Carte blanche
La politique électrique belge, incohérente et désordonnée! L’aberration de la sortie de l’électronucléaire
Ecolo et Groen ont toujours été très réticents à envisager la prolongation de la durée de vie du parc nucléaire belge, voire des quatre unités les plus récentes (très peu émettrices de gaz à effet de serre), alors que la production électrique de ces dernières est meilleur marché par kWh que celle de n’importe quelle autre forme de génération électrique équivalente. En particulier, la mise à niveau des réacteurs nucléaires est bien moins coûteuse que la construction de nouvelles centrales à gaz.
S’il n’a été question, ces dernières années, que de Doel 4 et Tihange 3, c’est dû à la crainte du risque, imaginé par les partis écologistes, résultant de prétendues fissures détectées dans les cuves de Doel 3 et Tihange 2. En réalité, il s’agit de microbulles d’hydrogène dont les dimensions n’ont pas changé depuis la construction des réacteurs et donc sans danger.
La décision, en temps voulu, d’étendre la durée de vie des quatre unités nucléaires précitées aurait permis de faire l’économie de nouvelles centrales à gaz pour compenser l’intermittence de l’éolien et du photovoltaïque[1] et donc d’éviter la saga du CRM (Capacity Renumeration Mechanism : mécanisme d’aide financière à l’investissement dans les capacités thermiques (gaz) nécessaires à la sécurité d’approvisionnement électrique).
En outre, si la prolongation avait été portée à 20 ans (durée totale de vie de 60 ans, comme aux États-Unis, aux Pays-Bas ou en Suisse, pour quelques centrales), la Belgique aurait été en mesure de remplacer les réacteurs existants par ceux de 4ème génération en 2045. Cette technologie est nettement plus performante, produit considérablement moins de déchets de haute activité et régénère le combustible.[2]
À propos du CRM, Tinne Van der Straeten, dans sa note au Kern du 3 décembre 2021, signale que la notification de ce type d’aide d’État par l’ancienne ministre belge de l’Énergie, le 19 décembre 2019, a été faite sur base de la sortie complète du nucléaire. L’approbation du CRM par la Commission européenne est donc sujette à la même condition. Cette dernière empêche dès lors de maintenir ouverte l’extension de 2 GW de capacité nucléaire.[3]
La condition de la fermeture de toutes les unités nucléaires est-elle vraiment rédhibitoire pour pouvoir bénéficier du CRM ? Ou existe-t-il une solution (politico-juridique ?) permettant l’extension de la durée de vie de ces dernières sans risque d’annulation des aides d’État en faveur de nouvelles centrales à gaz ?
Revenons au sujet de la sécurité d’approvisionnement. Pour l’assurer durant l’hiver 2025/2026, il faut une capacité pilotable de 13,8 GW. L’analyse des capacités réelles (capacités corrigées par leurs disponibilités réelles : derated) indique que, en 2025/2026, 3,6 GW feront défaut pour atteindre l’objectif précité .[4] Ce déficit est calculé sur base des données actuelles qui n’incluent pas les évolutions de la demande future, ne prenant pas en compte, par exemple, les besoins supplémentaires requis par l’industrie du numérique
(data centers, cloud, etc).
Selon l’étude d’Elia, citée sous la référence 4 en bas de page, la capacité additionnelle passerait des 3,6 GW susmentionnés à 4,6 GW en 2032. Les solutions potentielles, mais pas garanties, pour couvrir cette demande supplémentaire sont abordées plus loin.
Pour atteindre leurs objectifs bas carbone, l’Union européenne a mis en place en 2005 un système d’échange de quotas d’émission de CO2. Cette décision fait suite aux engagements du protocole de Kyoto, visant à réduire les émissions. Les transactions peuvent se faire de gré à gré, ou sur une bourse du carbone. En Europe, le marché du carbone est appelé ETS (Emission Trading Scheme ). Les autorités fixent un plafond d’émissions à ne pas dépasser. Les industries et productions d’énergies, incluses dans ce dispositif, reçoivent un certain nombre de quotas. Un quota, l’unité de change, équivaut à une tonne de carbone.
Le marché du carbone permet aux entreprises de vendre leurs quotas si elles émettent moins que prévu. Les entreprises polluantes achètent alors leurs quotas manquants sur ce marché. Une entreprise émettant plus que son quota et ne rachetant pas sur le marché est soumise à une amende.
Les annonces de la Commission européenne sur une augmentation des objectifs de réduction de gaz à effets de serre de 40 à 55 % d’ici 2030, en juillet puis en novembre 2020, ont fait brusquement remonter les prix de la tonne de CO2. Ceci est favorable à la politique climatique de l’UE, le quota carbone étant, en effet, une des principales armes que l’Europe souhaite utiliser pour atteindre ses objectifs de neutralité carbone.
