“Le risque, c’est qu’on ne produise plus du pain que dans les pays de l’Est”

Le prix du pain a notamment fortement augmenté.
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Albert Denoncin, président de la Fédération francophone de boulangerie-pâtisserie, met en garde contre le risque de disparition des artisans en raison de la hausse de l’énergie, de la farine, du sucre… Il espère une réaction politique, enfin.

Albert Denoncin est président de la Fédération francophone de boulangerie-pâtisserie. Avec la crise de l’énergie, il s’inquiète de la disparition de nombreuses boulangeries artisanales. Et espère que le monde politique va enfin entendre concrètement ses appels à l’aide.

On entend des boulangeries disparaître, quel est l’état de votre secteur?

Effectivement, beaucoup de boulangeries sont en grande difficulté, c’est très clair. Quelles sont les entreprises capables d’absorber des factures d’énergie multipliées par trois ou par quatre? Des boulangeries augmentent évidemment le prix, mais avec le risque de rentrer dans un cercle vicieux: on fait fuir le client qui risquent de se tourner vers des grandes surfaces qui proposent le pain à 1,59 euros alors que la moyenne wallonne tourne autour de 2,5 euros. Certains passeront le cap avec des marges en forte baisse, mais il y a des boulangeries qui n’ont pas d’autre choix que de fermer.

On découvre que votre activité est intense en énergie…

Oui, c’est sans doute une des professions artisanales qui consomment le plus d’énergie. Nous avons des fours qui tournent en permanence à 250°, c’est-à-dire au moins huit heures par jour. A cela s’ajoute la nécessité de chauffer l’atelier: avant, ce n’était pas nécessaire, mais les fours étant de plus en plus isolés, on est obligé de le faire pour que la pâte lève. Et il y a les réfrigérateurs, les chambres de refroidissement…

Qu’espérez-vous du monde politique?

Notre inquiétude commence à être entendue. Nous avons été reçus par le Premier ministre, Alexander De Croo (Open VLD), et le ministre wallon de l’Economie, Willy Borsus (MR). On sent que la fermeture de quelques entreprises a provoqué un choc. Depuis, nous avons été consultés de manière plus fine par des responsables de leurs cabinets au sujet de nos coûts.

Voilà pourtant plus de six mois que nous avons alerté le monde politique sur la difficulté de la situation. J’avais déjà écrit le 10 février pour m’inquiéter des hausses de prix. Jusqu’ici, il n’y a eu aucune réaction concrète. Nous ne sommes pas dans la chasse aux primes, vraiment pas. Quand on nous dit qu’il y a le droit-passerelles, cela ne nous intéresse pas: nous voulons continuer à travailler. De même, les reports de charge, c’est bien beau, mais cela ne fait que reporter le problème.

Votre produit est pourtant vital…

Pendant la crise du Covid, nous avons été reconnu comme un métier essentiel. Nous avons fait des pieds et des mains pour poursuivre notre activité dans des conditions difficiles. Notre métier est très spécifique: faire du pain, c’est tous les jours, il n’est pas question de reporter quoi que ce soit.

Aujourd’hui, la situation est vraiment très compliquée. J’ai été boulanger pendant 43 ans et je n’ai jamais connu ça. En plus de l’énergie, le prix de la farine a doublé, celui du sucre aussi, le beurre a augmenté de 40%. Et ces hausses ont débuté au mois de novembre de l’année dernière. A un moment, cela devient difficile de tenir.

En outre, je l’ai dit au Premier ministre: ce n’est que le début parce que certains arrivent au terme de leur contrat fixe pour l’énergie ou la farine. Lui-même mettait en garde contre le fait que la situation durerait cinq ans, certains parlent de dix ans. Comment voulez-vous faire?

Si on ne fait rien, les artisans boulangers vont disparaître. Le risque, c’est qu’un secteur entier disparaisse chez nous, comme les masques avant le Covid, et qu’on ne produise plus du pain que dans les pays de l’Est. Je ne veux pas être polémique, c’est évidemment important de soutenir l’Ukraine, mais certains commencent à se demander si on est prêt à en payer le prix…

Qu’attendez-vous, concrètement?

Nous réclamons des aides le plus rapidement possible, pas dans deux ou trois mois, ce sera trop tard. Nous attendions les mesures de plafonnement des prix au niveau européen, mais on ne voit rien venir. Nous avions proposé que les boulangers puissent au moins bénéficier du tarif social, mais on nous a laissé entendre que ce n’était pas possible. Nous espérons désormais que les récents signaux que l’on entend se concrétisent: on veut atterrir!

La médiatisation des difficultés vécues par certains collègues a sans doute mené à une prise de conscience de notre situation.

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