pour dire tout le mal qu’il pense de son dernier employeur.

John Bolton et son dernier employeur, qu'il juge tout simplement inapte à la présidence...
John Bolton et son dernier employeur, qu’il juge tout simplement inapte à la présidence…© photos: Getty Images

Dans The room where it happened, une compilation de notes à la lecture parfois fastidieuse, John Bolton confirme les nombreux soupçons qui avaient conduit à lancer une procédure de destitution contre le président Trump, qui aurait monnayé l’aide militaire américaine à l’Ukraine contre le lancement d’une enquête pour corruption mettant en cause Joe Biden, son concurrent démocrate aux élections présidentielles.

John Bolton affirme également que Donald Trump envisageait d’intervenir dans des enquêtes criminelles pour s’attirer les faveurs de dictateurs étrangers. Et le président américain, qui en façade affichait une farouche détermination contre Pékin, aurait, en coulisse, négocié avec la Chine pour casser son embargo contre les produits agricoles américains. Un embargo qui avait été la réponse chinoise aux mesures prises par les Etats-Unis, mais qui était néfaste à l’image de Trump dans les principaux Etats agricoles américains.

John Bolton décrit Donald Trump comme un personnage inapte à la présidence, incapable de se concentrer, de lire les dossiers qu’on lui présente, dont les décisions sont avant tout dictées par l’intérêt personnel, et dont la vision du monde repose sur la distinction entre les gagnants d’un côté et les perdants, les losers, de l’autre.

P.H.T.

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