Début 2021, les prévisions du cabinet Bloomberg d’un prix du CO2 à 80 euros/tonne d’ici à 2022 a entraîné un intérêt accru de fonds d’investissement spéculatif qui ont acheté massivement des quotas carbone afin de pouvoir les revendre au prix le plus cher. Cet engouement spéculatif a propulsé le prix du CO2 au-delà des 55 euros/tonne à partir de mai 2021.[5] Depuis lors, il a largement dépassé ce montant.
Le Forum nucléaire annonce que le coût de l’électricité pourrait atteindre 119 euros/MWh en 2050.[6]
Monétiser le droit donné aux centrales à gaz d’émettre du CO2, en Belgique, pour atteindre l’objectif du tout renouvelable d’ici à 2050, est une solution très peu “vertueuse”, une approche d’autant plus surprenante que les partisans de cette politique ne cessent de donner des leçons de bonne conduite! Faites ce que je dis, pas ce que je fais.
Bien entendu, ces coûts additionnels finissent par être payés par le contribuable au travers de prix de l’électricité ou d’impôts/taxes plus élevés.
En l’absence de nucléaire et en plus des capacités thermiques (suffisantes ?) et renouvelables (essentiellement, intermittentes) prévues par le gouvernement belge d’ici à 2025, l’importation d’électricité et la gestion de la demande sont les principaux moyens de faire face à la consommation accrue d’électricité requise, entre autres, par la numérisation croissante de l’économie, de la domotique et de la mobilité ainsi que par l’augmentation du parc de véhicules électriques (même si celle-ci sera moins forte qu’annoncé).
Si l’importation n’est pas impossible durant l’hiver 2022/2023, elle s’avère nettement plus problématique pour l’hiver 2025/2026, les pays voisins étant confrontés aux mêmes problèmes que les nôtres et leurs excédents nettement réduits, voire inexistants, en raison de la diminution de leur production électrique et de l’évolution du mix de celle-ci.
Quant à la gestion de la demande, elle pourrait être particulièrement pénible pour les ménages et pour les entreprises durant les périodes de pointe de consommation en hiver,
lorsqu’il y a peu de vent et pas de soleil et que les pays voisins se réservent toute leur production électrique, ce qui est loin d’être exclu.
De toute façon, les importations proviendraient largement, pour autant qu’elles pussent se matérialiser, de centrales nucléaires ou thermiques, les premières rejetées par la Belgique, les deuxièmes non seulement émettrices de CO2 mais très polluantes (charbon allemand) : un comble de duplicité !
Durant ces nombreux mois de négociations, il a été très peu question de l’augmentation des besoins en métaux rares et en terres rares, associés à la part toujours plus grande de l’éolien et du photovoltaïque dans le mix électrique, et du coût accru qui en résulte. Non seulement il pourrait y avoir un risque de pénuries, mais ce coût croissant viendra gonfler encore davantage le prix de l’électricité.
On peut s’interroger sur la rationalité du lourd prix à payer par l’Union européenne, et en particulier par la Belgique, pour réussir à un rythme accéléré la transition énergétique et le Green Deal alors que les pays émergents et en voie de développement ont décidé de prendre leur temps et de continuer à produire de l’électricité à partir de charbon, voire de lignite (émetteurs de grandes quantités de CO2 ), ressources bon marché et souvent domestiques leur permettant de rattraper le retard économique par rapport aux pays occidentaux.
La Chine et l’Inde sont les premier et quatrième plus grands émetteurs de GES (Gaz à Effet de Serre) au monde, respectivement : près de 10 000 millions de tonnes et 2 300 tonnes[7], l’UE ne représentant que 8% du total des émissions[8].
La Chine a décidé d’atteindre le zéro carbone qu’en 2060, au mieux. Mais d’ici là, elle aura les moyens de dominer le monde alors que l’Europe sera liée par les contraintes écologiques qu’elle s’est imposées et risque de ne plus avoir la capacité de peser sur les grands enjeux politiques.
J.P. Schaeken Willemaers
[1] “L’électricité nucléaire, une énergie du futur”, J.P. Schaeken Willemaers, L’Harmattan, 2021.
[2] Ibidem.
[3] “Rapport sur la sécurité de l’approvisionnement, abordabilité et durabilité en vue de la discussion au Kern, 3 décembre 2021, Tinne Van der Straeten.
[4] “Étude sur l’adéquation et la flexibilité en Belgique 2022-2032, Elia.
[5] “L’évolution des différents prix du carbone”, EnergisDev consulting, 30 nov 2021
[6] “Quelles seraient les conséquences d’une éventuelle sortie du nucléaire pour le prix de l’électricité”, Forum Nucléaire, 2020.
[7] Les émissions de GES de l’inde continueront d’augmenter vu son retard économique par rapport aux grandes puissances.
[8] “Les plus grands pollueurs du monde”, Tristan Gaudiaut, Statista, 1er novembre 2021.
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