“La volatilité des prix de l’énergie devrait diminuer”
La volonté de plafonner est un signal envoyé par l’Europe aux marchés, dit Bertrand Candelon (UCLouvain). Même si le temps politique est trop lent pour l’économie. Il espère le retour des contrats fixes.
Bertrand Candelon, professeur d’économie à l’UCLouvain, analyse le contexte extrêmement incertain et décode pour Trends Tendances l’accord de principe intervenu sur l’énergie au niveau européen.
Le contexte de cette rentrée reste extrêmement incertain…
Malheureusement, depuis le Covid, on n’a pas une situation très tranquille. Quand on voit les annonces récentes des Américains selon lesquelles la Chine pourrait envahir Taïwan plus tôt que prévu, ce n’est pas de nature à rassurer. En Russie, on ne voit pas très bien comment cela va se terminer.
Il n’y a pas beaucoup de signaux positifs.
Au niveau géopolitique, je n’en vois pas. Est-ce la mise en place d’un nouveau monde? Je ne sais pas. Mais cela maintient un climat de grande incertitude. En attendant, les politiques doivent prendre des décisions.
Il y a des aides en Belgique pour essayer de tenir le cap cet hiver. L’Europe avance pas à pas sur un plafonnement dynamique du prix du gaz…
Pas à pas, en effet, c’est le mot. On peut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide.
Et vous le voyez comment?
C’est la différence entre le rythme politique et le rythme économique: nous aimerions tous que cela aille plus vite. Ce que les chefs d’Etats européens ont décidé cette nuit, c’est qu’il faudra plafonner d’une manière ou d’une autre le prix du gaz en Europe. Voilà…
De façon “dynamique”…
Oui, cela signifie que le plafonnement sera différent en fonction du prix. Mais personne n’en sait vraiment plus. L’aspect positif, c’est que tout le monde est d’accord sur l’idée.
Oui, l’Union européenne ne s’est pas divisée.
C’est positif, il faut se rappeler qu’il y a quinze jours, les Allemands étaient contre. Même Madame Von der Leyen, président de la Commission, n’était pas favorable à ce plafonnement. Il y a eu un pas vers cette perspective. Mais techniquement, ce sera tout sauf facile, notamment pour éviter les pénuries, et cela ne sera pas appliqué demain, il faudra un certain temps. En ce qui concerne les autres décisions sur les achats groupés et la solidarité du réseau européen, il n’y a rien de nouveau.
Par contre, tout cela peut avoir un impact positif sur les marchés.
Dans quel sens?
Un marché, que ce soit sur les matières premières ou financier, fonctionne selon deux facteurs. Le premier, c’est l’offre et la demande. S’il y a un pépin en Ukraine ou à Taïwan, cela ne jouera pas. Le second, ce sont les anticipations, ce qui est peut-être le plus important. La valeur d’un actif est davantage déterminée par les anticipations des investisseurs que par l’offre et la demande.
Pendant longtemps, les matières premières se trouvaient sur un marché qui ne servait qu’à produire : on avait besoin de gaz pour faire tourner une usine, on l’achetait. Depuis vingt ou trente ans, une matière première, c’est aussi un actif financier: je peux acheter derrière mon ordinateur 10000 m3 de gaz à six mois derrière mon ordinateur et je le vends la veille au marché Spot en encaissant la différence. C’est donc un actif que les investisseurs ont dans leur portefeuille comme le cacao, Volkswagen ou Tesla.
La décision européenne de mettre en place techniquement une méthode de plafonnement, c’est un signal aux marchés pour dire que dans six mois, le prix du gaz sera bloqué. Cela va limiter la spéculation – même si c’est un mot que je n’aime pas parce que tout le monde veut toujours gagner sur un marché. C’est un signal pour dire que c’en est fini des prix à 300 ou à 400. Il y aura une action européenne commune, crédible. Cela signifie que l’on devrait avoir une volatilité des prix de l’énergie qui devrait diminuer, pour se retrouver davantage autour de la valeur fondamentale.
Ce plafonnement de prix, la volonté de revoir l’indice TTF de Rotterdam, les achats groupés, ce sont donc des signaux souhaitables?
Exactement, des signaux envoyés aux marchés pour leur dire que c’est fini de rigoler s’ils exagèrent: ils vont perdre. Cela devrait limiter la spéculation. Cela vise à mettre fin à cette prophétie autoréalisatrice selon lesquelles les investisseurs misent sur une augmentation des prix. Rien qu’en communiquant, on peut changer la valeur des marchés.
Sachant que l’effet prix a déjà diminué la consommation, ce qui fait baisser les prix…
Oui, c’est la valeur fondamentale, l’effet de la loi de l’offre et de la demande. Mais les marchés, eux, peuvent anticiper. Cette décision vise à dire aux marchés que c’en sera fini du jackpot.
Pour les consommateurs, cela offre la perspective de prix moins volatiles, moins fous?
C’est la même chose. On avait annoncé un plafonnement à 180 euros le MWh, la Belgique a annoncé 130 euros, mais pour l’instant, ce prix est à 120! Ce signal diminue l’inquiétude des consommateurs, cela donne des indications aux producteurs et cela met un terme à cette prophétie autoréalisatrice. Comment cela va-t-il fonctionner concrètement? C’est autre chose. Dans notre zone, des pays comme les Pays-Bas ou la Norvège profitent pleinement de ces prix élevés.
Cela sera-t-il suffisant s’il se passe quelque chose d’autre? Rien n’est moins sûr. Mais cela donne aussi un signal à la population que quelque chose se passe.
Par ailleurs, le conclave budgétaire en Belgique a décidé des mesures, même s’il est évident que ce n’est pas suffisant, mais l’argent ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval. Des mesures additionnelles pourraient être prises, par exemple le retour des contrats fixes pour l’énergie. Moi, j’aime bien l’idée parce que cela permettre de lisser le prix et des données des perspectives à deux ou trois ans. Tant pour les ménages que les entreprises, cela permettrait de mieux programmer son budget. Peut-être que cela sera intégré dans le cadre du plafonnement des prix…
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