Paul Vacca

La Silicon Valley, in memoriam

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

C’est un journaliste américain qui, en 1971, lui donna le nom de “Silicon Valley”. Au nord de la Californie, face à la baie de San Francisco, elle n’abritait jusqu’alors que des vergers. Mais bénéficiant d’un bel ensoleillement, du rayonnement intellectuel de l’université de Stanford et du Mental Research Institute de Palo Alto, ainsi que de l’accès à l’eau permettant de purifier les composants électroniques à base de silicium, la vallée était le lieu idéal pour changer le monde. Ici, partant de rien, dans le garage de leurs parents comme ils aimèrent à le raconter, de jeunes ingénieurs ambitieux façonnèrent ordinateurs, codes, puces, disques durs, mémoires vives, disquettes et logiciels et devinrent les maîtres du monde. Ainsi naquirent Hewlett Packard, IBM, Sun Microsystems, Microsoft, Apple, etc.

Dans les années 1990, les ordinateurs, toujours plus compacts et puissants, furent même capables de communiquer entre eux via un réseau mondial que l’on appela Internet (avec une majuscule à ses débuts). Toute une nouvelle génération de conquistadors partit alors à la conquête de ces nouveaux tuyaux irrigant la planète: Yahoo! , Altavista, Netscape, etc. Une énorme bulle gonflée à l’euphorie et aux dollars – celle des “dotcoms” – éclata à la face du monde au tournant du siècle en 2000 dans un splendide krach boursier.

Sur ces décombres, une nouvelle vague d’entrepreneurs, en teeshirts et sweats à capuche, partit à l’assaut du nouveau millénaire. Ils trouvèrent le moyen de tirer profits des tuyaux rhizomiques et des algorithmes, domestiquant les ordinateurs qui tenaient désormais dans nos poches: les smartphones. Ainsi naquirent les big techs, les Gafa rejoints par Uber, Netflix, Tesla… Créant l’Olympe du business mondial aux valorisations anapurnesques quelle que soit la rentabilité de leurs entreprises.

2020 fut l’apogée de la Vallée. La pandémie, qui frappait tout le monde aveuglément, l’épargna. Mieux, ce fut même un effet d’aubaine. Les valeurs stay-at-home tutoyèrent encore les firmaments comme les fusées que les géants technologiques lançaient dans l’espace. Ils devinrent indispensables et se crurent invincibles. Mais ce fut leur chant du cygne. La réalité se rappela à eux: des pertes abyssales en Bourse faisant fondre leurs valorisations , une hémorragie d’emplois par centaines de milliers et les super-héros devinrent (presque) des êtres comme les autres.

Citons le cas Elon Musk (le premier humain à “perdre” 200 milliards de dollars en valorisation), qui acquiert Twitter dans des conditions rocambolesques et voit son mojo égratigné: la valeur de Tesla fond de plus de la moitié, ses positions trumpistes lui aliénant une grande partie de sa clientèle progressiste, celle qui achète les voitures électriques. Il y a aussi Jeff Bezos, qui voit son équation magique chahutée. D’abord un flop spectaculaire avec Alexa. Puis espérant conserver ses (maigres) marges dans la vente en ligne, le voilà contraint de tenir ses employés dans des conditions de travail médiévales. Quant à Mark Zuckerberg, alors que Meta se désagrège, il prend la fuite vers d’improbables métavers. Et les licenciements se font par mail ou par simple tweet.

Bref, quelque chose semble avoir totalement disparu à la Silicon Valley. Les dollars partis en fumée? Pas sûr: les big techs se referont peut-être une santé financière . Pour autant, quelque chose est définitivement enterré: l’envie de changer le monde. Le mot d’ordre “to make the world a better place“, véritable leitmotiv de la nouvelle économie – et de la série bien nommée Silicon Valley (HBO) – n’est plus vraiment d’actualité. Les super-héros risquent d’être plus occupés dans l’immédiat à changer leur business model que le monde.

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