Le Smart Gastronomy Lab prépare la cuisine du futur

Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

A Gembloux, le Smart Gastronomy Lab de l’ULiège propose une vision à 360° de l’innovation alimentaire, soit une approche multidisciplinaire qui associe gastronomie, technologie, santé et art de la table. Illustration, entre autres, avec notre expérience de repas connecté, dans un restaurant expérimental qui sera bientôt ouvert au public.

Le futur de la gastronomie ne semble pas avoir choisi la voie des super pilules qui concentrent l’ensemble des besoins nutritionnels d’un individu. Ni celles des restaurants où les robots remplaceraient cuisiniers et serveurs… L’alimentation, en effet, reste une expérience très personnelle, intime. “La technologie peut apporter beaucoup de progrès mais l’humain reste au centre de l’innovation”, confirme Dorothée Goffin, cofondatrice et directrice du Smart Gastronomy Lab.

Allier technologie et nourriture ne va pas de soi. “Cela peut faire peur”, concède la directrice de cette structure consacrée à l’alimentation au sens large du terme, dépendant de l’ULiège et installée sur le campus de la faculté de Gembloux Agro- Bio Tech. “Apporter de la technologie tout en proposant par exemple plus de naturalité dans l’assiette, cela provoque comme un choc des cultures”, poursuit Dorothée Goffin. L’une et l’autre seraient-elles donc incompatibles? Bien sûr que non. La preuve, notamment, avec les recherches actuelles du Smart Gastronomy Lab sur les procédés de fermentation. “A la base, c’est un procédé que nos grands-mères réalisaient de façon tout à fait intuitive, illustre la directrice. On testait, on goûtait et soit c’était bon et on le mangeait, soit on recommençait.”

La fermentation au cOEur des recherches actuelles du
La fermentation au cOEur des recherches actuelles du “lab” Filet de dorade en cuisson douce sur purée de butternut et sauce au thé fermenté.

Grâce à la technologie et aux recherches scientifiques, le Smart Gastronomy Lab maîtrise aujourd’hui les différents types de fermentation, proposant même des nouveaux produits alimentaires comme le hakko sobacha, infusion de graines de sarrasin torréfiées. La technologie a permis de mesurer les transformations appliquées aux aliments, ce qui ne coulait pas forcément de source. “A priori, la fermentation n’est pas un processus industrialisable mais grâce à la science, nous sommes passés d’une tradition à un protocole maîtrisé.”

Repas connecté

Edifié l’an dernier, inauguré en octobre, le nouveau bâtiment du Smart Gastronomy Lab accueille un laboratoire, une cuisine (ou plutôt un cooking-lab) et bientôt un restaurant, que nous avons visité. Dans ce dernier, une grande table est dressée au milieu d’une salle. Une belle nappe, des assiettes noires, des couverts, des verres: au premier regard, rien d’extraordinaire. Mais à y regarder de plus près, on repère des boîtiers disposés près des assiettes et reliés à celles-ci par un fin câble. Et sur ces assiettes, un petit socle gris se révèle une sorte de balance, bourrée de capteurs. Nous voici attablés pour un repas “connecté”…

La fermentation au cOEur des recherches actuelles du
La fermentation au cOEur des recherches actuelles du “lab” Steak de champignon avec brunoise de légumes lacto-fermentés frits.

“Lors du repas, les capteurs enregistrent les poids, les forces et les mouvements qui sont imprimés à l’assiette”, explique Charles Borreux, doctorant et chef de projets sur les outils connectés du Smart Gastronomy Lab. Ces capteurs analysent la manière avec laquelle un individu va piquer et couper ces aliments, lesquels il va manger en premier. Ils déterminent le rythme des bouchées, la durée du repas, les quantités ingurgitées. Le tout est analysé par un algorithme qui mesure ces variables pour caractériser le repas et ce que l’on mange effectivement.

Ces assiettes connectées sont l’un des premiers exemples de ce qu’on appelle la food 4.0 (en référence à l’industrie 4.0) proposés par ce laboratoire, cofondé par le professeur Eric Haubruge et la docteure Dorothée Goffin. Celui-ci est l’un des deux living labs wallons, soit un espace d’interactions entre le monde de l’entreprise, la société et les chercheurs. Ce n’est ni une spin-off, ni une ASBL mais un labo universitaire qui a réussi à s’intégrer dans l’écosystème d’accompagnement des entreprises.

“Un living lab, c’est un espace d’innovation où l’on fait de la création collective, du prototypage, des tests en conditions réelles. L’utilisateur est au centre de la démarche, de l’émergence de l’idée jusqu’aux tests”, précise Dorothée Goffin. L’avantage de cette démarche est d’obtenir un retour direct, ce qui permet de rectifier rapidement un procédé et d’être ainsi plus efficace que dans la recherche et développement classique où l’on teste tout à la fin du processus. “Intégrer l’utilisateur final dans nos recherches permet d’être sûr que ce que l’on développe est en cohérence avec ses besoins, on ne veut pas lui créer un besoin mais y répondre…”

La fermentation au cOEur des recherches actuelles du
La fermentation au cOEur des recherches actuelles du “lab” Cocktail sans alcool réalisé à partir de thé fermenté kombucha et de cannelle.

