Le département de la Sécurité intérieure a-t-il été un jouet entre les mains de Donald Trump?

Portland, juillet 2020 - Jamais encore un président n'avait osé déployer des forces paramilitaires contre la volonté d'un gouverneur d'Etat, comme Trump l'a fait en Oregon pour réprimer les manifestations organisées par le mouvement Black Lives Matter. © GETTY IMAGES

Culture institutionnelle superficielle, déploiement de force… Durant quatre ans, le département de la Sécurité intérieure (DHS) a-t-il été un jouet entre les mains de Donald Trump? Cet organe – qui compte un contingent de 60.000 fonctionnaires et agents au service direct du Président – est en tout cas contesté, la gauche ayant réclamé sa suppression pure et simple.

George W. Bush et Barack Obama ont chacun été secondés par trois secrétaires du département de la Sécurité intérieure (en anglais Department of Homeland Security ou DHS) durant leur double mandat de huit ans. Soit deux secrétaires confirmés par le Sénat et un secrétaire par intérim entre les deux. Donald Trump, lui, en a totalisé cinq en moins de quatre ans. La dernière secrétaire confirmée par le Sénat, Kirstjen Nielsen, a donné sa démission en avril 2019, poussée dans le dos par Donald Trump qui lui reprochait de “manquer de fermeté” et de “ne pas avoir la tête de l’emploi”.

Ce président n’a pas hésité à se targuer de son pouvoir discrétionnaire pour en faire un usage à tout le moins discutable.”

Paul Rosenzweig, ex-secrétaire général adjoint au DHS

Auparavant, elle avait oeuvré en qualité de chef de cabinet du précédent secrétaire approuvé par le Sénat, John Kelly, promu chef de cabinet de Donald Trump et que le président avait qualifié de “complètement lessivé” et donc “incapable d’assumer sa fonction”. L’ancien lobbyiste Chad Wolf avait endossé la charge de secrétaire à la Sécurité intérieure pendant plus de 300 jours conformément à la loi fédérale, en remplacement d’un autre secrétaire ad interim, Kevin McAleenan, qui a démissionné non sans avoir dénoncé le “ton (et le) message” de la politique migratoire du président. Donald Trump n’a pas semblé enclin à remplacer Chad Wolf, les secrétaires ad interim, dixit le président, lui assurant “une plus grande flexibilité”. Durant son mandat, en effet, rares furent les ministères qui poursuivirent ses objectifs politiques avec autant de flexibilité et d’acharnement que le DHS.

Créé à la suite des attentats du 11 Septembre et opérationnel depuis 2003, le département de la Sécurité intérieure est le dernier-né des 15 ministères américains. Contrairement aux autres, il n’a pas de véritable culture institutionnelle. Instauré pour renforcer la défense américaine contre les attaques terroristes, les catastrophes et autres menaces de grande ampleur, il englobe le Service des douanes et de la protection des frontières, l’Agence fédérale de gestion des urgences, l’Immigration et l’Application des douanes, l’Administration de la sécurité des transports et les services secrets. Avec ses 60.000 fonctionnaires et agents, le DHS est le plus grand ministère fédéral américain chargé de l’application de la loi.

Agences tous risques

Comme à tous les autres ministères, le président en fonction impose ses priorités. La première mission du DHS, stipulée dans l’acte du Congrès de création dudit département, a été de “prévenir les attaques terroristes aux Etats-Unis”. Paul Rosenzweig, ex-secrétaire général adjoint pour la politique au DHS et actuel maître de conférences au R Street Institute, un groupe de réflexion, rappelle que George Bush organisait des “Terrorism Tuesdays” au cours desquels les hauts responsables lui faisaient part des possibles menaces. L’atténuation des menaces d’al-Qaida sous la présidence de Barak Obama a permis au ministère de se focaliser sur la cybersécurité et l’immigration. Comme dit Carrie Cordero du Centre for a New American Security, le DHS est en réalité “une agence tous risques”.

Donald Trump s’est intéressé de très près au DHS parce qu’il était compétent en matière d’immigration. Le ministère a appliqué quelques-unes de ses politiques les plus controversées, en ce compris la construction de plusieurs sections de mur à la frontière mexicaine, la séparation des parents migrants de leurs enfants, l’implémentation des interdictions de voyager à tout-va, le déploiement des forces paramilitaires pour mater les manifestants à Portland, dans l’Oregon, et à Washington DC. Aucune de ces missions n’outrepassait clairement l’autorité statutaire de Donald Trump. Tout président dispose en effet d’un grand pouvoir discrétionnaire pour définir et appréhender les questions de sécurité nationale.

Mais comme l’a fait remarquer Paul Rosenzweig, “ce président n’a pas hésité à se targuer de son pouvoir discrétionnaire pour en faire un usage à tout le moins discutable, peu conforme aux objectifs initialement fixés”. Ainsi, le président peu désormais déployer le Bortac, l’élite des troupes paramilitaires chargées du contrôle des frontières, pour aider le Federal Protective Service à surveiller les propriétés fédérales, comme l’a ordonné Donald Trump dans son décret du 26 juin. Mais jamais encore un président n’avait osé déployer des forces paramilitaires contre la volonté d’un gouverneur d’Etat – comme Trump l’a fait en Oregon où, dans des uniformes anonymes non identifiables, les troupes de choc ont procédé à des arrestations loin des immeubles qu’elles étaient censées surveiller — et encore moins les envoyer en mission dans des “villes sanctuaires”, de Boston à Los Angeles, dans un grand show de déploiement de force.

Tout président qui se respecte doit avoir à coeur d’assurer la sécurité des frontières et de lutter contre l’immigration illégale. Républicain dans l’âme et ancien chef de cabinet du DHS, Miles Taylor, a révélé que Donald Trump “nous avait délibérément enjoints, à de multiples occasions, à appliquer des politiques susceptibles de mutiler, aveugler par des gaz lacrymogènes, voire blesser des civils innocents non armés tentant de passer la frontière”. Dans un podcast posté sur le site conservateur d’information et d’opinion The Bulwark, le même Miles Taylor a confié que Donald Trump souhaitait un mur frontalier surmonté de piques capables de “pénétrer dans leurs mains et leurs bras, de transpercer leur chair”.

Plus rien à voir avec le 11 Septembre

Le DHS a aussi fait l’objet de maintes dénonciations sous la présidence de Donald Trump. Selon Brian Murphy, ex-responsable du service de renseignements, Chad Wolf lui a conseillé de minimiser les rapports relatifs à l’interférence de la Russie dans les élections sous prétexte qu’ils “donnaient une mauvaise image du président” (allégation démentie par le porte-parole du DHS). A en croire Dawn Wooten, infirmière au centre de détention de migrants en Géorgie, les médecins ont sous-estimé le nombre de cas Covid-19 et refusé de tester les détenus symptomatiques. Elle a même dénoncé des hystérectomies pratiquées sur des femmes migrantes détenues dans le centre, sans leur consentement (ce qu’a nié farouchement le médecin incriminé).

L’usage des services du DHS par Donald Trump a été tel que la gauche a réclamé sa suppression pure et simple, une revendication à la fois politiquement peu probable et déraisonnable au vu de la formidable réorganisation structurelle que cela impliquerait. Les démocrates pourraient donc plutôt exiger une surveillance plus étroite du Congrès, des directives opérationnelles plus transparentes et une réduction du nombre de nominations politiques plutôt que son abrogation pure et simple. Sans cela, le DHS sera encore plus à la solde du président et de ses objectifs politiques, quel qu’il soit.

Une article de The Econimist.

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