Restaurant expérimental

Le restaurant à vocation expérimentale qui s’ouvrira au grand public proposera ainsi des assiettes gastronomiques haut de gamme, et des versions lunch à midi. Il permettra de reproduire, à taille humaine, le parcours d’un produit, de la transformation à la consommation, et de l’étudier à chaque étape. “Une cuisine et un restaurant, c’est un peu comme une mini-industrie: d’un côté, on a la chaîne de production et, de l’autre, le marché des consommateurs”, illustre la cofondatrice.

“Le prototype d’assiette connectée présenté ici est la version à destination des restaurants”, explique Dorothée Goffin. Mais une première version a déjà été développée sous forme de plateaux connectés à destination des maisons de repos afin de prévenir la dénutrition et la malnutrition chez les personnes âges. Pour le présent prototype, le design et l’ergonomie doivent encore être optimisés afin que les outils connectés soient les plus discrets possibles et n’induisent pas de biais. L’assiette n’a donc pas encore été testée dans des conditions réelles. A terme, l’analyse des données par les capteurs sous les assiettes devrait toutefois permettre aux restaurateurs de comprendre les besoins et les choix parfois inconscients de leurs clients. Grâce aux capteurs, il est en effet possible d’identifier quel aliment est privilégié par le client dans son assiette, mais également d’adapter les proportions si nécessaires. “Les données peuvent mettre en évidence d’éventuels gaspillages, poursuit la directrice. En fonction de ces résultats, le chef pourrait donc adapter son menu, ses commandes et ainsi réaliser quelques économies.”

Assiette connectée Ce prototype est développé par la start-up Nutrition Owl et permet de mesurer Les facteurs déterminant d'un repas.
Assiette connectée Ce prototype est développé par la start-up Nutrition Owl et permet de mesurer Les facteurs déterminant d’un repas.

D’autres outils ont également été mis au point au Smart Gastronomy Lab, comme les couverts connectés qui, en plus de repérer certains problèmes liés à la nutrition, peuvent également identifier d’autres pathologies comme les tremblements. Des verres connectés sont également développés. “Par l’inclinaison du liquide dans les verres, il est possible de suivre le niveau d’hydratation d’une personne et les phénomènes de déglutition”, ajoute Dorothée Goffin.

Si ces innovations concernent principalement le service aux consommateurs, les cuisines ne sont pas cependant oubliées puisque le Smart Gastronomy Lab travaille aussi à des capteurs environnementaux. Ceux-ci permettent de mieux suivre la consommation énergétique afin de limiter au maximum le gaspillage tant en matière d’électricité, d’eau que de produits alimentaires.

Gestion des déchets, choix des ingrédients, méthode de conservation, comportement des consommateurs… Ici, chaque donnée récoltée a pour ambition de rendre l’alimentation plus durable, plus responsable mais aussi personnalisable. “La pyramide alimentaire est dépassée, explique la directrice. Chaque consommateur a des besoins spécifiques adaptés à son âge et son activité.”

Service aux entreprises

Le Smart Gastronomy Lab consacre aussi une part de son activité à différents services aux entreprises. D’une part, du coaching à destination des entrepreneurs du secteur de l’alimentation et de la cuisine afin de les accompagner dans le prototypage de leurs recettes et produits. D’autre part, des ateliers organisés afin d’assurer le partage et le transfert de compétences issues de l’analyse et de la maîtrise de nouvelles tendances alimentaires.

Depuis 2015, plus de 200 entrepreneurs ont été accompagnés, dont la start-up Yuma, qui propose des crackers à base de farine d’insectes, ou encore Ecopoon, qui met au point des couverts comestibles. Le Smart Gastronomy Lab est également à l’origine de La Miam Factory, start-up qui imprime des aliments en 3D. Deux autres entreprises sont en cours de création, notamment Nutrion Owl, à l’origine des plateaux connectés.

Le living lab se caractérise aussi par son approche pluridisciplinaire puisque celui-ci regroupe des scientifiques (la directrice est ingénieur chimiste et docteur en sciences agronomiques et ingénierie biologique) mais aussi des experts en nouvelles technologies, des designers, des grands chefs, des nutritionnistes, etc.

L’objectif global? Favoriser le mieux-manger et innover pour mieux nourrir la planète. “Certes, le consommateur est à la recherche de plus de naturalité des produits mais pour cela, il faut changer l’ensemble du système”, insiste Dorothée Goffin. Que ce soient les processus de production, l’approvisionnement des aliments, leur transformation et la distribution… il faut adapter toute la chaîne et aider les entreprises à intégrer ce changement.”

200 entrepreneurs

ont été accompagnés par le Smart Gastronomy Lab depuis 2015

DOROTHÉE GOFFIN
DOROTHÉE GOFFIN© pg / JEAN-LOUIS WERTZ

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